Dossier revue
Bioéconomie

Énergies renouvelables : une transition à accélérer

Selon la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), la part de la biomasse dans le bouquet énergétique français doit être multipliée par 2,5 à l’horizon 2050, par rapport à l’année 1990. L’analyse des ressources disponibles amène à questionner cet objectif et à considérer d’autres voies de production d’énergie en lien avec l’agriculture, en particulier l’agrivoltaïsme. Solutions.

Publié le 05 février 2024

Selon la SNBC-2, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la quasi-totalité de l’énergie consommée en France devrait être décarbonée. Pour cela, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) décrit les mesures à prendre et fixe des objectifs intermédiaires : 33 % d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique français en 2030 et 40 % d’électricité renouvelable produite. Selon cette trajectoire, la part d’énergies renouvelables aurait dû être de 23 % en 2020. Or, elle n’était que de 19,3 % en 2021, certes en augmentation par rapport à 2019 (17,2 %), mais en deçà des objectifs. Il faut donc accélérer la transition énergétique en accroissant rapidement la production d’énergie renouvelable. Avec environ 19,3 % d’énergies renouvelables dans son bouquet énergétique final en 2021, la France accuse un certain retard par rapport à la plupart des autres États membres de l’Union européenne et se classe au 17e rang sur 27, loin derrière la Suède (61 %), la Finlande (45 %) et le Danemark (42 %).
Comment augmenter la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique français ? Quelles sont celles qui présentent le plus fort potentiel et qui seraient à favoriser ? Le choix du bouquet énergétique de demain est une des questions majeures que cherche à résoudre la PPE. Ce choix stratégique doit prendre en compte des considérations d’ordre économique (coût des différentes sources d’énergie), technique (leur efficacité), environnementale (leur propre impact carbone, les conséquences en termes de biodiversité, d’impacts sur l’eau, l’air, les sols, etc.) et sociétale (appropriation par les consommateurs des différentes mesures, actions en faveur des énergies renouvelables…). Mais au préalable, il faut s’interroger sur la disponibilité des ressources et leur répartition sur le territoire, en particulier pour les ressources en biomasse, qui fournissaient déjà en 2021 la moitié des énergies renouvelables.

Panorama des énergies renouvelables en France et en Europe en 2020 et objectif d'énergie issue de la biomasse en 2050

La biomasse : limites et pistes de développement

La biomasse utilisée à des fins énergétiques provient essentiellement des cultures, des effluents d’élevage et de la forêt. Or, le recours à ces ressources est limité par la concurrence avec les usages alimentaires des cultures, le besoin de retour de carbone au sol, les émissions de GES liées à l’activité de production agricole (protoxyde d’azote) et la vulnérabilité face au changement climatique pour les forêts. En tenant compte de ces tensions, le scénario de la SNBC-2, qui prévoit de multiplier par 2,5 la part d’énergie produite à partir de la biomasse (450 TWh) apparaît très volontariste par rapport à d’autres scénarios (Ademe, NegaWatt, Afterres, WWF) qui prévoient plutôt une production d’énergie issue de biomasse comprise entre 270 et 386 TWh en 2050. 

La vulnérabilité de la forêt

Même si la surface de la forêt métropolitaine est en accroissement régulier depuis 1985, la ressource en bois est menacée par le changement climatique : les inventaires forestiers effectués depuis 2010 révèlent une moindre croissance des arbres et une mortalité accrue, liées aux sécheresses mais aussi aux épisodes de gel, aux ravageurs et aux incendies. Il s’ensuit non seulement une diminution possible des quantités de bois disponibles pour la production d’énergie décarbonée, mais aussi une forte réduction de la fonction de puits de carbone des forêts. Or, cette fonction de puits de carbone est primordiale pour atteindre l’objectif de neutralité carbone, en plus d’une baisse des émissions. 
Préserver la forêt face au changement climatique implique des actions volontaristes de protection et de choix d’essences adaptées dans le cas de plantations. Le renouvellement forestier fait l’objet d’une enveloppe de 150 millions d’euros dans le Plan France Relance annoncé fin 2020 par le gouvernement. 
La préservation de la forêt passe aussi par une gestion durable des prélèvements, sans épuiser le sol et en permettant le renouvellement des arbres.

