Dossier revue
Bioéconomie

« Des panneaux ? Oui mais pas trop ! »

Entretien avec Christian Dupraz, pionnier de l’agrivoltaïsme en France. Christian Dupraz, chercheur dans l’agrivoltaïsme au centre INRAE de Montpellier, évoque les conditions de la synergie entre la production d’énergie et la production agricole, les risques de dérive et les modèles économiques à privilégier.

Publié le 02 février 2024

Comment fonctionne la synergie agriculture-photovoltaïsme ?

Les panneaux solaires implantés sur les cultures sont devenus très perfectionnés : ils peuvent être mobiles et orientables selon des algorithmes de pilotage qui permettent de donner de la lumière aux plantes quand elles en ont besoin. Ainsi, ils peuvent être orientés horizontalement au-dessus des cultures, les protégeant contre la chaleur le jour, mais aussi contre le gel la nuit. Ils peuvent également être orientés verticalement pour laisser la pluie arroser la culture. La structure porteuse peut soutenir des filets anti-grêle ou anti-insectes, ou servir de support pour installer des systèmes d’irrigation ou des palissages pour les arbres fruitiers. Les économies d’irrigation peuvent aller jusqu’à 30 %. En outre, les installations sont réversibles, les structures sont ancrées par des pieux métalliques enfoncés dans le sol et facilement extractibles en fin de projet. Les analyses de cycle de vie réalisées dans le monde sont favorables, l’empreinte carbone liée à la fabrication des structures étant compensée par la production d’électricité décarbonée au bout de 3 à 5 ans environ, alors que la durée de vie des installations est de 25 à 40 ans. Cette synergie agriculture-photovoltaïsme dépend cependant d’un équilibre lié à la densité des panneaux qui ne doivent pas faire trop d’ombre.

Quelles sont les conditions de la synergie ?

Trop de panneaux pénalisent la culture en apportant trop d’ombre. Il faut dans l’idéal ne pas dépasser 20 % de couverture du sol (2 000 m² de panneaux par hectare) si on veut maintenir un rendement agricole normal 1. Or, les considérations économiques poussent les opérateurs à installer plus de panneaux. Il y a une forte asymétrie entre les bénéfices très élevés de la production électrique et ceux de la production agricole 2
Le coût de l’installation, très élevé, est en général pris en charge par l’opérateur d’électricité, qui en recueille aussi les bénéfices. L’agriculteur est rémunéré par les avantages agronomiques induits par la structure, en termes d’augmentation de la production (protection contre les aléas climatiques, économies opérationnelles, etc.). 

Mais il reçoit aussi le plus souvent un loyer élevé qui peut le dissuader de continuer à cultiver, d’où un risque d’arrêt des productions agricoles sur ces parcelles. Il faut donc bloquer la spéculation foncière en limitant les loyers versés par les opérateurs électriciens. Il serait préférable que l’agriculteur et les habitants voisins consommateurs d’électricité puissent participer, même à un faible niveau, à l’investissement dans la structure photovoltaïque et ainsi percevoir une partie proportionnelle des revenus électriques. Plusieurs initiatives tentent d’encadrer l’agrivoltaïsme en France afin d’éviter les dérives : l’association France Agrivoltaïsme, un label AFNOR « Agrivoltaïsme positif » et des règles déontologiques émises par l’Ademe. Les décrets d’application de la loi sur l’accélération du développement des énergies renouvelables seront également essentiels pour encadrer cette pratique.

Quel est l’état actuel et le potentiel de l’agrivoltaïsme en France ?

La France est pionnière en agrivoltaïsme. INRAE a construit le premier prototype expérimental agrivoltaïque mondial en 2010 à Montpellier, en collaboration avec la société Sun’R, devenue Sun’Agri depuis. Nous avons créé le terme « agrivoltaïsme », dans un article scientifique publié en 2011. Depuis, 
les recherches se poursuivent et les projets se diversifient sur tout le territoire : maraîchage en serres en Occitanie et PACA, vigne et arboriculture fruitière à Montpellier, Avignon et Bordeaux, grandes cultures sur tout le territoire, élevage vers Clermont-Ferrand. Le potentiel est énorme. À mon sens, un objectif de 100 000 ha de systèmes agrivoltaïques est réaliste, et produirait environ 50 GW. Il faut réfléchir à la taille des projets, mais il s’agit d’une décision politique. Soit on favorise de grands projets (100 à 1 000 ha) et peu d’agriculteurs en bénéficieront, soit on favorise de petits projets (1 à 5 ha), et beaucoup d’agriculteurs en profiteront. Pour l’instant, les électriciens tentent de sécuriser des surfaces agricoles pour leurs projets, et les agriculteurs sont sollicités de toutes parts. C’est un peu le far-west… Il est temps que la loi et ses décrets d’application viennent préciser les règles du jeu et calmer les esprits. 

Comment avez-vous eu l’idée de l’agrivoltaïsme ?

En imitant l’agroforesterie ! Et en constatant l’inefficacité structurelle des biocarburants. Il est absurde de brûler des aliments dans nos moteurs. J’ai donc tenté de remplacer les arbres par des panneaux solaires. Cela n’enlève rien aux vertus de l’agroforesterie qui a bien d’autres atouts mais cela a permis d’élaborer le concept d’agrivoltaïsme. D’autres équipes ont effectué ce raisonnement ailleurs dans le monde, notamment au Japon, mais nous avons été les premiers à mettre en place un dispositif de recherche sur ce sujet. Nous avons même appris plus tard que cette idée avait déjà été formulée il y a plus de 40 ans par un ingénieur allemand, mais sans aucun essai pour en tester la faisabilité. En 2010, la situation était mûre pour explorer cette option.

1. Dupraz C. (2023). bit.ly/3Nb0h1n 
2. Prix de l’installation : entre 500 000 et 1 million d’euros par ha, pour une marge électrique de 50 000 à 200 000 euros par ha et par an, alors que la marge de la production agricole est de l’ordre de 500 à 10 000 euros par ha et par an, selon 
les systèmes de production. 

 

  • Pascale Mollier

    Rédactrice