Dossier revue

Quel potentiel ? Quels risques éventuels associés ?

Rapide, précise, peu onéreuse... Quelle place pourrait avoir l'édition du génome dans l'amélioration des plantes ? Biodiversité, santé humaine... Quels sont les risques potentiels ? Panorama.

Publié le 29 janvier 2024

Accélérer le processus de sélection

Pour créer des variétés, traditionnellement, le sélectionneur croise (hybride) des géniteurs, présentant les caractères qu’il recherche, selon un plan élaboré sur plusieurs générations de plantes. Chaque croisement est réalisé en apportant du pollen d’une plante sur la fleur d’une autre plante. À chaque fois, leur nombreuse descendance est étudiée pour repérer les plantes qui combinent les caractères recherchés, en les observant durant tout un cycle de développement. Pour ces croisements, les  techniques de marquage moléculaire font gagner du temps en détectant avant qu’ils ne poussent quels descendants présentent un gène (allèle) d’intérêt. La sélection génomique, qui combine un très grand nombre de marqueurs moléculaires, est encore plus puissante en travaillant en même temps sur un grand nombre de caractères. Elle exploite des données observées sur une grand nombre d’individus et élabore les schémas de croisement à l’aide de modèles informatiques. Tirant elle aussi bénéfice de travaux de séquençage antérieurs, l’édition du génome permet de travailler directement sur les allèles qui codent pour les caractères souhaités dans une cellule, évitant ainsi d’avoir à étudier de nombreuses générations. Comme avec les autres méthodes de sélection, les plantes qui en sont issues doivent ensuite être évaluées pour vérifier l’expression des caractères et s’assurer qu’il n’y a pas d’effets non recherchés (voir infographie ci-dessous).

Questionner le niveau d’homogénéité

Pour être inscrites au catalogue national et européen en vue de leur commercialisation, les variétés de la plupart des espèces cultivées doivent avoir un rendement minimal et apporter un progrès par rapport aux variétés existantes, leur Valeur Agronomique Technologique et Environnementale (VATE) est donc évaluée. Les variétés inscrites doivent aussi être Distinctes (différer de toutes les variétés déjà connues), Homogènes (composées d’individus très semblables) et Stables (dans l’expression de leurs caractères). On parle de DHS. Les mélanges de variétés ou d’espèces et les semences paysannes présentent une hétérogénéité qui peut stabiliser la production face aux aléas climatiques ou biologiques, et adapter les plantes aux conditions locales. Des variétés hétérogènes peuvent d’ailleurs désormais également être inscrites ou déclarées au catalogue et les mélanges de variétés être certifiés en vue de leur commercialisation.

Une plante éditée est-elle un OGM ?

Les OGM « traditionnels » sont obtenus par transgenèse. Dans ce cas, un gène nouveau originaire d’une autre espèce végétale, voire même issu d’une bactérie ou d’un animal, est introduit. L’introduction est aléatoire – on ne maîtrise ni où ni combien de fois – et la plante conserve des marques de cette opération.


L’édition est une biotechnologie qui peut être utilisée :
→ soit pour apporter une variation à un gène existant dans la plante. On obtient ainsi une plante éditée sans gène étranger. Cette variation (allèle) sera analogue à celle qui pourrait être issue de mutation(s) spontanée(s). Il est impossible de pouvoir distinguer cette plante d’une plante dans laquelle cette variation se serait produite de façon naturelle ;
→ soit pour intégrer de façon ciblée un gène étranger. La plante qui en résulte n’aurait alors pas pu être produite naturellement, il s’agit d’une transgenèse.

Quels sont les risques biologiques associés aux plantes éditées ?

Yves Bertheau, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, travaille sur la biovigilance des plantes OGM. Il alerte sur l’imprécision des techniques et des bases de données utilisées dans l’analyse des séquences, et donc sur la détection imparfaite des mutations – hors cible (off target) et sur cibles – générées par les techniques d’édition du génome. Fabien Nogué précise que les mutations hors cible peuvent toucher des séquences voisines ou très semblables de celles du « site » visé par l’édition, qui sont facilement détectables, mais aussi potentiellement d’autres zones. Pour ces dernières, il est impossible de connaitre leur origine et de les distinguer de mutations naturelles. Dans les faits, le risque d’apparition de ces off-targets est très faible1, même s’il croît avec le nombre de gènes édités présents dans la même plante. Dans tous les cas, le nombre de mutations hors cibles sera inférieur au nombre de mutations créées par la mutagénèse artificielle aléatoire, technique utilisée en sélection classiqueaujourd’hui. Comme l’explique Isabelle Litrico, cheffe du département INRAE Biologie et amélioration des plantes : « On se doit, lorsque cela est possible, d’aller vérifier qu’il n’y a pas eu une modification hors du site visé dans les plantes éditées, qui pourrait avoir par exemple un effet délétère sur la plante ou sur l’environnement. »

