Dossier revue
Alimentation, santé globale

Lutter contre la précarité alimentaire

Pour pallier le fléau de la précarité alimentaire, les initiatives se multiplient. Certaines s’adressent spécifiquement aux populations défavorisées, d’autres sont ouvertes à l’ensemble de la population. Les scientifiques évaluent l’effet de ces dispositifs sur la qualité des régimes alimentaires. Tour d’horizon des politiques publiques et initiatives locales.

Publié le 06 juillet 2023

Des dispositifs généraux pour tous

 

La politique de lutte contre la précarité alimentaire menée par l’État vise à favoriser une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante pour tous. Plusieurs dispositifs nationaux de prévention ont été déployés et s’adressent à l’ensemble de la population. Eclairage en 4 exemples.

Nutri-score : un système d’informations efficace

Les informations nutritionnelles renseignent le consommateur sur la teneur en nutriments des aliments : ceux à favoriser (fibres, protéines, acides gras insaturés…) et ceux à éviter (sucres, sel, acides gras saturés). Le Nutri-score, lancé en 2017, propose une information simplifiée. Apposé sur les emballages des produits alimentaires, il classe les aliments sur une échelle de A à E (du vert au rouge). Il est conçu pour traduire des informations nutritionnelles souvent complexes en information simple et aider à choisir des aliments plus sains.

L’épidémiologiste et nutritionniste Chantal Julia, de l’université Paris 13, a étudié dès 2016 l’impact du Nutri-score : celui-ci est similaire quel que soit le niveau de diplôme. Plus récemment, son équipe a observé, auprès de 336 participants de la cohorte NutriNet-Santé, la façon dont le Nutri-score impacte les intentions d’achat de la population active à faibles revenus (< 1 200 €/ mois). Les participants à l’étude étaient invités à faire leurs courses dans un supermarché en ligne. Ils étaient divisés en trois groupes disposant d’informations différentes : l’un avec le Nutri-score des produits, un deuxième avec les apports de référence, le troisième sans indications nutritionnelles. Le groupe disposant du Nutri-score a composé les paniers de courses affichant la meilleure qualité nutritionnelle globale, et notamment avec une baisse significative des calories et des graisses. « Le Nutri-score est efficace pour les personnes à faibles revenus », conclut Chantal Julia.

A lire : 5 bonnes raisons de généraliser le nutriscore

Les cantines scolaires, un levier contre l’insécurité alimentaire

La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté s’appuie sur les cantines scolaires pour proposer aux enfants des repas équilibrés, en quantité suffisante, et favoriser les apprentissages. Ainsi la loi Egalim de 2018, complétée par la loi Climat et résilience de 2021, oblige les restaurations collectives, en particulier scolaires, à proposer 50 % au moins de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % issus de l’agriculture biologique, et à servir un repas végétarien par semaine. Depuis le 1er janvier 2019, l’État soutient la tarification sociale à la cantine (les tarifs se font en fonction des revenus des familles) et subventionne les repas facturés moins de 1 € (subvention de 3 €/repas depuis 2021), c’est-à-dire ceux des enfants les plus pauvres.

Illustration de cantines scolaires

En 2021, seulement 1 commune sur 5 a mis en place ce type de tarification. Mais tous les enfants ne vont pas à la cantine : 42 % rentrent à la maison pour le déjeuner. Pour les enfants en maternelle et élémentaire, c’est principalement en raison de la présence d’un parent (le plus souvent la mère) à la maison et de la proximité de l’école. La qualité nutritionnelle des repas varie selon les communes : une étude menée en 2020 dans 101 communes de banlieue parisienne montre que les recommandations nutritionnelles ne sont que partiellement suivies (en moyenne 8 critères respectés sur 15). Parmi ces communes, une meilleure qualité nutritionnelle (c’est-à-dire le respect d’un plus grand nombre de critères parmi les 15 recommandés) est observée dans les cantines autogérées par la commune (vs gestion concédée à une entreprise prestataire), et dans les villes de plus grande taille.

