Dossier revue
Bioéconomie

Décarboner l'énergie

La limite des réserves en énergies fossiles et leur impact environnemental imposent une transition de nos sociétés vers des fonctionnements moins énergivores et des énergies dites renouvelables afin de limiter nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Focus sur la stratégie française.

Publié le 31 janvier 2024

À l’échelle mondiale, la consommation d’énergies fossiles (charbon, gaz naturel, pétrole) est la première source d’émissions de CO2 (environ 80 %), loin devant 2 autres sources : le changement d’usage des terres et plus particulièrement la déforestation, massive dans certaines régions du monde, et la production de ciment. De fait, le bouquet énergétique mondial repose largement sur les énergies fossiles. Leur consommation dans les différents secteurs d’activité – transport, bâtiment, industrie, agriculture – ne fait que croître, alors que la part des énergies renouvelables (EnR) dites décarbonées (hydroélectricité, éolien, solaire, biomasse-énergie) reste très minoritaire, même si elle progresse. Entre 1995 et 2018 dans le monde, la consommation de charbon a augmenté 12 fois plus que le solaire et 5 fois plus que l’éolien. Et surtout, les énergies renouvelables ne se substituent pas aux énergies fossiles : elles s’y ajoutent pour combler des besoins en énergie toujours croissants.

LEXIQUE
Biomasse énergie 
Part des produits issus de l’agriculture, de la forêt, de la mer et des industries connexes utilisée à des fins de production d’énergie soit directement, soit après transformations au travers de la méthanisation, de la production de biocarburants, etc. 
Elle englobe des cultures dédiées et des résidus de culture, des effluents d’élevage, du bois et une part de déchets industriels et ménagers.

Énergie primaire 
C’est l’énergie brute produite à partir de la nature. Elle est ensuite transformée, transportée, distribuée, stockée, pour fournir l’énergie finale utilisable par le consommateur. 

Bois-énergie 
Il désigne l’utilisation du bois en tant que combustible, pour le chauffage, et dans une moindre mesure, pour produire de l’électricité et des biocarburants après transformation.

Graphique montrant l'augmentation de la consommation mondiale d'énergie primaire entre 1971 et 2018

Objectif neutralité carbone en 2050

À rebours de cette dynamique, l’Europe a élaboré une stratégie dans laquelle les énergies bas-carbone, au lieu de s’ajouter, se substituent aux énergies fossiles, avec pour objectif ambitieux d’atteindre la neutralité carbone en 2050. La neutralité carbone ne signifie pas l’arrêt total des émissions de GES, mais leur réduction maximale et leur compensation par des absorptions équivalentes, avec, au final, un « zéro émission nette » de GES. C’est l’objectif visé en 2050, l’Europe ayant l’ambition d’être « le premier continent climatiquement neutre du monde ».

La position française 

Pour la France, la réduction des émissions de GES à atteindre en 2050 a été calculée en tenant compte des émissions jugées non évitables pour préserver les activités humaines vitales. Cette réduction suppose un effort très conséquent, puisqu’il s’agit de diviser par 5 les émissions de 2021 pour les différents secteurs d’activité. Les transports représentent 31 % de ces émissions, l’agriculture 18 %, l’industrie 19 %, le bâtiment 18 %, l’énergie (production, transformation, distribution) 10 % et le traitement des déchets 4 % 1. Comme ces émissions proviennent essentiellement de l’utilisation d’énergies fossiles, la décarbonation de l’énergie est, après la réduction des consommations, le levier essentiel à actionner pour parvenir à l’objectif de neutralité carbone. Parallèlement, il faut veiller à compenser les émissions par un niveau d’absorption équivalent, en préservant et en développant les puits de carbone (forêts, prairies permanentes, sols agricoles), ce qui entraîne des contraintes supplémentaires. Le défi est donc de taille !
La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), révisable tous les 5 ans, établit un calendrier de réduction des émissions de GES. La SNBC-2, datée de 2018, prévoit un rythme de réduction des émissions de GES de 3 à 4 %, sur la période 2022-2030, afin d’atteindre la neutralité carbone (zéro émission nette) en 2050. La SNBC-3, en cours de définition, devrait prendre en compte le nouvel objectif européen de réduction de 55 % des émissions nettes de GES par an par rapport à 1990, dès 2030, tout en adaptant les scénarios au contexte climatique et géopolitique (prix de l’énergie, souveraineté alimentaire et industrielle, inflation, etc.) 2

1. Citepa. Rapport d'inventaire Secten. Gaz à effet de serre & polluants atmosphériques. Bilan des émissions en France de 1990 à 2022. 
2. Fit for 55, décembre 2020.

