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Faire science ensemble
INRAE dévoile sa stratégie 2025-2030 pour les sciences et recherches participatives à l’occasion de la 4ème édition du prix de la recherche participative organisé par l’institut. Entretien avec Jean-Baptiste Merilhou, Délégué science avec et pour la société d’INRAE.
Publié le 02 juillet 2025

Dans un contexte de crises et de transitions majeures, les sciences et recherches participatives (SRP), qui intègrent dans le processus de recherche des parties prenantes académiques mais également issues de la société civile, permettent une production de connaissances élargie en croisant savoirs scientifiques et savoirs situés, c’est-à-dire issus de l’expérience, ancrés dans des contextes sociaux, territoriaux ou professionnels précis.
Des études d’impacts menées avec la méthode ASIRPA — cadre méthodologique pour objectiver les effets de la recherche sur les plans scientifique, économique, environnemental, social et politique — ont montré que ces dispositifs permettent des changements de pratiques plus rapides, la création de produits et services diversifiés, et la poursuite d’actions concrètes par les collectifs engagés dans ces projets, au-delà de leur périmètre initial. Forte d’un engagement ancien et en cohérence avec le plan stratégique INRAE 2030, la stratégie 2025–2030 pour les SRP d’INRAE s’appuie sur un patrimoine scientifique déjà structuré, porté par des chercheurs et des collectifs investis dans ces démarches au sein de l’institut.
Quelles est l’implication d’INRAE dans le développement des sciences et recherches participatives ?
Avec plus de 40 ans d’expériences dans les sciences et recherches participatives, la stratégie que nous portons aujourd’hui est le fruit d’une certaine maturité !
Jean-Baptiste Merilhou : L’histoire des SRP à INRAE commence dans les années 1980, en réponse notamment à la nécessité de favoriser sur le terrain la transition vers des modèles agricoles plus durables. Pour y parvenir, des dispositifs de « recherche-action » voient le jour, engageant des agriculteurs et des professionnels agricoles, d’une part pour que la recherche tire profit de leurs expériences et connaissances, et d’autre part pour que les solutions développées correspondent à leur activité. Depuis, plus de 300 projets de SRP ont été menés à INRAE, allant de la collecte de données par des participants non-académiques à des formes co-créées les engageant dans toutes les étapes du projet, de la définition des problématiques à la valorisation des résultats. Ils mobilisent une diversité croissante d’acteurs issus de la société, et concernent toutes les disciplines de l’institut, dans les champs de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement. Chacun des départements scientifiques d’INRAE bénéficie aujourd’hui d’un référent SRP, et une riche offre de services pour accompagner ces pratiques est proposée aux agents et à leurs partenaires, qu’ils soient débutants ou confirmés.
Fort de cette expérience au long cours, INRAE a développé un certain leadership dans le domaine des SRP, comme en témoigne l’organisation depuis 2022 du Prix de la recherche participative confiée à INRAE par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ou la forte implication de l’institut dans l’European Citizen Science Association (ECSA). C’est dans ce contexte que nous dévoilons une « stratégie de la maturité », qui prolonge des engagements historiques de l’institut tout en visant la structuration d’un cadre commun, le renforcement des compétences et la sécurisation des partenariats.
Quels sont les points forts de la stratégie pour les sciences et recherches participatives d’INRAE ?
S’appuyer sur l’ingénierie de la participation et intégrer nos partenaires à nos dispositifs de soutien aux SRP
Jean-Baptiste Merilhou : Mener des recherches avec des non-chercheurs pose inévitablement des questions, qu’il s’agit d’anticiper. Quelle gouvernance pour des projets impliquant une diversité d’acteurs avec des enjeux propres ? Comment garantir la qualité et la juste propriété des données co-produites ? Comment valoriser différents types de savoirs dans le respect des standards académiques, tout en visant une transformation rapide des systèmes et la capacitation (montée en compétence et en pouvoir d’agir) des acteurs engagés ? Comment appréhender le risque de produire des résultats difficilement généralisables en raison de leur ancrage contextuel, ou de laisser de côté certains publics pourtant concernés par les enjeux étudiés ? Avec l’expérience acquise à INRAE depuis plus de 40 ans, nous connaissons maintenant des leviers qui permettent de favoriser la réussite de ces projets. Au-delà de cette expérience précieuse, la force de la stratégie 2025–2030 pour les SRP d’INRAE est de s’appuyer sur un diagnostic partagé et des actions co-construites avec nos praticiens, nos centres et départements scientifiques, et nos directions d’appui à la recherche.