Apprendre à bien manger avec les chouettes cantines

 

Le projet Chouette cantine vise à renforcer chez les enfants le plaisir de consommer des aliments bons pour leur santé et pour la planète. Porté par Sophie Nicklaus, spécialiste du comportement alimentaire à INRAE, Chouette cantine est un projet financé par le Programme d’investissements d’avenir Territoire d’innovation « Dijon Alimentation durable 2030 » porté par Dijon Métropole. Dans les cantines des 38 écoles, la chercheuse et son équipe suivent la qualité nutritionnelle et l’empreinte carbone des menus. L’appréciation du plat principal par les enfants est recueillie au moyen de bornes de satisfaction.

Selon les premiers résultats, qui seront publiés courant 2023, les plats végétariens sont aussi appréciés que les non-végétariens. « Il est important de créer des menus qui respectent la réglementation, qui prévoient la présence de plats végétariens et des légumes, pour proposer aux enfants autre chose que leurs plats préférés. » Car leur préférence, mesurée dans l’étude, va toujours aux pâtes et aux frites ! « Ce que nous mangeons transforme le territoire où nous vivons. » Tel est le leitmotiv de Chouette cantine, pour qui l’analyse sur l’empreinte environnementale et l’introduction de menus végétariens est en lien étroit avec la provenance des produits. « C’est un aspect que nous souhaitons mettre en lumière dans le dispositif d’éducation alimentaire des enfants, pour leur faire comprendre l’origine des aliments qui sont dans leur assiette, comment ils sont préparés, cuisinés… et leur apporter tous les éléments de connaissance qui peuvent leur manquer », déclare Sophie Nicklaus.

Investir les applications numériques

Calories ingérées et dépensées, qualité nutritionnelle ou environnementale des produits… Nombre d’applications numériques concernent l’alimentation. Elles sont disponibles pour toute la population disposant d’un smartphone. À partir d’entretiens avec des utilisateurs (et non-utilisateurs), la sociologue Faustine Régnier au laboratoire PSAE, à Saclay, s’est intéressée aux outils d’automesure de l’alimentation et de l’activité physique, aux applications sur le diabète et à celles de notation des produits alimentaires selon leur qualité nutritionnelle et les additifs présents (du type Yuka) et sur leur dimension durable (comme Etiquettable). Chez les personnes aisées, ces applications sont utilisées comme un outil parmi d’autres de suivi des comportements de santé. En revanche, les catégories médianes ont complètement investi ces outils, qu’il s’agisse d’outils d’automesure ou d’applications. La sociologue relève une forte envie, chez ces catégories médianes, de mettre en œuvre les recommandations nutritionnelles sans toujours savoir comment faire. « Ces outils leur permettent d’échanger “entre pairs” et d’échapper à une relation top-down de l’information ».

Alimentation & santé, suivi des recommandations, ... les applications permettent d'échapper à une relation top-down de l’information.

Chez les catégories modestes, l’usage de ces applications est moins important. Les individus sont plus réticents à l’égard des applications orientées santé ou nutrition. Celles centrées sur la cuisine sont en revanche bien perçues. Les raisons de cette réticence sont nombreuses : freins techniques (matériel peu performant) mais aussi manque de familiarité avec les nouvelles technologies. Ce frein est d’autant plus marqué chez les femmes, qui cumulent souvent moindre utilisation des outils numériques et isolement social. Faustine Régnier relève une meilleure appropriation des applications lorsque les personnes sont formées à leur installation et leur utilisation. Lors d’ateliers collectifs de femmes suivis en 2018 par INRAE et la chaire ANCA d’AgroParisTech, les participantes ont montré non seulement l’intérêt d’un appui technique, mais aussi l’intérêt de l’apprentissage de la prise de parole en ligne et la forme d’intégration sociale que ces ateliers représentent (en opposition à une utilisation chez soi de façon isolée). Faustine Régnier conclut qu’avec un accompagnement, les applications numériques pourraient être un outil pertinent pour accompagner les populations modestes en se focalisant sur l’approche culinaire. « Ne communiquons pas uniquement sur la santé. On peut très bien faire passer un message santé via un levier culinaire. »

