Dossier revue
Bioéconomie

9 matériaux biosourcés pour bâtir demain

Mur, sol, isolant, peinture, de plus en plus de constructions font appel aux matériaux biosourcés. Retour sur neuf procédés innovants,conçus en collaboration avec des chercheurs INRAE, pour en finir avec les ressources qui s’épuisent.

Publié le 02 février 2023

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Combattre les bactéries avec de la cellulose

Pour protéger un revêtement, un film alimentaire ou une peinture d’une contamination par des microorganismes, l’industrie s’est massivement tournée vers les nanoparticules d’argent pour leurs propriétés biocides. Problème : avec le temps, ces nanoparticules ont tendance à se retrouver dans l’environnement puis dans les organismes vivants, pouvant impacter à terme la biodiversité. INRAE, associé à des partenaires publics et privés au sein du laboratoire d’excellence SERENADE, a développé un procédé pour réduire au maximum la quantité de ces particules toxiques, notamment au sein de peintures. Pour cela, les chercheurs se sont tournés vers des nanocristaux de cellulose issus de l’industrie du papier – mais pouvant potentiellement être obtenus à partir de n’importe quelle source végétale – entièrement naturels et biodégradables. Les nanoparticules d’argent se fixent sur ces nanocristaux de cellulose, via un processus permettant de contrôler leur nombre, leur répartition ou leur taille. Le produit obtenu relargue la quantité minimum possible d’argent, avec un effet biocide plus important qu’une peinture classique grâce à une répartition plus efficace de ces nanoparticules. En attendant une éventuelle commercialisation de ces produits plus écologiques, INRAE a breveté cette nouvelle technique en 2020.

Le béton de chanvre, 35 ans d’expérience

La première maison rénovée à l’aide d’un béton de chanvre a vu le jour en 1986. Derrière ce béton biosourcé se trouve la chènevotte, partie ligneuse des tiges de chanvre, débarrassée des fibres externes, mélangée à un liant minéral, le plus souvent de la chaux. « Depuis plus de 30 ans, ce béton de chanvre s’est révélé très performant dans divers types de constructions individuelles et collectives, et divers environnements ruraux ou urbains. Ses excellentes propriétés d’isolation thermique et phonique en font donc un matériau incontournable pour la maîtrise de consommation d’énergie et du confort thermique des habitations », décrit Bernard Kurek, directeur de recherche INRAE au sein de l’unité Fractionnement des agro-ressources et environnement (FARE) à Reims. « Parfois, il y avait des ratés, le liant et la chènevotte ne prenaient pas bien, ce qui peut avoir des conséquences catastrophiques sur un chantier. Avec un industriel et l’École de l’aménagement durable des territoires (ENTPE) de Lyon, nous avons travaillé dès 2010 sur la relation entre matière végétale et liant. » Une thèse, portée par INRAE et soutenue en 2013, a notamment permis d’identifier dans la chènevotte les mécanismes responsables, dans certaines conditions, de retarder la prise du liant et d’aboutir ainsi à ces désordres. Ces connaissances ouvrent la voie à la mobilisation d’autres tiges végétales pour des usages similaires. Depuis, INRAE travaille avec la société Fibres Recherche Développement à améliorer la qualité des chènevottes, et les possibilités des autres fibres végétales. À raison : le chanvre constitue une matière première des plus intéressantes écologiquement, nécessitant peu d’eau ou d’intrants tout en absorbant autant de CO2 à l’hectare que certaines forêts.

NOTES
Toutes les forêts ne sont pas équivalentes en termes d’absorption du CO2. Un nouvel outil permet d’évaluer et suivre leur capacité Biomass Carbon Monitor.

La cellulose comme superisolant

Depuis maintenant plus de 10 ans, l’unité INRAE Biopolymères, interactions, assemblages (BIA) travaille sur la capacité de la cellulose à stabiliser des émulsions. Pour mélanger deux liquides normalement non miscibles, comme l’huile et l’eau, il fallait jusqu’ici utiliser des tensioactifs potentiellement nocifs pour l’environnement. L’unité BIA les a remplacés par des nanofibres de cellulose, entièrement biodégradables et renouvelables. Parmi les applications possibles de ce procédé, les chercheurs ont notamment développé des « superisolants ». « Pour augmenter les propriétés isolantes d’un matériau, il faut pouvoir réduire la densité et la taille des pores de ce matériau, explique Isabelle Capron, directrice de recherche au sein de l’unité BIA. Or, avec notre procédé, il devient possible de contrôler précisément ces paramètres. » Après séchage, cette émulsion stabilisée uniquement par les nanofibres de cellulose prend la forme d’un panneau rigide doté d’impressionnantes capacités isolantes, plus efficace que la laine minérale ou le polystyrène. « Nous travaillons encore sur le procédé pour améliorer la résistance, conclut Isabelle Capron, et nous rapprocher des normes existantes dans le bâtiment. » Avec comme seuls composants de l’eau, de l’huile végétale et de la cellulose.

