illustration Sophie Nicklaus, le comportement alimentaire de la table au territoire
© INRAE B. Nicolas

Alimentation, santé globale 4 min

Sophie Nicklaus, le comportement alimentaire de la table au territoire

Elle est capable d’interpréter les mimiques des bébés lors de leur repas autant que les jeux d’acteurs complexes d’un projet territorial. De l’individu à la collectivité, de la naissance à l’âge adulte, Sophie Nicklaus s’est engagée pour une alimentation saine et durable. Directrice de recherche au Centre des sciences du goût et de l’alimentation, INRAE Bourgogne-Franche-Comté, elle reçoit le Laurier 2022 Défi scientifique.

Publié le 28 novembre 2022

Un bébé installé sur une chaise haute, face à sa maman… et entouré de deux caméras et d’une balance… Voilà un dispositif expérimental habituel dans l’équipe de Sophie Nicklaus pour étudier la complexité du comportement alimentaire qui se cache derrière les petits yeux ronds et les mimiques de l’enfant. Concevoir des protocoles scientifiques pour étudier le comportement alimentaire et in fine l’infléchir, c’est toute la démarche de Sophie Nicklaus depuis le début de sa carrière de chercheuse.

Des bébés nourris sainement

De nombreuses études expérimentales et des enquêtes en cohortes ont permis à Sophie d’acquérir un corpus de connaissances très riche sur le développement du comportement alimentaire chez l’enfant. À partir de ces connaissances, un guide, paru en 2021, conseille les parents pour les aider à nourrir sainement leur enfant et à prévenir les risques d’obésité.

Etude de comportement alimentaire chez l'enfant
Étude de comportement alimentaire chez l'enfant.

Ce guide prend en compte pour la première fois les aspects comportementaux de l’alimentation, en plus des recommandations nutritionnelles. Il souligne en particulier l’importance d’une diversification précoce de l’alimentation : présenter une variété de fruits et légumes de manière répétée, sans se décourager au premier refus, introduire des petits morceaux avant même que le bébé ait des dents pour encourager la mastication, présenter tous les types d’aliments au bon moment pour développer son système immunitaire et prévenir la survenue d’allergie. La dimension psychologique de l’alimentation, consciente et inconsciente, est fondamentale. C’est pourquoi Sophie a cherché à élucider les mécanismes psychologiques de l'apprentissage alimentaire. Elle a montré par exemple que l’effet de satiété associé aux lipides dans une purée d’artichaut se reproduira même avec la purée d’artichaut sans lipides, par association de flaveurs. « Nous avons des psychologues dans l’équipe, ce qui est rare dans les unités INRAE dédiées à l’alimentation. » Le comportement des parents quand ils nourrissent leur enfant a été particulièrement étudié, leur insistance éventuelle, leur interprétation des signaux de rejet ou de satiété. Ces études convergent pour encourager ce que l’on appelle un « nourrissage réceptif », où le parent apprend à percevoir et à respecter les signaux de satiété parfois subtils de son enfant. C’est important pour que l’enfant garde le contrôle de son appétit et sache s’arrêter de manger quand il n’a plus faim.

La dimension psychologique de l’alimentation est fondamentale

« L’ensemble des résultats rassemblés dans ce guide est un corpus de connaissances unique », résume Sophie Nicklaus. Poursuivant sa démarche scientifique rigoureuse, Sophie a construit un protocole pour savoir si les recommandations du guide, ainsi qu’une application smartphone développée pour en faciliter l’appropriation par les parents, permettent effectivement un meilleur nourrissage des bébés. « Nous le saurons en mesurant leur indice de masse corporel (IMC) à 3 ans : nous verrons si le suivi des recommandations permet de diminuer l’IMC et de limiter ainsi les risques d’obésité. »

La dimension de l’alimentation durable

La petite enfance est une période fondatrice pour le développement du comportement alimentaire. « Lors de mon travail de thèse, j’ai montré que les préférences alimentaires construites dès l’âge de 2 ans sont remarquablement stables jusqu’à l’âge adulte, et ce résultat m’a intriguée et fascinée. » Il existe malgré tout une marge d’action pour encourager à tout âge une alimentation durable, dans ses dimensions à la fois nutritionnelle, environnementale, économique et sociale. Devant l’urgence climatique, la Métropole de Dijon a initié en 2020 un vaste programme appelé « Dijon, Alimentation durable 2030 », dont Sophie assure la direction scientifique.