1. EFSA (2020), url.inrae.fr/3Ri6BWq

« Pollution » de flore et indifférenciation des filières

Une plante cultivée émet du pollen qui peut féconder une autre plante de la même espèce mais d’une variété différente, ou une plante sauvage apparentée cultivée à proximité – par exemple le pollen de colza, véhiculé par les abeilles, peut féconder la moutarde noire. Lorsqu’il n’existe pas d’espèce proche, comme pour le maïs en Europe, il n’y a pas de risque de diffusion à la flore sauvage. « Les échanges de gènes avec les espèces sauvages apparentées sont en revanche quasi inexistants chez les espèces dont les plantes s’autopollinisent comme le blé », mentionne Jean-Denis Faure, professeur de physiologie végétale à AgroParisTech. La modification de la période de floraison d’une plante pourrait influer sur la fréquence des flux de gènes, par exemple en changeant les populations d’insectes qui butinent ces fleurs. Néanmoins, ces impacts sont du même ordre quelle que soit la technique d’amélioration des plantes qui génère ce changement. Le flux de gènes entre variétés d’une même espèce menace la différenciation des filières : par exemple, une culture bio pourrait ainsi être « polluée » par des plantes éditées alors que le cahier des charges de l’agriculture biologique (AB) français proscrit les OGM, lesquels incluent les plantes éditées selon la réglementation européenne. D’ailleurs, les plantes éditées ne sont actuellement pas compatibles avec le concept de production biologique dans le règlement (CE) 018/848 et la perception actuelle des consommateurs à l’égard des produits biologiques.

Les risques potentiels sur la santé humaine

D’après l’analyse bibliographique réalisée par les experts de l’EFSA (Agence de sécurité sanitaire européenne) en 2022, aucune publication scientifique ne rapporte à ce jour un risque pour la santé humaine associé à une variété issue d’édition du génome. L’EFSA, et en France le Haut Commissariat aux biotechnologies2, ont évalué que si ces risques existent, dans le cas des plantes éditées non transgéniques, ils sont de même nature et du même niveau que pour les variétés issues de la sélection classique. Leur utilisation est de ce fait considérée sûre. Dans le cas des plantes éditées transgéniques, les stratégies de modification du génome et les traits apportés à la nouvelle variété peuvent être plus complexes que ceux obtenus par sélection classique. C’est pourquoi, une évaluation des risques pour la santé humaine est nécessaire et devra se faire au cas par cas.

2. HCB, dissout en 2021.

Bénéfices et limites de l’édition du génome : analyse

BÉNÉFICES

Agir sur un allèle (et le caractère associé) absent des collections de ressources génétiques d’une espèce en évitant les aléas de la mutagénèse aléatoire.

Limiter le nombre de croisements nécessaires pour introduire un caractère et donc réduire le temps du processus de sélection (en particulier pour les cultures pérennes comme les arbres ou la vigne).

Réunir des allèles d’intérêt de gènes liés génétiquement (c’est-à-dire voisins sur un même chromosome), ce qui est très difficile et extrême-ment long à réaliser par des techniques classiques basées sur les croisements.

Rendre possible le travail sur des plantes qui ont leur génome en plus de 2 exemplaires et sont, de ce fait, complexes à travailler en sélection classique.

Apporter des progrès génétiques chez des espèces dites nouvelles ou mineures, qui n’ont pas été travaillées en amélioration variétale, à partir de connaissances génériques acquises sur les plantes modèles, ou pivots, qui sont beaucoup étudiées.

LIMITES

→ Rien n’est possible sans la connaissance des gènes, cependant les grandes fonctions sont souvent communes à plusieurs espèces.

→ Certaines plantes sont récalcitrantes à l’intervention par le système d’édition CRISPR-Cas9 (légumineuses, arbres fruitiers).

→ Certaines plantes sont récalcitrantes à la régénération in vitro d’une plante entière à partir d’une cellule.

→ Durant le cycle de vie de la plante, la mutation peut ne pas s’exprimer de la manière attendue.

→ La précision de la technique ne semble pas équivalente dans tous les cas. Des mutations non désirées peuvent être obtenues, on parle de mutation hors cible.

→ On ne sait pas encore comment ces modifications vont affecter la régulation de l’expression des gènes.

  • Nicole Ladet

    Rédactrice

  • Carole Caranta, Isabelle Litrico, Christian Huyghe

    Pilotes scientifiques

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