Pour des bardages sans traitement chimique

En 2021, nous avons importé 3,21 millions de m3 de bois résineux et 134 700 m3 de bois tropical à des fins de construction. Ainsi, en France, 1 maison sur 10 serait construite avec du bois importé. Pour favoriser une filière de production locale à faible empreinte carbone, le Laboratoire d’études et de recherche sur le matériau bois (Lermab) dans le Grand Est a développé dès 2013, en collaboration avec la société MSL Lorraine, le procédé FURALOR d’élaboration de bois composite par polymérisation de monomères issus de déchets de bois de hêtre (une essence feuillue présente dans toute l’Europe). Le matériau ainsi obtenu présente des performances techniques améliorées par rapport au bois de hêtre sur pied. Plus résistant aux intempéries (et donc aux champignons et microorganismes), il peut servir aux applications en extérieur : bardages, murs antibruit, mobilier de jardin, parquets extérieurs, etc. Des essais pilotes sont à l’étude pour optimiser le procédé.

Des revêtements aux propriétés antimicrobiennes

Et si demain nos fenêtres possédaient un film anti-UV ou nos murs et sols repoussaient physiquement les microbes ? Les lignines sont des composés chimiques naturellement présents dans les plantes fibreuses comme le chanvre et le bois. Ces molécules organiques ont la particularité d’être anti-UV, antioxydantes et antimicrobiennes. Les scientifiques de l’UMR FARE ont cherché à exploiter ces capacités en mélangeant différents types de lignine avec un solvant eau/alcool, puis en appliquant ces mélanges sur différentes surfaces. Ils ont pu obtenir des films de revêtement de surface conservant ces propriétés qui pourraient déboucher sur le développement de peintures ou d’enduits biosourcés et antimicrobiens. Une technologie brevetée qui intéresse les professionnels du bâtiment. 

Green Epoxy : vers des résines naturelles

Les résines époxy se sont répandues dans presque tous les secteurs industriels, jusqu’à atteindre les particuliers. Problème, ces résines utilisent pour la plupart du bisphénol A, reconnu comme perturbateur endocrinien, et nécessitent un durcisseur généralement issu de ressources fossiles. Entre 2015 et 2018, plusieurs acteurs de l’industrie et de la recherche – dont INRAE – se sont regroupés au sein du projet Green Epoxy afin de développer des résines entièrement biosourcées. À la base de ces dernières : les polyphénols, des molécules présentes dans tous les végétaux, souvent nommés tanins – issues ici de sous-produits de la filière bois. Les tanins sont en fait une catégorie de polyphénol. Pour INRAE, ce grand projet à 2,8 millions d’euros s’est poursuivi à travers le programme européen No Agricultural Waste (Horizon2020, NoAW), grâce auquel plusieurs améliorations ont été développées, tant au niveau des durcisseurs que de l’origine même des polyphénols. Plutôt que le bois, ces tanins ont pu être extraits de marc de raisin. Ces deux projets consécutifs ont finalement mis en lumière la faisabilité technique de résines époxy 100 % naturelles et biosourcées. Cependant, le coût de fabrication, encore supérieur aux résines chimiques, freine leur mise sur le marché au niveau industriel.

Tournesols et crustacés

Avec plus de 750 000 hectares de tournesol semés en 2022, la France fait partie des plus gros producteurs européens. Mais une fois les précieuses graines récoltées, les tiges sont le plus souvent laissées dans les champs, ou brûlées pour la production d’énergie. Pourtant, leur richesse en fibres et leur porosité, apportant respectivement résistance et isolation thermique, en font de bonnes candidates pour des panneaux isolants dans le secteur du bâtiment. Entre 2011 et 2015, INRAE a mené avec d’autres partenaires le projet Demether pour valoriser ces sous-produits agricoles inutilisés. Les tiges broyées ont été mélangées avec un liant de chitosane, produit à partir d’une substance présente notamment dans la carapace des crustacés. Un liant naturel, biodégradable et possédant de surcroît des propriétés antibactériennes.

Le projet Demether a finalement abouti à la conception de prototypes de panneaux isolants particulièrement peu onéreux à produire, valorisant des résidus agricoles jusqu’ici inutilisés. Plusieurs partenaires industriels se sont emparés de ces résultats dans l’optique d’une commercialisation. À noter que la recherche publique comme privée s’intéresse également à d’autres fibres végétales pour leur pouvoir isolant. INRAE s’est par exemple intéressé au lin à travers le  SINFONI, un projet de recherche et développement structurant pour la compétitivité du premier programme d’investissements d’avenir déployé par l’État français. . Si les panneaux intégrant les fibres de cette plante herbacée ont de bonnes propriétés isolantes et phoniques, leur sensibilité à l’humidité exclut pour le moment leur utilisation en extérieur. La recherche continue donc. Car dans une industrie de l’isolation dominée à 92 % par les laines minérales, dangereuses pour la santé humaine, et les plastiques alvéolaires, peu écologiques, ces isolants à base de fibres végétales ouvrent d’immenses perspectives.

