Dossier revue
Alimentation, santé globale

Les 4 atouts des aliments fermentés

Si l’alimentation fermentée semble être un levier de la durabilité, elle a également d’autres vertus. Le processus de fermentation ne se limite pas à la préservation des aliments et à la création de nouvelles textures et d’arômes, il produit également des propriétés qui pourraient avoir un impact positif sur la santé. Explications.

Publié le 03 février 2023

Lorsqu’un aliment est fermenté, ses propriétés sont modifiées et cela a des effets sur la structure physicochimique de sa matrice alimentaire. Les microorganismes présents dans l’aliment fermenté produisent des molécules, appelées métabolites, qui peuvent dans certains cas avoir des effets santé, tels que la production de vitamine C dans la choucroute par exemple. Ils peuvent aussi agir en enrichissant la diversité des microorganismes au sein du microbiote de celui qui les mange, élément essentiel de la santé humaine (voir Ressources #2).  Tour d’horizon des atouts des aliments fermentés.

1 - COMPOSITION - Plus de vitamines et d’acides gras

Les aliments fermentés renferment, par définition, une multitude de microorganismes, plusieurs millions voire milliards. Cet écosystème produit des molécules soit directement soit en interaction avec les composants de la matière de l’aliment (protéines, lipides, etc.). Ainsi, l’aliment fermenté est, dans sa composition, très différent de l’aliment de base. Et pour certains aliments, sa nouvelle composition est intéressante nutritionnellement, c’est le cas pour les produits laitiers dans lesquels les bactéries propioniques permettent la synthèse de vitamines B12. Dans la choucroute, la teneur en vitamine C est supérieure à celle du chou. Aussi, certains microorganismes produisent lors de la fermentation des acides gras à chaîne courte, source d’énergie, mais qui sont également des précurseurs de composés aromatiques.

2 - Conservation - Des capacités naturelles

Certains microorganismes produisent en outre des composés appelés bactériocines qui empêchent le développement de bactéries pathogènes.

Lorsque les microorganismes dégradent les sucres de l’aliment, ils libèrent des acides (lactique, acétique, etc.), ou de l’alcool dans le cas de la fermentation alcoolique, qui inhibent la croissance d’autres microorganismes pathogènes (ou responsables d’altérations) pouvant se développer dans les aliments. Certains microorganismes produisent en outre des composés appelés bactériocines qui empêchent le développement de bactéries pathogènes. On peut amplifier ce phénomène de conservation naturelle par des méthodes de biopréservation ou bioconservation qui consistent à ajouter des microorganismes, appelées cultures protectrices, dans les aliments. Ils peuvent aussi retarder le développement des microorganismes qui altèrent les aliments et permettre ainsi de les conserver plus longtemps. De nombreuses études ont cherché à décrire et comprendre les mécanismes impliqués qui se sont révélés être multiples et, pour certains, relativement complexes. « C’est le cas pour une souche d’Hafnia alvei, très inhibitrice des Escherichia coli dans les fromages, dont on n’a pas encore élucidé le mécanisme d’action ! », explique Cécile Callon, ingénieure de recherche à l’unité Fromage, à Aurillac. On peut également rajouter dans certains aliments des bactéries sélectionnées qui vont améliorer leur conservation, sans les transformer en un autre produit. Ou encore, lors de la vinification, on peut sélectionner les souches qui produisent moins de sulfites. Tout cela avec un même objectif, se passer d’additifs de synthèse ou limiter la production de molécules indésirables. 

Tout un fromage

À INRAE, les scientifiques étudient la biopréservation pour le fromage au lait cru pour lequel le risque de contamination par des microorganismes pathogènes est important.

L’histoire commence dans les années 2000 lorsque l’unité Fromage, à Aurillac, a mis en évidence l’action de la bactérie Lactococcus garvieae pour empêcher le développement de la bactérie pathogène Staphylococcus aureus dans les fromages à pâte pressée non cuite. Ensuite, l’unité s’est intéressée au développement de Listeria monocytogenes et des Escherichia coli producteurs de shigatoxines dans les fromages au lait cru et a mis en évidence des souches ou des consortia inhibiteurs de ces pathogènes. « On travaille sur des consortia, c’est-à-dire l’association de deux ou trois souches qui agissent en synergie et cela entraîne une inhibition encore plus forte », indique Cécile Callon. Mais pour utiliser des bactéries en biopréservation, il y a une règle à respecter : « Le microorganisme doit être sain et ne pas avoir d’incidence sur la santé du consommateur. Pour cela on regarde s’il n’a pas des gènes de virulence ou de résistance aux antibiotiques avant de l’utiliser en tant que ferment », rappelle-t-elle. L’enjeu est d’avoir une approche globale et de considérer toute la chaîne alimentaire : « On pourrait même envisager d’inoculer certaines souches dans les animaux pour qu’elles se retrouvent dans le lait. » Enfin, les travaux de l’unité Fromage concernent aussi l’étude de l’impact de l’inoculation de ces ferments dans le lait sur les communautés microbiennes de l’aliment pour s’assurer que ces ferments n’ont pas d’impacts sensoriels ou autres sur les produits finis. 

Pas de bactéries, pas de fromages ! Vous le saviez ?

