Dossier revue
Agroécologie

Précieux sols

Les sols assurent des fonctions qui nous rendent bien des services ! On les appelle des services écosystémiques, c’est-à-dire des services rendus à l’humanité par les écosystèmes.​ Tour d’horizon.

Publié le 27 juin 2023

1 - Stocker le carbone pour lutter contre le changement climatique

Est-ce utile de rappeler que le dérèglement climatique est dû, entre autres, à un accroissement des concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, dont celle en dioxyde de carbone (CO2) ? Une des stratégies est évidemment de réduire les émissions de CO2, et c’est une priorité ; mais, on le sait, ça ne sera pas suffisant, il faut en parallèle mettre en place des stratégies de piégeage et de stockage de carbone. Bonne nouvelle, les sols ont aussi cette capacité. C’est par la photosynthèse et grâce à l’énergie du soleil et à l’eau que les végétaux captent le CO2 de l’atmosphère pour produire des glucides et rejeter du dioxygène (O2). Le carbone se retrouve alors dans la plante puis, lorsqu’elle meurt ou que ses feuilles tombent, il est assimilé par tous les habitants du sol comme source d’énergie et comme constituant de leurs propres cellules. La décomposition partielle de biomasses apportées au sol ou initialement présentes dans le sol (racines) ou à sa surface (litières) amène à des formes stabilisées, c’est-à-dire n’évoluant que très lentement dans le temps. Ainsi, le carbone reste entre quelques jours et des centaines d’années dans le sol, au sein de molécules organiques ; puis il finit par être rejeté dans l’atmosphère sous forme de CO2 via l’oxydation des composés organiques qui peut être associée à la respiration des microorganismes du sol. Les sols émettent deux autres GES : le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Le méthane est émis par les sols de rizières, les sols de tourbières et les marais tourbeux. 

Prélèvement de sol pour analyse de sa teneur en carbone
Prélèvement de sol pour analyse de sa teneur en carbone.

Le N2O est émis à la suite de divers processus microbiens de biotransformation des composés azotés. 
Et ce n’est pas un détail pour la lutte contre le changement climatique, car le pouvoir de réchauffement global du N2O est environ 298 fois celui du CO2. Il y a donc un véritable enjeu à avoir des pratiques agricoles qui limitent à la fois l’émission de N2O et qui permettent de stocker du carbone. Le premier levier pour limiter ces émissions est d’éviter les apports excessifs de fertilisants azotés minéraux ; le deuxième est de bloquer le développement des bactéries anaérobies 1 émettrices de N2O en favorisant une bonne aération du sol par l’activité des vers de terre et en évitant l’engorgement par l’eau qui chasse l’oxygène. 

1. Ne se développant qu’en l’absence d’oxygène.

2 - Produire de la biomasse pour s'alimenter, se chauffer, s'habiller, construire

Le sol permet aux plantes de trouver l’eau et les éléments nutritifs (azote, phosphore, potassium et bien d’autres) dont elles ont besoin ; la structure du sol permet aux plantes de s’y ancrer grâce à leurs racines et de trouver des conditions favorables de développement. C’est ainsi que le sol est à la base de notre alimentation et de celle des animaux d’élevage, qui se nourrissent de l’herbe des prairies et des cultures qui leur sont dédiées. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), agence spécialisée des Nations unies, 95 % de notre alimentation provient directement ou indirectement du sol. Sur les 18 nutriments indispensables aux végétaux, 15 sont fournis par les sols. Mais les végétaux ne vont pas que dans nos assiettes.

95 % de notre alimentation provient directement ou indirectement du sol.

Ainsi, le bois des arbres (voir le dossier Matériaux biosourcés dans Ressources #3) sert à construire des maisons ou des meubles, à fabriquer du papier, du carton ou des panneaux et à se chauffer. Les plantations de coton et de lin nous permettent de nous habiller, les cultures de chanvre et construire de nouveaux matériaux, certaines cultures (betterave, colza, tournesol…) contribuent à la production de biocarburants, de cultures intermédiaires ou principales (maïs, triticale, seigle, orge…) et leurs résidus peuvent alimenter des méthaniseurs qui permettent la production de biogaz.

 

 

3 - Réguler le cycle de l’eau pour stocker l'eau et filtrer les contaminants

Quand il pleut, l’eau a deux possibilités : soit elle ruisselle à la surface du sol et rejoint un cours d’eau, soit elle s’infiltre et pénètre dans le sol. Étant donné qu’un sol c’est 50 % de solide et 50 % de porosité, l’eau peut circuler dans le sol via cet espace poreux. Elle y est retenue par capillarité, mais l’eau percole aussi, c’est-à-dire qu’elle est drainée vers le bas jusqu’à la base du sol, et, possiblement, jusqu’à une nappe souterraine. Cette fonction est essentielle pour la recharge des nappes en période hivernale. Une seule partie de l’eau retenue par le sol peut être absorbée par les plantes.