La compétition avec les cultures alimentaires

3% de la SAU est utilisée pour des biocarburants

La biomasse agricole, cultures et prairies, peut certes être utilisée pour générer de l’énergie (production de biocarburants et de biogaz par méthanisation) mais sa vocation première reste de nourrir les humains et les animaux. Pour éviter de concurrencer cet usage alimentaire, 2 pistes sont à privilégier : l’utilisation de résidus de culture (pailles de céréales, d’oléagineux ou de protéagineux, cannes de maïs, fanes de betteraves) et le développement de cultures intermédiaires qui s’intercalent entre les cultures alimentaires principales. Avec cependant des précautions : pour les résidus de culture, il faut arbitrer avec d’autres usages (litières et fourrages pour les animaux, retour au sol pour maintenir sa teneur en matière organique). Pour les cultures intermédiaires, il faut veiller à les optimiser sans concurrencer les cultures principales qui les précèdent et les suivent.
La valorisation des résidus de culture et des cultures intermédiaires fournit donc de bonnes pistes pour éviter de concurrencer l’usage alimentaire des terres. En effet, l’utilisation actuelle de cultures alimentaires (blé, maïs, colza, betterave, etc.) pour produire des biocarburants de 1re génération (bioéthanol, biogazole) ne peut être étendue de façon significative dans un contexte de tension internationale sur la sécurité alimentaire. Ces biocarburants devraient céder peu à peu la place à des biocarburants de 2e génération, au fur et à mesure qu’ils gagneront en compétitivité. Ces biocarburants sont issus de cultures non alimentaires : miscanthus, switchgrass, taillis à courtes rotations (saules, robiniers, peupliers) : ces cultures dédiées représentent 10 000 ha en 2020 (source ONRB). Il faudra cependant s’assurer que le déploiement de ces cultures non alimentaires, pérennes et à fort rendement de biomasse, ne concurrence pas indirectement l’alimentation en occupant des terres agricoles de qualité et réserver plutôt ces cultures pour valoriser des terres marginales ou pour protéger des zones de captage. Les recherches se poursuivent pour améliorer les rendements de production de ces biocarburants de 2e génération, ainsi que de 3e génération (à partir de microalgues ou autres microorganismes).

La valorisation des déchets carbonés non végétaux

Une autre source de biomasse pourrait jouer un rôle à l’avenir : les déchets carbonés non végétaux. La SNBC-2 prévoit que leur utilisation fournisse un quart de l’énergie issue de biomasse à l’horizon 2050 (100 TWh issus de déchets sur 450 TWh d’énergie totale issue de biomasse). Ces déchets sont d’origines très diverses : effluents d’élevage, biodéchets des ménages et de la restauration, résidus de l’industrie agroalimentaire, boues de station d’épuration… Ils sont actuellement peu valorisés : les effluents d’élevage (fumier, lisier) et les boues sont en majeure partie épandus sur les sols (même si dans certaines régions les effluents d’élevage sont de plus en plus mobilisés pour la méthanisation), tandis que les biodéchets non épandables sont enfouis ou brûlés et utilisés dans les cimenteries. Différents travaux de recherche visent à valoriser ces déchets. Ainsi, INRAE met au point des prototypes de microméthanisation pour produire du biogaz à partir de déchets ménagers. D’autres procédés de production de biogaz permettant d’utiliser ces déchets sont également à l’étude, notamment la gazéification hydrothermale. 
La valorisation des déchets carbonés non végétaux représente un réel potentiel énergétique et permet le recyclage de la matière dans un modèle vertueux d’économie circulaire. Son développement est cependant conditionné à son coût, à l’évolution technologique des procédés de transformation (en particulier la gestion des contaminants chimiques et des pathogènes dans les boues de station d’épuration et l’hygiénisation des déchets alimentaires de cuisine et de table) et à l’organisation des filières de collecte et de transport. Il faut aussi prendre en compte la perception sociétale des installations de transformation de la biomasse.

Le potentiel de l’agrivoltaïsme

L’agrivoltaïsme dans son principe vise à écarter le risque de concurrence entre énergie et alimentation car il associe sur une même surface la production d’énergie et la production agricole. Il présente aussi des atouts considérables en termes de coût et d’efficacité.
En effet, même en tenant compte des investissements, l’énergie photovoltaïque est actuellement l’une des moins coûteuses si l’on considère le coût de production en sortie de centrale, auquel il convient cependant d’ajouter les coûts de gestion de l’électricité : coût d’équilibrage entre la production et la consommation, coût de raccordement au réseau, etc.). De plus, son coût de production tend à baisser, alors que le coût du gaz fossile par exemple a été multiplié par 4 entre 2021 et 2022 du fait du conflit ukrainien. 
Outre ses avantages économiques, le photovoltaïque offre un fort rendement énergétique. Si l’on équipait en panneaux photovoltaïques 1 % de la SAU française (soit 260 000 ha sur les 26,9 millions d’ha totaux), on pourrait produire autant d’énergie que le parc nucléaire actuellement en service en France (environ 300 TWh par an). La même surface (260 000 ha) de betterave convertie en biocarburants produirait seulement 13,5 TWh par an. L’énergie photovoltaïque est beaucoup plus efficace que les biocarburants pour la motorisation des véhicules : avec les biocarburants issus d’1 ha de cultures, une voiture peut effectuer un trajet de ≈ 22 000 km, alors que le même hectare équipé en panneaux photovoltaïques permet de faire un trajet de 3 millions de km avec un véhicule électrique ! 
L’agrivoltaïsme représente donc un potentiel considérable qui reste à exploiter.