Dossier revue
Alimentation, santé globale

Les industriels misent sur les aliments fermentés

Interview croisée de Damien Paineau directeur exécutif du Grand défi Ferments du Futur piloté par INRAE et l’ANIA, et Antoine Baule président de la commission innovation de l’ANIA, l’Association nationale des industries alimentaires.

Publié le 03 février 2023

Pourquoi les industriels s’intéressent-ils aux aliments fermentés ?

Antoine Baule, Président de la commission innovation de l'ANIA

Antoine Baule :  La science des micro–organismes et la biotechnologie au sens large ont fait des progrès absolument considérables. Les industriels en sont conscients et ils se sont intéressés à ce sujet soit parce qu’ils produisent des microorganismes soit parce qu’ils les utilisent. C’est le cas des grands de l’industrie laitière, de la charcuterie mais aussi du vin et de la bière. Pour eux, les bénéfices sont de plusieurs ordres : une meilleure sélection des microorganismes pour faire des aliments fermentés de bonne qualité et de meilleure résistance, et le développement de nouveaux aliments.

 

 

Damien Paineau, Directeur exécutif du Grand défi Ferments du Futur

Damien Paineau : Si on parle des industriels, on parle indirectement des consommateurs. On voit bien la tendance actuelle qui est d’aller vers des solutions plus naturelles : des aliments avec une liste d’ingrédients plus courte, des aliments non transformés ou moins transformés, avec moins d’additifs chimiques. On sait que la fermentation va permettre de conserver les aliments en limitant significativement le recours à ces additifs. 

A. B. : On peut prendre l’exemple de la vanilline. Cet arôme de vanille, très utilisé aujourd’hui, provient actuellement de la chimie du carbone et donc du pétrole. La fermentation permettrait d’obtenir de la vanilline, et de nombreux autres arômes, de façon naturelle. C’est un des gros bénéfices de la fermentation et c’est ce qui attire les industriels. Petit à petit la fermentation évincera les ingrédients obtenus par synthèse organique.

Quel intérêt pour les industriels de s’impliquer dans ce vaste programme de recherche ?

A. B. Dans l’objectif de développer des alternatives aux protéines animales, les industriels veulent développer des nouveaux produits à base de protéines végétales. Or les protéines végétales brutes ne sont pas extraordinaires d’un point de vue organoleptique. En revanche si vous les fermentez, vous obtenez des goûts et des textures très intéressantes. Mais, la structure des matrices végétales étant très hétérogène, on ne sait pas encore très bien les fermenter à grande échelle. Les industriels sont donc très en demande des avancées de la science sur ce sujet.

L’enjeu est de maintenir 
et renforcer le leadership français et européen sur une thématique stratégique.

D. P. C’est un bon exemple ! En effet, si un industriel veut développer un aliment de type fromage mais à base de protéines végétales et qu’il s’aperçoit que ses premiers produits ont des limites telles que la digestibilité des protéines ou des goûts peu satisfaisants, il va s’adresser à la plateforme de Ferments du Futur pour trouver un nouveau mix de microorganismes ou pour développer un processus de transformation qui permet d’augmenter la biodisponibilité des protéines et de retirer les « mauvais » goûts identifiés dans son produit. 
Côté recherche, on va regarder dans notre base de données qui recense des milliers de microorganismes pour identifier, via des approches prédictives, des groupes de bactéries qui pourraient apporter les bénéfices attendus par l’industriel. Mais cela suppose d’avoir une base de données riche et très bien caractérisée, et de développer des modèles prédictifs tenant compte des relations extrêmement complexes entre microorganismes. C’est un véritable défi en soi. Dans une deuxième phase, on pourra tester les microorganismes et les procédés de façon expérimentale afin de s’assurer que les bénéfices attendus sont bien effectifs. 

Et pour la recherche ?

D. P. Ce Grand défi est animé par un consortium mixte d’acteurs publics et privés qui collaborent pour lever les verrous scientifiques et technologiques dans les domaines de la fermentation. Il s’agit bien sûr de produire des connaissances, mais aussi de travailler en direct avec les industriels pour s’adapter plus vite aux attentes des consommateurs, et ainsi accélérer l’innovation au service des transitions alimentaires. L’enjeu est de maintenir et de renforcer le leadership français et européen sur une thématique hautement stratégique, qui est soutenue par des investissements publics et privés massifs dans le monde entier.

A. B. Les progrès de la science de ces vingt dernières années permettent d’avoir aujourd’hui des résultats très concrets pour les industriels. Le premier décryptage du génome d’une levure était encore il y a quelques années le fruit d’un an de travail, aujourd’hui les technologies permettent d’en décrypter trois ou quatre par jour !

Quels seront les équipements technologiques qui seront développés dans Ferments du Futur ?

D. P. On va commencer par s’appuyer sur les infrastructures existantes dans les équipes de recherche impliquées dans ce Grand défi. Ensuite, on prévoit la mise en place d’une plateforme technologique extrêmement innovante sur le plateau de Saclay (91) fin 2023, avec pour objectif de démarrer des projets en 2024. Cette plateforme qui sera unique en Europe sera composée de trois plateaux techniques : un plateau dédié au criblage haut débit des consortia microbiens afin d’identifier les meilleures combinaisons de microorganismes par rapport à un objectif prédéfini. Un second plateau développera de nouveaux procédés grâce à des fermenteurs permettant de travailler des matrices très diverses, à différentes échelles. Enfin, une plateforme analytique permettra de caractériser finement l’aliment produit sur des aspects sensoriels, nutritionnels ou encore santé. Cette plateforme technologique est au centre du dispositif. Elle a pour objectif de fournir à l’industriel partenaire une preuve de concept robuste qui lui permette de poursuivre le développement dans ses propres infrastructures. Elle a vocation à être pérennisée pour fonctionner au-delà de la durée du programme.

A. B. La plateforme sera le point d’entrée des industriels vers l’ensemble des compétences de recherche d’INRAE et de ses partenaires scientifiques. Et c’est tout l’intérêt d’un tel partenariat public/privé : faire de la recherche amont que les industriels ne peuvent pas financer car ils sont davantage dans des objectifs à court terme. Les connaissances produites pourront être brevetées et trouver des applications auprès des industriels. C’est finalement un moyen formidable d’accélérer l’innovation !

Les procédés seront-ils eux aussi durables ?

D. P C’est en tout cas un des objectifs de Ferments du Futur ! Aujourd’hui, les procédés de fermentation utilisés en milieu industriel ne sont pas particulièrement économes en énergie, en eau, en substrats de fermentation et produisent des déchets. Dans le cadre de Ferments du Futur, lorsque l’on va développer des nouveaux procédés, on va évidemment s’attacher à réduire leur impact environnemental pour que non seulement les aliments produits soient au rendez-vous des attentes sociétales mais que la façon de les produire le soit aussi. Par exemple, si on arrive à réduire de quelques degrés les conditions de fermentation tout en maintenant de bons résultats sur les produits, à l’échelle industrielle, il peut y avoir un impact environnemental majeur.