Un sol c’est 50 % de solide et 50 % de porosité.

L’eau absorbable par les plantes est appelée « réservoir en eau utilisable » et dépend de plusieurs paramètres du sol. Son épaisseur : plus un sol est profond, plus il peut stocker. Sa texture : par exemple, un sol sableux, avec des pores de grande taille, a un réservoir en eau utilisable très faible. À l’inverse, les sols limoneux, avec des gammes de pores de tailles variées, ont une plus grande capacité à retenir l’eau.

observatoire de recherche en environnement

La présence de matière organique, la faune et la flore, ou encore l’action l’activité agricole influencent l’organisation du réseau poreux des sols. Tel un tamis, le sol filtre également l’eau ! Grâce à sa capacité de filtration mécanique, le sol retient les particules potentiellement polluées contenues dans les eaux de pluies qui s’infiltrent. Certains sols peuvent même filtrer les particules les plus fines, d’un diamètre inférieur à 0,2 μm. Un autre phénomène peut avoir lieu : l’absorption des contaminants ou des colloïdes « collés » à la surface de particules solides du sol par différentes forces, dont des forces électriques.
Ces phénomènes sont très dépendants de la nature des contaminants et des conditions hydriques, géochimiques et microbiologiques des sols. Certains contaminants ne seront pas retenus et rejoindront tout de même une nappe phréatique en profondeur. 

Les sols peuvent-ils aider à limiter le changement climatique ?

Trois questions à Claire Chenu, chercheuse en sciences du sol au laboratoire EcoSys à Saclay.

Quel est le lien entre les sols et le climat ?

Une toute petite perte,de quelques pour mille, de la quantité de carbone stockée dans la partie superficielle des sols du monde doublerait le flux net de carbone de notre planète vers son atmosphère. Inversement, une toute petite augmentation des stocks, de 4 pour 1 000 (soit 0,4 %) suffirait à compenser le flux de carbone excédentaire de l’atmosphère et donc à diminuer l’impact du CO2 sur le climat. En France métropolitaine, le potentiel de stockage de carbone dans les sols agricoles pourrait compenser 7 % des émissions de GES du pays. C’est la conclusion de l’étude menée par INRAE en 2019 dans le cadre de l’initiative « 4 pour 1 000 ». Mais avant cela, il y a un enjeu bien plus important : celui de ne pas déstocker le carbone qui est déjà présent dans les sols. Ainsi, il ne faut pas retourner les prairies permanentes pour les mettre en culture. Dans les sols forestiers, l’enjeu est de maintenir les restitutions au sol. Par exemple, lorsque l’on utilise les branchages ou le bois comme source d’énergie, c’est du carbone que l’on ne restitue pas au sol, ce qui entraîne du déstockage. Dans de nombreuses parties du globe, le réchauffement des sols va accélérer ce déstockage par la minéralisation des matières organiques dans le sol qui sera accélérée par la chaleur.

Comment stocke-t-on davantage de carbone dans les sols ?

Il faut y faire rentrer plus de biomasse ! Concrètement, il y a une diversité de leviers d’action : mettre des intercultures ou allonger leur durée, implanter des plantes de couverture, allonger la durée des prairies temporaires lorsqu’il y a une rotation avec des cultures. On peut aussi développer l’agroforesterie, qui va apporter au sol le carbone des feuilles et des racines des arbres. Même principe pour les haies, l’enherbement des vignes et des vergers. Il a été montré en agroforesterie que le stockage en profondeur via les racines serait particulièrement efficace. Pour résumer, on fait du vert et on le restitue au sol en le laissant s’y dégrader. 

Comment inciter à de telles pratiques ?

Une des voies envisagées est le carbon farming : rétribuer les agriculteurs pour la mise en place de pratiques agricoles qui permettent de fixer le carbone dans les sols. En France, dans le cadre de la stratégie bas carbone du gouvernement qui vise à la neutralité carbone en 2050, des financeurs publics ou privés peuvent financer des projets locaux dans lesquels les agriculteurs sont rétribués pour la mise en place de pratiques permettant de stocker davantage de carbone dans leurs sols. Concrètement, on mesure au début combien il y a de carbone dans les sols, on utilise ensuite des modèles pour prévoir combien de carbone il est possible de stocker en fonction des pratiques mises en place, puis 5 ans plus tard on revient mesurer pour vérifier la quantité de carbone stockée suite à la mise en place des pratiques. À l’échelle de l’Europe, le carbon farming commence à se mettre en place. Il faut cependant être très vigilant à ce que les pratiques ainsi financées n’aient pas d’effets négatifs (émissions d’autres GES, consommation excessive d’eau) et qu’elles soient bénéfiques pour la production, les ressources naturelles, et maintenues dans la durée pour éviter le déstockage de carbone.

Le département