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Si près, si loin : ce que la Covid a changé dans notre façon de profiter de la nature
Confinement, déconfinement… les mesures sanitaires qui ont accompagné la Covid-19 ont mis à mal nos envies et possibilités de sortir prendre un bon bol d’air frais. Deux scientifiques INRAE ont analysé le rapport à la nature des habitants de la région Aquitaine durant l’année 2020. Une rétrospective riche d’enseignements qui lie la nature et la qualité de vie, et hisse la forêt au rang de valeur refuge.
Publié le 09 juillet 2021
Covid oblige, mars 2020 sonnait le début des restrictions de déplacement en France avec leur corollaire de mesures sanitaires. Des mesures qui allaient durer, s’allégeant plus ou moins au gré des confinements et déclarations gouvernementales, mais aussi des décisions prises par les autorités locales. Durant cette période, l’accès à la nature n’a pas figuré parmi les activités dites « essentielles ». Les plages, les montagnes ou les espaces verts des grandes villes ont généralement été interdits. D’autres endroits, notamment des bois et des forêts publiques, ont parfois pu demeurer accessibles, dès lors que l’on vérifiait les critères exigés par les autorisations de sorties pour s’y rendre.
Souvent considérés comme des temps « résiduels », voire improductifs (par opposition au temps de travail), les bénéfices de tous ces moments passés dans la nature, sur la santé psychique et physique, sont examinés aujourd’hui avec beaucoup plus d’intérêt, C’est toute une littérature scientifique dédiée à l’outdoor recreation, largement animée par les sciences humaines et sociales, qui bénéficie d’un nouvel éclairage.
Des chercheurs d’INRAE Nouvelle-Aquitaine Bordeaux ont souhaité savoir comment l’épidémie de la Covid avait affecté les usages et le regard des Aquitains vis-à-vis de deux milieux emblématiques de la région: la forêt et les plages de l’océan. Ils ont mené fin 2020, des enquêtes auprès de deux échantillons de 500 individus âgés de 18 ans et plus, représentatifs de la population. Les enquêtes abordaient plusieurs caractères de la fréquentation des espaces naturels (activités pratiquées, attentes et préférences en matière d’accueil, lieux et moyens de déplacements, impact des contraintes sanitaires) dans les cinq départements de l’ancienne région Aquitaine (Gironde, Dordogne, Landes, Lot et Garonne, Pyrénées Atlantiques). L’analyse était volontairement rétrospective, en découpant l’année qui venait de s’écouler en trois parties, à savoir le premier confinement (de mars à mai), le déconfinement estival (de juin à octobre) et le deuxième confinement (de novembre à décembre).
Une nécessaire adaptation au contexte sanitaire
Comme partout ailleurs en France, les habitants du Sud-Ouest ont dû s’adapter aux mesures sanitaires alors en vigueur.
Limités dans leurs déplacements, il leur était plus facile d’aller dans les espaces situés à côté de chez eux. Ainsi, au cours de l’année 2020, les habitants des départements littoraux (Gironde, Landes, Pyrénées-Atlantiques) se sont rendus plus souvent à l’océan que les autres. La fréquentation des forêts a été également plus élevée en Dordogne, en Gironde ou dans les Landes, qui sont les trois départements les plus boisés du territoire. La montagne a été nettement plus fréquentée par les habitants des Pyrénées-Atlantiques.
Encore plus qu’à l’accoutumée, les individus se sont rendus sur des espaces proches de chez eux, qu’ils connaissaient déjà, y compris au moment du déconfinement. Si la fréquentation des forêts a pu se dérouler toute l’année (36 % des habitants de la région y sont allés durant le premier confinement, 62 % au moment du déconfinement et 42 % durant le deuxième confinement). Les possibilités étaient nettement plus limitées sur le littoral. Un habitant sur deux a pu se rendre à la plage, dont la quasi-totalité (96,2%) en été - rappelons cependant que l’accès aux plages a été interdit une bonne partie de l’année, indépendamment des limitations de déplacement. Preuve que nos concitoyens ont, globalement, respecté les mesures sanitaires.
Les mesures sanitaires ont parfois remis en question des habitudes bien ancrées. En 2020, la sortie en forêt, par exemple, s’est faite majoritairement seul (52 % des usagers) et à pied (68 %) alors que, jusqu’à présent, elle représentait l’archétype même de l’activité familiale.
