De quoi parle-t-on ?
Couramment utilisée dans les labos, y compris à INRAE, pour étudier les gènes et décrypter les caractères qu’ils gouvernent, l’édition du génome permet d’envisager de nombreuses applications depuis la thérapie génique humaine jusqu’à l’amélioration génétique des plantes cultivées et des animaux d’élevage. Focus sur l’amélioration des plantes avec CRISPR-Cas9.
Publié le 29 janvier 2024
L'agroécologie, de nouveaux objectifs pour l'amélioration des plantes
Les plantes actuellement cultivées ont, pour la plupart, été sélectionnées pour pousser dans des environnements où l’agriculture pourvoit à leurs besoins en eau, en fertilisants et en pesticides pour lutter contre les ravageurs et maladies. Or, à l’avenir, ces ressources seront plus limitées. On recherchera des plantes aux racines plus profondes pour mieux exploiter l’eau, qui utilisent plus efficacement les nutriments du sol, et capables de résister aux maladies et parasites. On pourra privilégier des blés aux glutens mieux tolérés par l’être humain, des compositions de graines qui limitent l’émission de gaz à effet de serre par les animaux qui s’en nourrissent ou encore des plantes aptes à être cultivées en association pour augmenter la diversité des systèmes de cultures et leurs effets positifs sur l’environnement. Comme l’explique Gaëtan Louarn, écophysiologiste au département INRAE AgroEcoSystem, à l’unité de recherche pluridisciplinaire prairies et plantes fourragères (URP3F), s’adapter aux changements climatiques, assurer une alimentation saine et durable, en s’appuyant sur l’agroécologie, fait ainsi appel à des caractéristiques jusqu’à présent peu travaillées en amélioration des plantes et à une plus large diversité d’espèces végétales. Cela implique des travaux mêlant plusieurs disciplines, en lien avec les territoires et les filières (voir infographie ci-dessous).
Qu’est-ce que l’édition du génome ?
Vous vous souvenez de vos cours de biologie ? Qu’est-ce qui détermine les caractéristiques d’un organisme vivant et se transmet invariablement au long des générations ? Une histoire de gènes ! Tout commence dans l’intimité des cellules, au cœur du noyau, où loge l’ADN, support de l’information génétique. Le code génétique, universel à tout le vivant, permet à chaque cellule d’un organisme d’avoir toute l’information nécessaire pour produire les protéines qui assurent la construction de l’individu, ses fonctions vitales (nutrition, reproduction, immunité…) et donc l’expression de ses caractères. Quatre « lettres » différentes (les bases A, T, G et C) se succèdent au long de la molécule d’ADN et forment des « mots » et des « phrases » (séquences) qui codent pour les différentes protéines. Décrypter ces phrases successives le long de l’ADN, c’est séquencer nos gènes dont la totalité forme notre génome. Comprendre quelle(s) séquence(s) code(nt) pour quelle(s) fonc-tion(s), c’est élucider quels gènes gouvernent tel ou tel caractère, par exemple la taille d’une plante, la résistance à une maladie ou les capacités d’utilisation de l’azote. Certaines parties de l’ADN correspondent aux gènes qui codent pour les protéines. D’autres parties correspondent à des séquences qui modulent l’expression des gènes et peuvent être régulées par des facteurs de l’environnement (voir infographie).
Éditer le génome, c’est intervenir sur une séquence connue de l’ADN (correspondant à un gène ou à une partie qui régule leur expression) en remplaçant une ou plusieurs « lettres », à la manière dont on réécrirait un texte.
L’objectif est soit d’apporter une variation (allèle) à un gène existant, soit d’intégrer un gène nouveau codant pour une nouvelle fonction. Fabien Nogué, généticien moléculaire à l’Institut Jean-Pierre Bourgin (IJPB) d’INRAE à Versailles, évoque les travaux de ses collègues en Avignon : « Les variations d’un gène codant pour une résistance à un virus chez le poivron ont été reproduites chez la tomate, chez laquelle ce même gène existait mais sans ces variations responsables de la résistance aux virus. La tomate ainsi obtenue résiste au virus1. » Une édition n’est possible qu’une fois identifiées les séquences propres à un gène et ses différentes variations. Concernant la méthode, on injecte, dans le noyau d’une cellule, une enzyme bactérienne couplée à une séquence complémentaire d’une zone cible dans l’ADN de la plante. L’enzyme coupe alors l’ADN exactement au niveau de la zone cible. Puis le système naturel de réparation de l’ADN de la plante rétablit, modifie ou supprime l’information à l’endroit où l’ADN a été touché. Ensuite, il faut parvenir à régénérer une plante à partir de la cellule végétale obtenue. Cette régénération se fait par culture in vitro (voir infographie ci-dessous).
1. Kuroiwa K., Danilo B., Perrot L. et al. (2023), doi. org/10.1111/pbi.14003
La sélection, une longue histoire
Sélectionner de nouvelles variétés de plantes consiste à réunir des caractères d’intérêt dans une même culture pour l’adapter à nos attentes. Ceci a commencé, il y a plus de 10 000 ans, dès le processus de domestication des plantes, et se poursuit aujourd’hui. Où trouver les caractères intéressants ? Les sélectionneurs puisent dans les collections de ressources génétiques et les bases de données qui les décrivent. Pour chaque espèce d’intérêt, ces collections rassemblent des plantes et des semences dont la diversité a été façonnée au gré des mutations spontanées et autres processus de sélection naturelle, et aussi des plantes et semences issues de travaux de sélection, réalisés par l’être humain depuis la domestication des plantes. Les mutations spontanées changent une ou quelques lettres du code génétique et se produisent durant toute la vie d’une cellule. Parfois, elles apportent de nouveaux caractères plus favorables à la survie de l’espèce dans un environnement donné, ou intéressants pour l’être humain. Par exemple, chez la tomate, 13 mutations spontanées ont lieu à chaque génération. Pour élargir cette diversité, la mutagénèse artificielle, pratiquée depuis le début du XXe siècle, provoque des mutations aléatoires en appliquant sur la plante un rayonnement ou un agent chimique mutagène. Elle génère plusieurs centaines à plusieurs milliers de mutations2. Cette technique vise à créer des mutations artificielles intéressantes mais peut aussi provoquer des mutations non recherchées et potentiellement dommageables à la plante qui seront éliminées par des croisements ultérieurs. C’est une technique aléatoire. L’édition du génome, contrairement à la mutagenèse artificielle, produit quelques mutations choisies et ciblées.
Selon Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture d’INRAE, « les ressources génétiques restent la ressource première de variation pour nos besoins futurs et sont préservées à ce titre. L’édition du génome permet d’aller potentiellement au-delà de la variabilité génétique naturellement disponible, par exemple en faisant des plantes encore plus précoces, ou avec une teneur en amidon différente. »
2. Ossowski S. et al. (2010), dx.doi.org/10.1126/science.1180677
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Nicole Ladet
Rédactrice
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Carole Caranta, Isabelle Litrico, Christian Huyghe
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