Les taxes nutritionnelles : une piste à affiner

L’augmentation du taux d’obésité et de diabète a poussé les pouvoirs publics à veiller à la consommation de sucre par la population, en particulier avec une taxe sur les boissons sucrées (en sucres ajoutés). Entrée en vigueur en France en 2012, la « taxe soda » s’applique aux eaux sucrées, sodas et jus de fruits à base de concentré, ou contenant du sucre ajouté. Auteur d’études sur cette taxe, Fabrice Etilé, économiste au laboratoire PJSE à Paris, constate un effet modeste sur la consommation, et peu différencié selon le niveau de revenu des ménages : -5 % pour les ménages à bas revenus (17,3 L/personne/an avant taxe) et -3,7 % pour les ménages à hauts revenus (13,7 L/personne par an avant taxe). Un effet modeste pour des taxes inégalement répercutées. En effet, l’impact de la taxe sur le prix de vente peut être atténué par la marge du producteur, du commerçant, etc. Or les travaux de Fabrice Etilé montrent que la taxe est transmise en plus grande proportion au prix final dans les commerces situés dans des zones sans concurrence, ou dont les habitants sont de milieux défavorisés (alors justement qu’ils consomment, en moyenne, plus de boissons sucrées).

Illustration du dossier Bien manger, une histoire de représentations

Afin d’inciter les industriels à reformuler leurs produits vers des compositions moins sucrées, la taxe a été réajustée en 2018, avec un barème en 16 tranches, de 3,17 centimes par litre pour les moins sucrées, à 24,78 centimes par litre pour celles dépassant les 15 g de sucre par 100 mL. Cet ajustement a eu peu d’effet. Au Royaume-Uni, la Soft drinks industry levy, introduite en 2018, est décomposée en 3 tranches. Nombre d’industriels ont alors baissé le taux de sucre de leurs boissons afin de passer dans la tranche inférieure de taxe. Fabrice Etilé explique ce succès par « une réforme plus simple, plus claire pour les entreprises et plus simple à surveiller par les pouvoirs publics ».

Des taxes sur d’autres produits pour lesquels une baisse de consommation est conseillée, comme les produits ultratransformés, sont en question. Une stratégie complémentaire ou alternative pourrait être de subventionner les produits favorables à la santé. Une étude montre qu’en France, subventionner à hauteur de 20 % les fruits et légumes pourrait augmenter les achats de 8 à 10 % (voir Ressources# 1). De telles politiques de subventions peuvent cependant être complexes à mettre en place vis-à-vis des règles de l’Union européenne. Mais la transmission au prix de cette subvention reste à étudier afin de s’assurer que les politiques de marge des distributeurs n’entament pas les efforts publics.

 

Des dispositifs à destination des populations défavorisées

Les personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale sont plus durement touchées par la précarité alimentaire et ses conséquences. Des dispositifs spécifiques de soutien et d’informations leur sont proposés. Retour sur 3 exemples inspirés par les scientifiques.

Fruits et légumes à la une dans les épiceries solidaires

Accessibles sur critère social, les épiceries sociales et solidaires proposent des denrées alimentaires à un coût inférieur au marché, pour permettre à leurs utilisateurs de rester acteurs de leur alimentation et de leur budget. Pourraient-elles favoriser l’achat de produits végétaux ? Le Territoire d’innovation « Dijon Alimentation durable 2030 » expérimente. La métropole de Dijon compte deux épiceries solidaires qui proposent les produits à 1/3 des prix du marché et sont réservées aux personnes désignées par les services sociaux de la ville (selon un seuil de « reste à vivre » lié au revenu, aux dépenses contraintes comme le loyer, à la taille du foyer…).