Les plats végétariens recueillent auprès des enfants un score aussi bon, voire meilleur, que les plats carnés

Avec son équipe, elle conduit des projets ambitieux en matière de restauration scolaire et étudiante. « Nous avons étudié l’offre alimentaire sur les plans nutritionnels et environnementaux1 et nous confirmons le constat que diminuer la consommation de viande est le levier le plus puissant pour améliorer l’empreinte environnementale de l’alimentation, sans provoquer de déficit nutritionnel ». Dans le programme « Chouette cantine », il s’agit donc de favoriser l’introduction de repas végétariens et leur adoption en valorisant le plaisir à travers les 5 sens. Un repas végétarien par semaine a déjà été institué dans les écoles par la ville de Dijon, dans le cadre de la loi Egalim. L’équipe de Sophie mène une enquête auprès des parents pour recueillir leur avis sur un deuxième repas végétarien optionnel, qui sera proposé en janvier, voire une offre végétarienne quotidienne. Les scientifiques ont également obtenu un résultat important et encourageant, à l’aide de bornes de satisfaction installées dans les cantines : les plats végétariens recueillent auprès des enfants un score en moyenne aussi bon, voire meilleur, que les plats carnés

Une démarche analogue est conduite auprès des étudiants, pour comprendre leurs choix alimentaires : un système de scan de plateaux utilisable par 1 000 étudiants volontaires sera installé dans le restaurant universitaire de Dijon, en collaboration avec le CROUS 2. Ce dispositif permettra de suivre les réactions des étudiants à une modification de l’offre de plats. Étape préalable à ce travail : convaincre le CROUS du bien-fondé de la démarche, chiffres à l’appui !

Un engagement doublé de patience et de compréhension des enjeux politiques

« Notre alimentation est à la fois fondamentale et banalisée, analyse Sophie Nicklaus. Nous avons au moins 200 décisions alimentaires à prendre par jour, et pourtant, nous adoptons des routines dont il est difficile de se départir ». Il y a un long travail de prise de conscience à mener à tous les niveaux. Par exemple, pour faire évoluer l’offre alimentaire à la cantine scolaire ou universitaire, il faut mobiliser tout le personnel, depuis la direction jusqu’aux cuisines ! « Nos études montrent qu’il y a actuellement 25 % des plats proposés à base de bœuf au resto-U, ce qui est beaucoup ! Il faut montrer des chiffres pour faire prendre conscience du poids des habitudes et des marges de manœuvre. »

Parvenir à une résilience et à une souveraineté alimentaire commence à l’échelle du territoire

A l’échelle du territoire, c’est toute la complexité de la chaîne agroalimentaire qui est en jeu. Le projet « Dijon, Alimentation durable 2030 » prévoit par exemple l’installation d’une légumerie locale, mais il y a un manque de productions maraichères de proximité… Ce qui veut dire revenir au foncier, encourager l’installation de jeunes agriculteurs avec un cahier des charges adapté… Autre exemple, une action agroécologique vertueuse, comme l’introduction de légumineuses dans les rotations de cultures, peut se heurter aux réalités géopolitiques, lorsque le prix des céréales s’envole et qu’il est plus rentable à court terme de cultiver du blé.  Ainsi, « Dijon, Alimentation durable 2030 » est un exemple emblématique de dispositif multiacteur, avec beaucoup d’enjeux parfois contradictoires. Il faut réussir à relever ces défis, car parvenir à une résilience et à une souveraineté alimentaire commence à l’échelle du territoire », conclut Sophie Nicklaus, dont l’engagement et l’enthousiasme restent entiers.

1. Évaluation nutritionnelle par la méthode Nutriscore, lire l'article. Évaluation environnementale via la base Agribalyse 3.0, lire l'article.

2. CROUS : Centre régional des œuvres universitaires et scolaires.

Equipe de Sophie Nicklaus
Sophie Nicklaus et son équipe du Centre des sciences du goût et de l’alimentation (centre INRAE Bourgogne-Franche-Comté).

 

ET LE LAURIER INRAE ?

« Je suis très heureuse de ce Laurier, comme reconnaissance de cette thématique originale et complexe qui consiste à comprendre l’origine des comportements alimentaires, et les leviers pour les faire évoluer. »

MINI-CV
51 ans

  • Formation
    2013 : Habilitation à diriger des recherches, université de Bourgogne, Dijon
    2004 : Doctorat en science de l'alimentation, université de Bourgogne, Dijon
    1995 : Ingénieur agronome, Institut national agronomique Paris-Grignon, devenu AgroParisTech
  • Parcours
    Depuis 2006 : UMR Centre des sciences du goût et de l’alimentation, centre INRAE Bourgogne-Franche-Comté, département Alimentation humaine : chargée de recherches jusqu’en 2013, directrice de recherches depuis 2014.
    2004-2005 : Monell Chemical Senses Center, Philadelphia, USA
    1998-2004 : Ingénieur d’études UMR Arômes, centre INRAE Bourgogne-Franche-Comté
  • Prix et distinctions
    2022 : Laurier Défi scientifique d’INRAE
    2022 : Chevalier de la Légion d’honneur
    2018 : Danone International Prize on Alimentation, Institut Danone International

 

Brochure-SPF-Mangerbougerfr.pdfpdf - 6.15 MB

Pascale MollierRédactrice

Contacts

Sophie Nicklaus UMR1324 CSGA Centre des Sciences du Goût et de l'Alimentation

Le centre

Le département