Dossier revue
Bioéconomie

La promesse des matériaux biosourcés

Responsable de 37 % des émissions de CO2 mondiales en 2021, selon l’ONU, le secteur du bâtiment est l’un des plus énergivores et polluants. Face aux défis environnementaux qui s’imposent, les matériaux biosourcés pourraient représenter une piste prometteuse de réduction de l’empreinte environnementale du secteur. Explications.

Publié le 02 février 2023

Extraction et transformation de matériaux, construction intensive, mauvaises performances énergétiques… le secteur du bâtiment est source de pollutions. Selon le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, il « représente 43 % des consommations énergétiques annuelles et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre en France ». Des consommations en grande partie liées aux phases de construction et de démolition, qui représentent entre 60 et 90 % de l’impact carbone total pour un bâtiment ayant une durée de vie de 50 ans. Et c’est « sans compter les impacts d’extraction, de transport et de transformation », ajoute Laurent Arnaud, directeur du département Bâtiments durables au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). À elle seule, la production de ciment émet près d’un milliard de tonnes de CO2, dues au transport de l’argile et de calcaire sur des milliers de kilomètres, ainsi qu’à la chauffe à 1 450 °C.

Commencer par la construction

En France, la réglementation en matière d’environnement voit le jour en 1974. Ces normes dites thermiques (RT) visent à limiter les dépenses énergétiques une fois le bâtiment habité (chauffage, climatisation, eau chaude et éclairage). Depuis le 1er janvier 2022, la dernière est remplacée par une réglementation environnementale (RE 2020), qui inclut désormais les émissions de carbone liées à la phase de construction du bâtiment en s’appuyant sur l’analyse du cycle de vie (ACV) des matériaux. Elle incite donc fortement les constructeurs à opter pour des matériaux peu émetteurs. Les bétons de chanvre sont, par exemple, une alternative intéressante au béton conventionnel, à condition d’utiliser un autre liant que le ciment, comme la chaux ou la terre crue. Cette norme est une des étapes du gouvernement français pour atteindre les objectifs de transition environnementale du Plan climat et la neutralité carbone d’ici à 2050. 

Les matériaux biosourcés, une piste prometteuse

La stratégie du gouvernement est triple pour le bâti : « baisser les consommations d’énergie des bâtiments, réduire les coûts liés à la facture d’énergie et réduire l’empreinte carbone des bâtiments existants et à venir ».  Cette réglementation entend bien inciter à « un recours plus fréquent au bois et aux matériaux biosourcés, qui stockent le carbone pendant la durée de vie du bâtiment ». Issus du monde du vivant et utilisés comme matériaux de construction, les produits biosourcés autres que le bois d’œuvre se présentent sous forme de fibres pour la fabrication de laines d’isolation ou sous forme de granules pour la constitution de mortiers. Ils peuvent être issus du bois, du chanvre, du liège, du lin, etc. 
Objets d’étude depuis plus de 15 ans pour les équipes INRAE, « ces matériaux, surtout les fibres qui les composent, viennent en substitution aux matériaux pétrosourcés », explique Monique Axelos, directrice scientifique Alimentation et Bioéconomie d’INRAE, « mais ils apportent aussi des qualités qui leur sont propres comme la légèreté et la résistance et contribuent ainsi à une économie durable et circulaire et au développement des territoires ». Ils présentent un énorme potentiel pour le secteur du bâtiment, puisque leur ACV démontre une baisse drastique des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’extraction et à la production. De surcroît, ils permettent d’en stocker : « Pour un mur de 1 m² et de 30 cm d’épaisseur en béton de chanvre, 32 kg de CO2 sont stockés sur l’ensemble de la vie du produit », précise par exemple Laurent Arnaud. Autre intérêt de ce type de matériaux : valoriser des déchets qui ne l’étaient jusqu’alors que très peu, comme les pailles ou les bales de céréales (la peau qui enrobe la graine), pour un coût moindre et une meilleure accessibilité sur l’ensemble du territoire. 

