Les consommateurs face à l’évolution des Appellations d’Origine Contrôlée

Les chercheurs ont développé un protocole original permettant d’anticiper la valorisation des vins par les consommateurs en étudiant leur consentement à payer suite à l’évolution des AOC – un outil d’aide à la décision développé pour Marsannay et qui pourrait être utilisé plus systématiquement pour instruire les futures demandes d’évolution pour d’autres AOC.

Les Appellations d’Origine Contrôlée pour identifier les produits de qualité supérieure

Les Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) indiquent aux consommateurs des produits de qualité supérieure, ce qui permet une meilleure valorisation de ces produits par rapport à des produits conventionnels. Ces AOC sont particulièrement réputées pour les vins de Bourgogne, avec une structure hiérarchique en niveau allant par ordre croissant du niveau Régional, aux niveaux Village, Premier Cru et Grand Cru. Cette hiérarchie se reflète dans le prix des vins et fait régulièrement l’objet de demandes d’évolution de la part des viticulteurs de Bourgogne pour faire monter certaines parcelles dans cette hiérarchie des vins, et notamment au niveau Village et Premier Cru. La question des critères retenus pour justifier cette montée de certaines parcelles est particulièrement sensible.

Les auteurs s’intéressent au cas des vins de l’aire de Marsannay où selon la classification actuelle, on ne recense que des vins de niveau Village et de niveau Régional. Les vins de cette aire ont connu une forte augmentation de leur qualité et de leur prix sur les dernières années, et de nombreux professionnels considèrent que les meilleurs vins du niveau Village sont de qualité équivalente à des Premiers Crus de communes voisines. Depuis 2012, la demande d’évolution des délimitations AOC existantes et de création d’un nouveau niveau Premier Cru fait l’objet d’une étude par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO). La future décision de l’INAO est importante pour les producteurs de l’aire de Marsannay, qui sont naturellement favorables à la montée en gamme de certaines parcelles de leur vignoble.

Les auteurs ont cherché à caractériser l’impact de cette décision pour les consommateurs par l’étude de leurs consentements à payer (CAP) pour les différents niveaux d’AOC. D’un côté, le passage en Premier Cru des meilleures parcelles du niveau Village permet aux consommateurs de les identifier plus facilement, ce qui augmente leur CAP. D’un autre côté, le retrait de ces meilleures parcelles du niveau Village constitue une dégradation de la qualité de l’offre sur ce niveau intermédiaire, ce qui risque d’entraîner une diminution des CAP. Le même mécanisme économique est à l’œuvre pour le passage de parcelles du niveau Régional au niveau Village. Ainsi, l’évolution des AOC produit potentiellement des changements de CAP pour chaque niveau d’AOC et pour la moyenne de l’aire géographique.

Une expérience pour déterminer les consentements à payer pour les AOC

Les méthodes d’économie expérimentale permettent d’étudier précisément les comportements des consommateurs ou des citoyens dans des contextes particuliers et plus ou moins contrôlés. L’économie expérimentale place un groupe d’individus dans des situations simulées (laboratoire) ou influencées (sur le terrain) afin de révéler leurs choix ou leurs CAP pour des nouveaux produits ou des services publics.

Les expériences de laboratoire sont particulièrement bien adaptées pour mesurer les CAP avec un contrôle très précis du contexte informationnel et des produits étudiés. Elles permettent d’anticiper les réactions des consommateurs avant la mise sur le marché effective d’un produit. Ainsi, il est possible de mesurer l’impact sur des participants de l’introduction du signal de qualité Premier Cru, avant même l’autorisation de ce signal par l’INAO. A la différence d’enquêtes traditionnelles (basées sur des questionnaires ou des entretiens), l’économie expérimentale confronte les individus aux conséquences de leurs choix et de leurs déclarations.

L’expérience réalisée auprès de 125 consommateurs dijonnais a permis de mesurer des CAP en fonction de différentes configurations de la répartition des vins entre le niveau Régional, le niveau Village et le niveau Premier Cru sur l’aire de Marsannay. Elle a montré que les CAP révélés pour une bouteille de Marsannay Premier Cru sont significativement supérieurs aux CAP révélés pour ces mêmes bouteilles lorsqu’elles sont sous le niveau Village. Cette différence apparaît également entre le niveau Village et le niveau Régional, elle est cependant de moins grande amplitude. Le scenario maximisant la moyenne des CAP, pour tout niveau d’AOC, semble compatible avec un grand nombre de parcelles qui montent dans la hiérarchie. 

Selon le scénario privilégié, 20 ou 40 % de l’aire pourrait passer de Village à Premier Cru et 10 ou 20 % de l’aire pourrait passer de Régional à Village.

L’étude des CAP permet de comparer la valorisation des vins de l’aire de Marsannay par les consommateurs selon les différents scénarios d’évolution, et non les gains réalisés par les producteurs ou les consommateurs suite à l’évolution des AOC. Facilement transposable pour des études de l’évolution d’autres AOC, la méthode développée permet d’éclairer un décideur comme l’INAO sur les réactions des consommateurs et sur les ajustements possibles des futurs prix des bouteilles de vins. En complément des analyses agro-pédoclimatiques des milieux (sols, roches, climats, expositions, etc.) qui servent habituellement à instruire les demandes d’évolution, elle donne la possibilité d’y inclure des critères économiques.

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