Énergies décarbonées ou bas-carbone, énergies renouvelables, de quoi parle-t-on ? 

Les énergies dites décarbonées ou bas-carbone englobent les énergies solaire, éolienne et hydraulique, la géothermie, l’énergie nucléaire et l’énergie issue de la biomasse : bois-énergie, biocarburants et biogaz. En effet, l’utilisation de ces énergies n’émet pas ou peu de GES.

3 leviers :sobriété, efficacité énergétique, électricité doublée et décarbonée

L’énergie issue de la biomasse provient essentiellement de l’exploitation des cultures et des forêts. Son bilan carbone est considéré comme neutre à condition que le rythme de renouvellement de la biomasse puisse soutenir la consommation. Il faut en particulier laisser aux forêts le temps de se régénérer. Au contraire, l’utilisation d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) libère des stocks de carbone accumulés depuis des millions d’années dans des végétaux (pour le charbon) ou du plancton (pour le pétrole) qui ne pourront pas être reconstitués. L’impact sur le changement climatique de ces énergies fossiles est donc bien supérieur en termes d’émissions nettes. 
Les énergies décarbonées, exceptée l’énergie nucléaire, sont renouvelables (EnR), car leurs sources ne sont pas en quantité limitée (soleil, vent, eau) ou sont reconstituables à l’échelle humaine (biomasse). Une nuance doit cependant être apportée pour l’énergie hydraulique : si la quantité totale d’eau sur Terre est importante et constante, sa distribution dans l’espace et le temps subit les effets du changement climatique. Demain, certaines usines hydroélectriques pourraient être mises en difficulté si le débit des cours d’eau qui les alimentent diminue trop drastiquement.
L’énergie nucléaire n’est pas renouvelable car elle est basée sur des minerais (uranium) en quantité limitée, mais une partie des combustibles peut être réutilisée pour produire de l’électricité. 

Les axes majeurs de la stratégie française

La stratégie énergétique de la France pour décarboner l’énergie (SNBC-2)3 vise à diminuer la consommation d’énergie totale de 40 % en 2050 (voir figure du milieu p. 15). Cet objectif devra mobiliser 2 leviers : d’une part, la sobriété énergétique, qui sera fortement encouragée, et, d’autre part, l’augmentation de l’efficacité énergétique par différents moyens : renouvellement des appareils de chauffage, bâtiments mieux isolés et procédés plus efficaces. Les pompes à chaleur par exemple sont 3 fois plus efficaces que les chaudières classiques. Les moteurs électriques sont 2 à 3 fois plus efficaces que les moteurs thermiques, mais il faut prendre en compte l’origine de cette électricité.

Tableau indiquant les valeurs des absorptions et émissions de carbone en 2021 et les oblectifs de la SNBC-2 en 2050

La part de l’électricité dans la consommation d’énergie finale doit passer de 25 à 55 %. Cette électricité sera essentiellement d’origine solaire, éolienne et hydraulique, complétée par une part d’énergie nucléaire variable selon les choix politiques. L’énergie hors électricité est fournie essentiellement par la biomasse : bois-énergie (chauffage essentiellement), biocarburants et biogaz. Le thermique solaire et la géothermie sont minoritaires dans notre pays.
Ces évolutions doivent permettre un abandon quasi total des énergies fossiles : les carburants fossiles pour le transport seront remplacés par l’électrification massive des véhicules légers et l’utilisation de biocarburants et de l’hydrogène pour les véhicules lourds. Quant au fioul domestique et au gaz naturel fossile utilisés pour le chauffage, ils laissent place à une augmentation du chauffage au bois et au biogaz obtenu à partir de la biomasse, ainsi que le développement des pompes à chaleur.