Des pierres de déchets

C’est l’angle mort du recyclage. En France, quelque 40 millions de tonnes de déchets non recyclables sont enfouis ou incinérés chaque année. En interrogeant différents experts du Carnot 3BCAR, la start-up Néolithe a trouvé une autre porte de sortie pour ces déchets ultimes : les transformer en pierre. Plus précisément en granulats, ces fragments de roche utilisés dans le secteur de la construction (sous-couche routière, béton, etc.). Les déchets sont broyés en une poudre fine, à laquelle sont ajoutés de l’eau et un liant, formant alors de petites pierres constituées à 80 % de déchets. La start-up fondée en 2019 s’est d’abord tournée vers les restes de chantier (isolants, plâtre, bois…) avant d’élargir sa matière première aux déchets ménagers et industriels. En 2022, Néolithe annonçait la création d’un site industriel de plus de 11 ha près d’Angers, ambitionnant pour 2023 de produire 24 « fossilisateurs » capables de traiter chacun 20 tonnes de déchets par jour. Un programme ambitieux, à la hauteur de l’enjeu.
 

Innovation : des champignons 2 en 1

Les champignons filamenteux ont la capacité de se lier les uns aux autres et de proliférer en l’espace de quelques jours. Les équipes des laboratoires de chimie agro-industrielle, de l’UMR Biodiversité et biotechnologies fongiques (BBF) à Marseille et du centre d’application et de traitement des agroressources ont eu, en 2019, l’idée d’utiliser cette faculté pour produire des matériaux à partir de résidus agricoles sous forme de copeaux. Après traitement thermique et mécanique des fibres, le champignon candidat est inoculé au mélange et mis en culture sous atmosphère contrôlée. À l’issue de ce processus, selon la densité initiale des fibres, le matériau est plus ou moins aéré. S’il est très aéré, ses propriétés sont proches de celles du polystyrène ; il peut servir comme emballage ou isolant thermique. Au contraire, le matériau peut être très compact s’il est précédé d’une étape de fermentation et de thermopressage. Dans ce cas, il pourrait remplacer les panneaux de particules de bois (« aggloméré ») pour les constructions éphémères. Autre avantage : ce matériau est entièrement biodégradable et peut servir d’amendement agricole en fin de vie.

"Un réseau pour des partenariats d’innovation", 3 questions à Coraline Caullet, chargée d’affaires du Carnot 3BCAR

Depuis 2011, le Carnot Bioénergies, biomolécules et matériaux biosourcés pour la valorisation du carbone renouvelable (3BCAR), porté par INRAE, collabore avec les entreprises pour développer des innovations durables et écoconçues.

Qu’est-ce qu’un Carnot ? 
C’est un réseau de laboratoires et de centres techniques qui a reçu le label Carnot. Celui-ci reconnaît les compétences des chercheurs à collaboreravec les entreprises  sans intermédiaire selon un protocole contractuel ISO 9001. Cette labellisation est réévaluée tous les 4 ans par l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui s’assure de l’excellence scientifique et du taux de contractualisation des laboratoires du réseau avec les entreprises. 

logo 3BCAR

Comment fonctionne 3BCAR ?
Les entreprises sollicitent le Carnot 3BCAR avec une problématique dans le domaine de la bioéconomie. Nous les mettons en relation avec les chercheurs capables d’y répondre. De plus, nous finançons chaque année (env. 1,2 millions €/an) des projets qui explorent des idées couplées à un marché potentiel et des perspectives économiques. Ces projets favorisent la réalisation de preuves de concept qui sont protégées par des titres de propriété intellectuelle. 

Quelle est la force de ce dispositif ?
Les scientifiques accroissent leurs compétences en explorant des approches fondamentales et innovantes ; les industriels réduisent la prise de risque de la phase initiale qui permet de passer du concept à l’innovation. Cetécosystème bénéficie de l’expertise d’environ 550 scientifiques de nos 18 composantes, et des technologies de pointe de nos 23 plateformes. Les industriels s’assurent également que leurs produits ou procédés puissent êtreécoconçus, à toutes les étapes de production. Le transfert technologique se fait souvent avec les start-up qui prennent le risque, et sont ainsi un des maillons essentiels de la R&D en France.

 Télécharger la liste des projets et titres de propriété intellectuelle issus du 3BCAR
 

  • Yann Chavance & Sarah-Louise Filleux

    Rédacteurs

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