Dossier revue
Bioéconomie

Adapter les bouquets énergétiques à chaque territoire

Toutes les formes d’énergies, même renouvelables, ont leurs limites, économiques, environnementales ou encore sociétales. Il faut souvent arbitrer entre plusieurs usages et envisager des bouquets combinant plusieurs formes d’énergie et de ressources selon les territoires. Entretiens croisés.

Publié le 02 février 2024

Lorie Hamelin
Titulaire de la chaire INRAE sur les transitions vers des économies à bas-carbone fossile

Lorie Hamelin mène un projet ambitieux visant à construire des scénarios régionaux d’utilisation de la biomasse à des fins énergétiques et non énergétiques.
L’objectif ultime est d’établir une base de données facile à consulter pour les décideurs : pour chaque type de biomasse, elle permettra de choisir le meilleur usage et le meilleur procédé, compte tenu des rendements, des impacts environnementaux et des usages substitués (c’est-à-dire ce qu’apporte cette biomasse si elle n’est pas utilisée pour produire de l’énergie). On verra ainsi apparaître des régions plus propices à certains usages de la biomasse qu’à d’autres. Le projet nécessite une cartographie des ressources en biomasse et l’analyse fine de leur composition. Il procède ensuite par « brique d’usage » : plateforme gaz, plateforme biocarburants, etc. Pour chaque usage et chaque substrat, il compare les procédés en termes de rendement et d’impacts environnementaux, grâce à l’analyse de cycle de vie (ACV). Cette ACV calcule 16 indicateurs environnementaux, dont l’impact sur l’occupation des terres et l’impact sur les ressources en eau. « Par la suite, nous ambitionnons d’ajouter un volet économique et un volet de symbiose urbaine, pour récupérer le maximum d’énergie : par exemple utiliser la chaleur, souvent perdue, émise par les procédés de méthanation ou les usines d’incinération, pour déterminer où produire des fruits et légumes en serre. Cela renvoie à une notion de « métabolisme des territoires », à l’instar du métabolisme d’un organisme dont les grandes fonctions (digestion, respiration, etc.) sont coordonnées. Toutes ces informations seront traduites sous forme de jeux de données opérationnels, conclut Lorie Hamelin, consciente de la taille et de l’enjeu du défi.

Ludovic Montastruc et son équipe de l’ENSIACET

Ils étudient les multiples interactions entre les productions d’énergie, de nourriture et l’usage de l’eau. Dans un projet pilote en Aveyron, ils utilisent la plateforme de modélisation Maelia, développée par INRAE, pour identifier les meilleurs lieux d’implantation d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques, en termes de production et de vente d’électricité, ce qui dépend du climat et des subventions disponibles. Puis il en modélise les conséquences pour la production agricole et l’usage de l’eau. « Dans cette démarche, on part des ressources naturelles et de ce qu’elles permettent de faire, puis on définit des scénarios d’aménagement du territoire. Cette approche systémique, novatrice dans le domaine du PSE (Process system engineering), part du principe que c’est la nature qui nous dicte ses limites », analyse Ludovic Montastruc.

Patrick Criqui
Économiste de l’énergie et conseiller auprès de France Stratégie, laboratoire d’économie appliquée de Grenoble, CNRS-UGA

Pour Patrick Criqui, la problématique de la mobilisation de la biomasse à des fins énergétiques amène à adopter une perspective multiéchelle. « C’est à l’échelle nationale ou territoriale qu’il convient de se placer pour construire des scénarios de répartition de la biomasse, afin de boucler les grands équilibres : offre/demande, utilisation des terres, arbitrage entre les usages de la biomasse. » L’évaluation de ces scénarios requiert ensuite une approche pluridisciplinaire et embrasse 3 dimensions : économique, environnementale et sociétale, qui interviennent chacune à différentes échelles. L’évaluation économique doit être systémique pour la définition des politiques publiques, même si elle peut se faire aussi à l’échelle microéconomique d’un projet. L’évaluation environnementale, qui mobilise notamment les méthodes de l’analyse de cycle de vie, peut être conduite à des échelles locales et/ou territoriales. Enfin, la dimension sociétale suscite souvent des processus de co-construction des solutions au niveau local.