3. RTE. Futurs énergétiques 2050. Principaux résultats. Octobre 2021.

L’ampleur des changements à conduire

La prospective réalisée par RTE (Réseau de transport d’électricité), l’entreprise responsable du réseau public de transport d’électricité haute tension en France métropolitaine, illustre l’ampleur des changements à réaliser dans notre bouquet énergétique.

Comparaison de la consommation d'énergie en 2021 et les objectifs de la SNBC-2 en 2050 en France montrant que le nombre de térawatt-heure doit baisser de 40 %

La décarbonation de l’électricité et l’augmentation de 40 % de sa part dans le mix énergétique impliquent d’accélérer très fortement le développement des énergies solaire et éolienne, qui restent pour l’instant très minoritaires. Hors électricité, le recours à la biomasse devra lui aussi être massif, avec en particulier le défi de remplacer la totalité du gaz d’origine fossile, qui représente actuellement plus de 20 % de l’énergie finale consommée, par du biométhane issu de méthanisation ou d’autres procédés en cours de développement et qui vont passer à un stade industriel dans les prochaines années (pyrogazéification, gazéification hydrothermale). 

Électricité : une énergie transformée

Contrairement au pétrole, au gaz ou au bois, l’électricité est produite à partir d’autres d’énergies : combustion du charbon, fission d’atomes d’uranium, force du vent ou de l’eau, etc. Toutes les voies de production d’électricité occasionnent des pertes plus ou moins importantes ; le rendement des centrales thermiques fossiles et des centrales nucléaires est d’environ 30 %, les deux-tiers de l’énergie étant perdus sous forme de chaleur. 
Pour produire 1 kWh d’électricité, il faut donc dépenser 3 kWh d’énergie primaire. 
Une meilleure valorisation de cette chaleur perdue constitue ainsi un enjeu important. A contrario, la production d’électricité par les énergies renouvelables a un rendement de 100 % par rapport à l’énergie captée mais soulève une autre question, celle du stockage qui induit également des pertes : le rendement de conversion des batteries lithium-ion ou des station de transfert d’énergie par pompage (STEP) est de 70-80 %, celui du stockage sous forme d’hydrogène (H2) est de 30-40 %.

Courbes indiquant l'évolution de la consommation totale d'électricité et de la consommation d'énergie finale pour les autres énergies depuis 1960 et projection jusqu'à 2050

 

Sobriété énergétique
INRAE, la preuve par l'exemple

En tant qu’établissement public tenu à l’exemplarité énergétique 4, INRAE met en place un plan d’action national pour économiser l’énergie dans ses bâtiments, plan décliné avec une équipe « énergie » dédiée dans chacun de ses 18 centres et dans son centre-siège. Trois centres pilotes (Pays de la Loire, Grand-Est Colmar et Nancy) ont par exemple mis au point une méthode pour suivre les consommations énergétiques au niveau de chaque bâtiment afin d’identifier les actions à mener. Parmi celles-ci, la sensibilisation des utilisateurs peut permettre 10 à 30 % d’économie. La sobriété numérique est aussi encouragée, en allongeant la durée de vie des matériels informatiques et en privilégiant l’achat d’équipements reconditionnés. Au niveau des transports, l’usage du vélo, du covoiturage et la réduction des trajets aériens sont encouragés. Au-delà de la sobriété énergétique, INRAE favorise les énergies renouvelables (véhicules de fonction électriques, arrêt des chaudières à fioul en 2029) et le recyclage des déchets : le centre Île-de-France-Versailles-Saclay s’emploie à recycler les plastiques de laboratoire avec une start-up locale. À travers toutes ces actions, INRAE s’inscrit dans un cadre plus large et participe à une initiative nationale de la recherche publique française pour évaluer et diminuer son empreinte carbone. Ainsi, 2 000 chercheurs et 20 laboratoires pilotes se sont engagés pour tester des solutions sous l’égide de l’Ademe, du CNRS et d’INRAE.

4. Loi LTECV, loi de transition énergétique pour la croissance verte, 2015.