Un autre reflet des inégalités socio-spatiales
Si la pandémie a révélé, voire accentué, les inégalités sociales dans des domaines tels que la santé, l’emploi, l’éducation ou l’alimentation, tout porte à croire que cela fût aussi le cas pour l’accès aux espaces naturels dans les cinq départements de l’ancienne région Aquitaine.
Ainsi, la part des individus qui déclare s’être rendue dans un espace naturel, quelle que soit sa nature, en 2020, est systématiquement plus élevées dans les classes les plus aisées. L’âge et le genre jouent, mais pas toujours dans le même sens. Les populations les plus jeunes vont plus souvent en ville, à l’océan ou près des cours d’eaux, et pas à la campagne qui reste plus populaire auprès des « seniors ». Les hommes fréquentent davantage les cours d’eau, la montagne et la forêt que les femmes.
Des repères qui perdurent
Malgré les bouleversements successifs, plusieurs constantes fortes se sont maintenues en 2020. En forêt notamment, les activités les plus pratiquées (promenade, observation de la nature), les choses qui plaisent (calme, animaux) ou, au contraire, celles qui déplaisent (les ordures, le monde) figuraient toujours en bonne place dans les réponses des enquêtés. En ces temps troublés, cet espace aurait donc fait office de « valeur refuge ».
Autre expression de cet attachement à la nature, les sorties en milieu naturel n’ont, en 2020, absolument pas constitué un choix par défaut, autrement dit une activité que l’on pratiquerait parce que d’autres (parcourir les magasins, aller au restaurant, travailler, étudier) sont inaccessibles.
Se détresser et se détendre, se ressourcer ou tout simplement « sortir », apparaissent comme des besoins fondamentaux. Par contre, certains milieux seraient plus adaptés que d’autres pour répondre aux attentes des enquêtés. Par exemple, c’est plutôt en forêt qu’on va aller pour entretenir sa forme physique, et à la plage pour retrouver un peu de contact avec les gens. Souvent présenté comme un élément constitutif de la santé mentale, l’entretien des relations sociales ne figure toutefois pas dans les priorités des personnes interrogées.
La nature, rempart contre la Covid ?
Aujourd’hui, de plus en plus d’études scientifiques confirment que la contamination par le Coronavirus est moins forte à l’extérieur qu’à l’intérieur. Cette donnée était loin d’être établie l’année dernière, mais, l’aurait-elle été, que la population ne s’en serait pas nécessairement saisi. Avec la Covid comme avec d’autres risques, les différences entre les mesures objectives et les perceptions individuelles sont souvent importantes.
Ainsi, s’il était globalement admis qu’on était plus (ou au moins autant) en sécurité « dehors » que sur son lieu de travail ou sur son lieu d’étude, la forêt et les plages n’apparaissent pas équivalentes pour ce qui concerne l’exposition au risque.
La forêt est jugée nettement moins risquée que la plupart des autres environnements et en particulier les rues piétonnes (96 %), les parcs et jardins en ville (93 %) ou les lieux de travail ou d’étude (83%). Seule la montagne est placée à peu près au même niveau. A l’inverse, les plages de l’océan figurent quasiment au même niveau que les rues piétonnes (62 %) ou que les parcs et jardins en ville (44 %). Loin du schéma des stations balnéaires à l’urbanisation densifiée, l’Aquitaine est pourtant connue pour ses vastes étendues de sable fin, qui ont peu d’équivalent en France. Habituellement réservées aux fonctions naturelles (régulation du climat, habitat pour les animaux, filtration de l’eau…), le rôle de « protection » des forêts trouve peut-être ici une nouvelle déclinaison, sur la santé humaine cette fois. Santé humaine, qualité de vie et environnement sont là liés, reflet du concept One Health porté notamment par INRAE à travers une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires..
Le temps passé dans la nature est donc important. Il l’était avant la pandémie, il l’a été pendant et le sera, sans doute encore plus, après. Reste à savoir quelles sont, parmi ces nouvelles façons de faire, celles qui vont perdurer.
- Dehez J., Lyser S. Comment la sortie en forêt est devenue une valeur refuge, The Conversation, 22 avril 2021. |