Concrètement, il s’agira par exemple de proposer un parcours simplifié pour guider celles et ceux qui préparent des projets de SRP, avec les acteurs internes impliqués dans la programmation scientifique, la formation, le partenariat, l’appui aux politiques publiques, l’évaluation ou la gestion administrative. L’accès à de nouvelles ressources spécifiques sera également facilité : réseau de facilitateurs ; mentorat et co-développement ; outils d’ingénierie participative ; bibliothèque avec publications, guides et documents de référence ; outils numériques pour le recrutement de participants, la collecte et la gestion des données etc. Une boîte à outil de la participation, en somme.
INRAE portant une politique de science ouverte ambitieuse, nous aurons à cœur de permettre le libre accès à nos ressources ciblant les SRP lorsque c’est matériellement possible. Nous défendons en outre l’idée que l’apport de la société civile ne doit pas se limiter aux seuls projets de recherche, aussi les acteurs non-académiques trouvent naturellement leur place, dans de nombreuses instances officielles de l’institut, dans les comités de suivi de nos accords-cadres associatifs, et dans des comités de pilotage de nos dispositifs d’appui aux SRP.
L’objectif est-il de développer le nombre de projets de sciences et recherches participatives à INRAE ?
Jean-Baptiste Merilhou : En tant qu’institut public de recherche finalisée, INRAE a pour mission de proposer des solutions face aux grands défis territoriaux et globaux, ce qui implique régulièrement de travailler avec des partenaires non-académiques. Les projets multi-acteurs sont pour cette raison amenées à se développer. Pour autant, notre objectif n’est pas de faire plus de SRP ou de substituer ces approches aux autres modalités de recherche, mais de viser leur déploiement qualitatif, ciblé et coordonné. En effet, plusieurs leviers doivent encore être renforcés pour permettre un déploiement soutenable des SRP. La coordination entre les nombreux acteurs mobilisés reste à structurer pour garantir une gouvernance claire et partagée. Les collectifs engagés doivent bénéficier d’un accompagnement mieux outillé, adapté à la diversité des contextes. La valorisation académique de ces démarches nécessite une attention constante à leurs spécificités méthodologiques et aux exigences éthiques qu’elles impliquent. Enfin, le développement des compétences, la reconnaissance des fonctions d’intermédiation et l’ajustement des soutiens aux temporalités longues des projets participatifs nécessitent un investissement durable.
Notre objectif, en résumé, est de valoriser ces pratiques qui contribuent au renforcement de la pertinence et de l’utilité de nos recherches, tout en créant un environnement propice à l’engagement soutenable de toutes les parties prenantes.

Élaborée à partir d’une large consultation interne, la stratégie 2025–2030 pour les sciences et recherches participatives d’INRAE s’appuie sur une expérience de plus de 40 ans reconnaissant un patrimoine scientifique structuré, porté par des chercheurs et des collectifs engagés qui ont contribué à faire progresser les connaissances théoriques, méthodologiques et pratiques dans ce domaine. En cohérence avec les priorités d’INRAE 2030, elle vise un développement qualitatif, ciblé et coordonné des SRP, qui s’articule autour de six objectifs opérationnels : clarifier les rôles des acteurs de l’appui à la recherche, proposer des services adaptés pour un meilleur accompagnement, former et reconnaître les métiers liés à la participation, fournir des outils opérationnels pour structurer les dispositifs, sécuriser l’implication des acteurs non-académiques dans les partenariats, et accroître la reconnaissance des SRP, tant en interne qu’en externe.
Stratégie INRAE 2025-2030 pour les sciences et recherches participatives pdf - 888.27 KB
Jean-Baptiste Merilhou est le Délégué science avec et pour la société (DSAPS) d’INRAE depuis 2022. Il est également responsable du pôle « Sciences en société » de la Direction pour la science ouverte (DipSO) d’INRAE. Sa carrière à INRAE a débuté il y a 15 ans dans l'appui à la recherche. Il s’est d’abord intéressé aux sciences et recherches participatives en tant que conseiller de François Houllier, alors PDG d’INRAE, et a co-rédigé avec lui un rapport sur les sciences participatives en France, à la demande des ministres responsables de la recherche et de l'éducation nationale, en 2015.