Illustration d'épiceries solidaires

Afin d’augmenter la capacité des utilisateurs à faire des choix « informés », l’une des épiceries sociales pilote une série d’actions autour de trois grands thèmes : donner envie (en mettant en valeur les fruits et légumes dans l’épicerie), disposer de trucs et astuces en cuisine (ateliers avec un chef par exemple), (re-)prendre confiance sur le sujet de l’alimentation. Les intéressés sont partie prenante du choix des actions avec la direction de l’association et l’animateur recruté pour l’hiver 2021/22. « La consommation de fruits et légumes est saisonnière : on en mange 50 % de plus en été qu’en hiver », souligne Valentin Bellassen, économiste au laboratoire CESAER (Dijon) qui suit cette expérimentation. Le suivi de 150 utilisateurs, à la consommation initiale proche de la moyenne française, se fait par un questionnaire de fréquence de consommation. Celle-ci ne montre pas de changement substantiel à ce stade, en cohérence avec les observations relevées dans la littérature actuelle sur des expérimentations similaires. L’analyse des tickets de caisse, que les participants doivent conserver, permettra d’en savoir plus.

Apprendre à choisir ses produits avec Opticourses

Opticourses est basé sur des ateliers collectifs et vise à réduire la précarité alimentaire.

Opticourses est un programme de promotion de la santé ouvert à toute personne préoccupée par la thématique « alimentation et budget ». Ce programme, basé sur des ateliers collectifs, vise à armer les personnes en situation de précarité alimentaire pour qu’elles puissent avoir des approvisionnements alimentaires équilibrés et plus durables sans dépenser plus.

C’est grâce à une recherche interventionnelle, coordonnée par Nicole Darmon, experte en nutrition et santé publique au laboratoire Moisa (Montpellier), dans des quartiers défavorisés de Marseille de 2010 à 2014 avec le soutien de l’ARS-PACA et de l’Institut national du cancer, que le programme a pu démontrer son impact positif sur l’équilibre nutritionnel des achats alimentaires. Labellisé « action probante » par Santé publique France, le programme s’est développé depuis 2015 en PACA et dans d’autres régions, via l’animation d’ateliers par les professionnels de la diététique ou du travail social. Soutenu par la Fondation Agropolis, Opticourses est devenu une marque et travaille sur son développement et sa pérennisation en renforçant ses objectifs de durabilité.

Se former à la démarche Opticourses (Chaire Unesco)

Chèques et aides : des apports financiers pour favoriser le choix

Les dispositifs d’aides financières visent à donner plus de choix aux utilisateurs et réduire leur stigmatisation. Certains pays, comme les États-Unis, misent sur ce système de lutte contre la précarité alimentaire. En France, ce modèle est encore en expérimentation. Les coupons alimentaires augmentent la consommation d’aliments sains de 20 % en moyenne, surtout lorsqu’ils sont associés à de l’éducation nutritionnelle. Mais en France, la première expérimentation de chèques alimentaires ciblés, en 2015, sur les fruits, légumes et légumineuses a peiné à atteindre ce but. Le montant de 6 € mensuel par personne était-il trop faible ou la communication inadaptée ? Trop centrée fruits et légumes frais, quand le bénéfice santé de ceux surgelés est proche ?

Illustration du programme Opticourses

Pour évaluer ce point, la métropole de Dijon expérimente depuis l’hiver 2021 un chèque de 34 € par mois pour l’achat de fruits et légumes sous la direction de Valentin Bellassen, économiste au laboratoire CESAER à Dijon. Aux États-Unis depuis longtemps la lutte contre la précarité alimentaire se base sur une aide financière versée sur une carte bleue dédiée.
Ce système est aujourd’hui à l’étude à Montreuil dans le cadre du projet Passerelle. Marlène Perignon, spécialiste de la santé publique au laboratoire Moisa à Montpellier, explique : « On étudie deux modalités : une carte dédiée aux enseignes alimentaires et aux services comme la pharmacie et La Poste ou bien une carte utilisable dans tous les commerces et pour le retrait d’espèces ». Le montant de l’aide est de 63 € par mois et est couplé avec un accompagnement personnalisé à la gestion d’un budget. D’autres chercheurs réfléchissent à un droit à l’alimentation et une sécurité sociale de l’alimentation. Des initiatives inspirées de ce principe se développent à Bordeaux, Montpellier, Lyon… Elles sont encore locales et sont basées sur des subventions et non sur une cotisation généralisée. Elles reposent à ce jour sur des modalités concrètes assez variées et devraient faire l’objet d’évaluations approfondies pour bien identifier leurs apports et limites par rapport à d’autres outils.