Société et territoires 4 min
Alerte à la plage !
La noyade est la troisième cause de mortalité accidentelle dans le monde. Pour mieux comprendre les risques associés à la baignade dans l’océan et les prévenir, des chercheurs INRAE, en partenariat avec l’université de Bordeaux, le CNRS, la Région Nouvelle-Aquitaine et le Syndicat mixte de gestion des baignades landaises (SMGBL) se sont penchés sur le cas d’une commune du Sud-Ouest.
Publié le 07 août 2023

Direction Vieille-Saint-Girons, dans le sud des Landes, où les scientifiques récoltent des données sur la plage de la Lette Blanche. Cette plage, comme le reste de la côte de Nouvelle-Aquitaine, est particulièrement exposée au risque de courants d’arrachement, plus connus localement sous le terme baïnes, une cause majeure de noyade sur les littoraux. Ces courants puissants piègent et entraînent les baigneurs au large - parfois jusqu’à 500 mètres -, et sont à l’origine de près de 80 % des noyades survenues sur les plages du Sud-Ouest [1].
LE SAVIEZ-VOUS ?
Pour sortir d'une baïne, il ne faut en aucun cas tenter de lutter contre le courant, au risque de s'épuiser. Voici quelques conseils :
- ne pas paniquer,
- se laisser porter par le courant sans résistance,
- signaler sa présence par des mouvements de bras,
- lorsque le courant s'affaiblit, s'extraire de la zone dangereuse en nageant parallèlement à la plage, vers la gauche ou la droite.
Lire aussi : "Baïnes et courants d'arrachement, ce qu'il faut savoir avant d'aller se baigner"
Pour comprendre ces risques et construire un modèle de prévision efficace, les chercheurs du projet SWYM collectent de la donnée sur les accidents dans ces zones sujettes aux baïnes, avec une grille de lecture qui intègre plusieurs composantes du risque de baignade :
- est-ce qu’il y a du courant ? (c’est un aléa),
- combien de monde à la plage ? (cela traduit l’exposition),
- comment se comportent les baigneurs face au danger ? La baignade est-elle surveillée ? (ce sont des élément de vulnérabilité).
Chacune de ces composantes soulèvent des questions spécifiques. Si les mesures de phénomènes physiques tels que le vent ou le courant sont indispensables à la caractérisation des aléas, l’analyse du comportement humain apporte également des éléments d’explication du risque.
« Pourquoi les gens vont-ils se baigner ce jour-là ? Quelle est leur perception du risque ? Nous posons des questions de cet ordre aux gens, puis nous les relions à des caractéristiques personnelles et environnementales. S’ajustent-ils au danger ? Estiment-ils savoir bien nager ? Les locaux estiment-ils mieux connaître le coin que les touristes, et, donc, plus s’exposer au danger ? », détaille Jeoffrey Dehez, chercheur en économie à INRAE Nouvelle-Aquitaine Bordeaux, au sein de l’unité Environnement, territoires en transition, infrastructures, sociétés (ETTIS).
Une approche inédite
Les réponses à ces enquêtes administrées sous forme de questionnaires viennent ainsi compléter d’autres indicateurs, comme les relevés topographiques qui mesurent la nature des fonds, les coordonnées de capteurs GPS installés sur des bouées pour suivre les courants, ou encore des drones et des caméras installés pour étudier respectivement courants de surface et fréquentation de la plage.
En adoptant cette approche mêlant sciences physiques, océanographie et sciences humaines et sociales, le tout en étroite collaboration avec les sauveteurs locaux du SMGBL, les chercheurs du projet SWYM ont mis au point une méthode pluridisciplinaire inédite.
Sur le terrain, les sauveteurs bénéficient des observations des scientifiques, et cette méthode pourrait, à terme, aider à concevoir des modèles de prévisions des risques de baignade, à l’instar de ce qui existe en montagne avec les avalanches.
Pour mieux mesurer les risques
Un autre défi réside dans le suivi précis des interventions réalisées par les sauveteurs. Alors que les premiers modèles de simulation sont entraînés sur les cas les plus graves (noyades avec suivi médical), les chercheurs du projet SWYM disposent, quant à eux, d’informations supplémentaires. « Nous avons équipé les sauveteurs de tablettes numériques, et développé des interfaces de saisies et d’interrogation à distance, sur lesquelles ils recensent toutes leurs interventions et les conditions associées, en particulier celles qui ne conduisent pas à une prise en charge par le système de santé. C’est-à-dire toutes ces fois où les sauveteurs préviennent les gens sur la nature du danger, où ils aident un baigneur tout près du bord, qu’ils le ramènent avant que la situation ne devienne dramatique. Ces observations échappent aujourd’hui totalement aux bases de données médicales disponibles. Et pourtant elles représentent l’immense majorité de l’activité d’un poste de surveillance et, de ce fait, la meilleure mesure du risque », explique Jeoffrey Dehez. Depuis cet été, des sauveteurs de Charente-Maritime expérimentent eux aussi cette collecte de données.
Autre limite des modèles précédents : ceux-ci agrègent toutes les composantes du risque (aléas, exposition, vulnérabilité), en faisant finalement assez peu la distinction entre chacune de celles-ci. Ils ont ainsi tendance à déclencher des alertes lorsque les plages sont très fréquentées (autrement dit, lorsque l’exposition est élevée), alors que les courants d’arrachement (l’aléa) peuvent être faibles. Une meilleure compréhension de ces composantes permet d’éviter de désensibiliser la population en déclenchant l’alerte en l’absence de danger, voire manquer une alerte indispensable un jour de faible fréquentation.
Les résultats définitifs du projet SWYM sont attendus pour l’automne 2024, et les scientifiques comptent porter la réflexion à l’échelle de la région Nouvelle-Aquitaine, mais aussi sur d’autres façades littorales (Bretagne, Méditerranée) potentiellement concernées par les courants d’arrachement.
[1] https://www.researchgate.net/publication/325272616_Surf_zone_hazards_and_injuries_on_beaches_in_SW_France