3 - TOXICITÉ - Moins de composés indésirables

L’activité des microorganismes contenus dans les aliments fermentés peut, dans certains cas, réduire la toxicité de ceux-ci. Citons les composés cyanogènes, à l’origine du cyanure. Présents dans le manioc mais dégradés via un processus de fermentation, ils sont rendus tout simplement inoffensifs et comestibles. C’est vrai également pour la modification de certains composés initialement allergènes et devenus inactifs. 

4 - SANTÉ - Des microorgnismes pour le microbiote

 

Manger des aliments fermentés contribue à la richesse de notre microbiote

Dans notre corps, nous vivons en symbiose avec une multitude de microorganismes. Ces microorganismes forment des microbiotes. Depuis plusieurs années, les scientifiques ont mis en évidence que les interactions que nous entretenons avec les microorganismes de notre intestin ont des liens forts avec notre santé et que leur nombre et leur diversité sont déterminants. Un moyen pour entretenir la richesse de notre microbiote intestinal, outre une alimentation diversifiée, est d’ingérer des micro­organismes vivants, bactéries ou levures, ce que permet l’ingestion d’aliments fermentés. Pour comprendre davantage les liens entre la consommation d’aliments fermentés, le microbiote et notre santé, un nouveau projet de recherche participative, Le French Gut a débuté en septembre 2022. Ce projet ambitionne d’analyser le microbiote français en fonction des habitudes alimentaires et en collectant 100 000 échantillons de selles d’adultes résidant en France, associés à un questionnaire de santé et de nutrition. 

Le goût du vin

Notes boisées, notes de fruits rouges, arômes de fruits exotiques…, non, ce vocabulaire sophistiqué d’œnologie n’est pas là que pour briller en société ! Ces arômes sont bien réels, il en existe des milliers et sont le résultat de l’action des levures. Mais comment expliquer cette grande diversité d’arômes ? La diversité du raisin bien sûr… mais pas seulement ! 

« La production d’arômes dépend de la souche de levure en jeu. Selon la souche, elles vont produire plus ou moins d’arômes avec des profils très différents », explique Carole Camarasa, directrice de recherche à l’unité Sciences pour l’œnologie (SPO). Existerait-il alors une recette qui permettrait de choisir le raisin et la levure pour obtenir les arômes souhaités ? Vous vous en doutez, ce n’est pas si simple ! 90 % des vins sont obtenus par fermentation avec la levure Saccharomyces cerevisiae. Mais dans le raisin récolté il y a d’autres microorganismes qui interviennent au début du processus et dont la croissance est inhibée par l’alcool formé. Or seule Saccharomyces cerevisiae survit en présence d’éthanol et peut ainsi terminer le processus de fermentation. « C’est pour cela que dans l’industrie du vin, l’ajout de cette levure est quasiment systématique pour s’assurer d’avoir une fermentation complète, mais son utilisation systématique freine le développement d’autres levures et ainsi limite le profil aromatique des vins », explique Carole Camarasa. L’enjeu pour la recherche est de tester l’introduction d’autres espèces de levures en début de procédé et de favoriser leur développement. Les bonnes candidates : Torulaspora delbrueckii et Starmaerella bacillaris. Vous voulez du vin avec des arômes de fruits exotiques ou de fruits de la passion ? Mettez la levure Metschnikowia pulcherrima qui possède des enzymes béta-lyases permettant de libérer des thiols responsables de ces arômes très recherchés en œnologie. 
Une autre piste, regarder les profils génétiques et faire le lien entre gènes et production de tel ou tel arôme. « En faisant des croisements, on peut réussir à obtenir les bons gènes dans les levures en fonction du profil aromatique que l’on souhaite. » Ces dernières années l’unité SPO a identifié plusieurs allèles (variants d’un gène) qui influencent la production de métabolites, en particulier des esters, participant à l’arôme des vins. On peut également limiter la production d’arômes négatifs. L’unité SPO a mené des travaux sur le sulfure d’hydrogène responsable de l’odeur d’œuf pourri. Les scientifiques ont identifié deux gènes responsables de cette molécule. Ces résultats sont utilisés par les producteurs de levures pour sélectionner les souches dépourvues de ces gènes. Mais la génétique ne fait pas tout, plusieurs paramètres entrent en jeu dans la formation des arômes. « Nous avons identifié trois facteurs clés : la quantité d’azote disponible, l’oxygénation et la quantité de lipides, les acides gras étant des précurseurs des composés aromatiques. La température influence également le processus ainsi que la nutrition des levures au cours de la fermentation. » De quoi mener encore de nombreuses années de recherches pour le plus grand plaisir de nos papilles… et de notre nez !

RECHERCHE Des cohortes sous surveillance

NutriNet

Pour évaluer l’impact santé des aliments fermentés, l’étude Nutrinet santé portée par l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren) suit plus de 160 000 adultes sur leurs habitudes alimentaires, leur mode de vie et leur santé. Récemment, les scientifiques de Nutrinet santé ont montré qu’une consommation de produits laitiers fermentés à raison d’au moins 160 g/j était associée à une diminution du risque de maladies cérébrovasculaires comparé à une consommation de moins de 57 g/j. Cette association n’a pas été mise en évidence pour les produits laitiers non fermentés.