Développer la résilience des abeilles

Directrice adjointe de l’unité INRAE Abeilles et environnement et chercheuse en écologie, Fanny Mondet travaille sur les abeilles domestiques, autrement dit celles qui produisent le miel. Elle s’intéresse à leur santé avec une approche globale. Ses recherches sont à la fois très fondamentales et porteuses de solutions pour les apiculteurs et apicultrices en prise au déclin de leurs colonies. Grand entretien avec Fanny Mondet.

Publié le 19 mai 2025

© INRAE

À quelles difficultés l’apiculture est-elle confrontée ?

Les abeilles domestiques sont soumises à de multiples stress, que ce soient des parasites comme l’acarien Varroa qui les vampirise, des prédateurs comme les frelons européen ou asiatique, mais aussi les disettes entre deux périodes de floraison, la toxicité des pesticides… Et le changement climatique aggrave cela avec son cortège de sécheresses, pluies exceptionnelles, redoux hivernaux…  qui épuisent les abeilles et mettent les apiculteurs en difficulté.

Ajoutons que l’apiculteur n’a pas la maîtrise des traitements faits sur les cultures à proximité de ses ruches. Les abeilles ne restent pas cantonnées dans une ruche, elles ont des interactions avec les ruchers voisins, avec les abeilles domestiques revenues à l’état sauvage et les espèces d’abeilles sauvages…

Ces facteurs se conjuguent et causent des pertes parfois importantes de cheptel et de production. L’impact du Varroa reste majeur. L’arsenal de médicaments homologués en France contre ce parasite est limité, notamment pour les traitements compatibles avec l’AB. 

Enfin, dans l’apiculture se côtoient autant de professionnels que d’amateurs. Les premiers gèrent plusieurs centaines de ruches, les second quelques-unes. On a ainsi une grande variété de pratiques et d’usages.

Sur quoi portent vos recherches ?

Mon équipe s’intéresse à un comportement d’autodéfense des abeilles. En effet, face à une infection de Varroa, certaines colonies sont capables de localiser  les alvéoles infectées et de les nettoyer.

Nous identifions les signaux déclencheurs de ce comportement collectif : quelles odeurs sont caractéristiques d’un couvain malade ? Quelle odeur a le Varroa ? Quelles abeilles sont sensibles à ces ‘parfums’ ? Nous avons par exemple testé toutes les molécules identifiées et montré que les colonies hygiéniques répondent mieux à ces odeurs que les colonies qui le sont moins. Nous essayons à présent de tester si d’autres odeurs interviennent. Dans la communication chimique entre insectes, il y a souvent beaucoup de molécules impliquées pour moduler, nuancer les messages.

Nous cherchons aussi à déterminer qui sont les abeilles hygiéniques. Ont-elles une génétique ou une physiologie particulières ? Ce comportement est-il majoritairement inné ou bien les colonies peuvent-elles l’apprendre ? Pour le savoir, nous allons isoler des jeunes abeilles tout juste sorties de leurs alvéoles et les envoyer dans deux écoles différentes : les unes dans une colonie dont on sait qu’elle a le comportement hygiénique, les autres dans une colonie qui ne l’a pas. Et à la fin de l’été, ce sera l’examen final : on va regarder lesquelles manifestent ce comportement. Cette seule expérience va nécessiter de suivre et étiqueter plusieurs milliers d’abeilles, et d’observer leur comportement pendant des dizaines d’heures.

Quelle est l’originalité de votre approche ?

Jusqu'à présent la plupart des recherches s'intéressaient au comportement hygiénique vis-à-vis d’un couvain soit mort soit atteint d’une maladie particulière. Nous revisitons cette approche dans le cadre de mon projet financé par une bourse du Conseil européen de la recherche (ERC). Nous comparons les déclencheurs et voies métaboliques impliquées dans différentes maladies de l’abeille. Notre hypothèse est que le comportement de défense collective serait universel, quelle que soit l’origine du mal. Cela voudrait dire que les abeilles seraient potentiellement armées pour répondre à de nouvelles menaces, comme l’a été l’invasion du Varroa en France dans les années 80.

Pour explorer toutes ces questions, non seulement nous faisons le lien entre comportement individuel et comportement du groupe, mais nous regardons aussi l’impact de l’environnement. De fait, notre lien avec les apiculteurs et les apicultrices est permanent, cela nous permet d’avoir des résultats sur des environnements et des génétiques différentes.

Qu’en espérez-vous en termes d’impact ?

Le but est de développer les connaissances mais aussi d’en tirer du concret pour l’apiculture. Par exemple des outils pour caractériser les colonies dotées d’un comportement hygiénique et pouvoir les reproduire préférentiellement. Aujourd’hui, la sélection de nouvelles colonies en bonne santé est cruciale. Sans cela, on prend le risque d’avoir des ruchers rapidement infestés.

Nous testons aussi l’efficacité de différents traitements contre le Varroa, leur effet sur la structure et la santé des colonies, sur leur capacité à produire du miel et à survivre l'hiver. En particulier, nous évaluons la prévalence et l’abondance de virus dans les colonies, car le Varroa peut véhiculer des virus qui contaminent les abeilles. L'idée est de traiter le moins possible, et avec des molécules les plus naturelles possible.

Et pour l’apiculture de demain ?

Nous espérons que nos recherches permettront de la doter de nouvelles stratégies de lutte et de nouveaux outils. Par exemple, un médicament, le plus naturel possible, dont on saurait maximiser l’efficacité grâce à un mode de conduite du rucher adapté et une application au bon moment, dans les conditions optimales.

Pour évaluer l’état sanitaire d’une colonie, opération actuellement très chronophage, on pourrait imaginer un mini-nez électronique qui quantifierait le Varroa dans les ruches. On sait que cet acarien, même s’il mime l’odeur des ruches, a une odeur caractéristique.

Pour détecter les colonies aptes à développer un comportement hygiénique, on pourrait également avoir un système automatisé. Ce pourrait être un spray avec une odeur qui déclenche le comportement recherché.

Autant de pistes pour rendre l’apiculture plus résiliente.

Fanny Mondet, médecin des abeilles
Comment préserver la santé des abeilles domestiques et la survie des colonies ? Quel est le potentiel de leurs défenses collectives face à leur principal ennemi, l'acarien Varroa ? Une piste que Fanny Mondet explore dans le but d'en tirer des solutions pour les apiculteurs.

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