Une progression à accompagner

La solution semble accessible, mais d’après Philippe Léonardon, ingénieur au service bâtiment de l’Ademe, « seuls 10 % des isolants mis sur le marché en France sont pour le moment issus du vivant. » Impulser le mouvement « n’est qu’une question de volonté politique » car « les connaissances techniques sont existantes et suffisantes ». En effet, la RE 2020 « n’impose rien quant à l’usage des matériaux biosourcés », ajoute l’ingénieur. Pour lui, les biomatériaux ne sont, dans le texte réglementaire, qu’indirectement favorisés par le biais de calculs savants : « chaque produit de construction, chaque équipement et chaque service (énergie, carbone, eau) est caractérisé par un objectif environnemental ». Au total, 27 indicateurs (potentiel de réchauffement climatique, consommation d’eau douce, rejet de déchet radioactif, etc.) déterminent un chiffre global d’émission de GES. « Sans être expressément nommés, les matériaux biosourcés permettent d’atteindre les objectifs fixés. »
La France, premier producteur de chanvre en Europe, peut miser sur cette plante pour développer la filière des matériaux biosourcés à destination du bâtiment, mais cette montée en puissance doit être accompagnée avec précaution. Monique Axelos préconise de se méfier des dérives comportementales, qui pourraient inciter à ne pas recycler les produits sous prétexte qu’ils seraient biosourcés et donc assimilés à des produits facilement biodégradables. « Dans une logique d’économie de la ressource, c’est important de fabriquer des matériaux dont on maîtrise les propriétés, qui durent et dont on envisage un réemploi ». Il faut aussi se poser des questions sur l’impact d’une récolte des résidus végétaux, fertilisants naturels des sols, rester cohérent sur la distance de transport, et s’assurer d’une bonne gestion des ressources pour éviter des compétitions entre filières : les pailles de céréales sont notamment déjà utilisées comme litière pour les animaux, matière à méthaniser ou comme source de carburant liquide de seconde génération dans les bioraffineries.

RE 2020 : Des biomatériaux multiperformants

Morceaux de chènevotte, résidus de tiges de chanvre.

« Une laine d’isolation, c’est entre 80 et 90 % d’air.»

Les biomatériaux ne seront peut-être pas les plus adaptés à la réalisation d’ouvrages d’art comme les ponts ou les barrages, dont la première qualité attendue est la robustesse. Mais leur légèreté et leur souplesse offrent descaractéristiques techniques suffisantes pour les  bâtiments moins exigeants, comme les bureaux ou les logements. Et surtout, ils possèdent d’autres qualitésprécieuses, grâce à leur structure poreuse. « En absorbant la vapeur d’eau de l’air, les matériaux issus du végétal, très poreux, vont servir de réservoir pour réguler la température du bâtiment en été », explique Laurent Arnaud, qui assure pouvoirtrouver des  végétaux adaptés dans chaque région de France. On parle de déphasage thermique. La chaleur extérieure met un temps important pour traverser les parois et pénétrer dans le bâtiment. Les matériaux répondent donc plus facilement à la réglementationenvironnementale 2020 (RE 2020 en vigueur), qui exige une température interne ne dépassant pas les 25 °C dans les logements, même en cas de canicule. En hiver, cette porosité – liées aux anciens vaisseaux conducteursde sève de ces matériaux – leur procure d’excellentes performances isolantes. « Une laine d’isolation, c’est entre 80 % et 90 % d’air. Donc on vend de l’air, mais de l’air qui isole bien les bâtiments », conclut Laurent Arnaud. Les fibres végétaleset leurs structures alvéolées offrent aussi des propriétés antibruit bien supérieures aux équivalents conventionnels, ce qui permet d’avoir un matériau « 2 en 1 », isolant thermique et phonique. Enfin, lorsqu’ils sont bien conçus, les produits biosourcés, contrairement au béton classique et aux isolants minéraux, se recyclent. Ils pourraient même être épandus au champ. Un bâtiment biosourcé en fin de vie générera ainsi très peu de déchets ultimes, quand le secteur produit actuellement 46 millions de tonnes de déchets par an en France. Si ces matériaux sont « durables » sur le plan écologique, sont-ils résistants dans le temps ? Pour comprendre la dégradation à long terme des fibres végétales, un consortium de scientifiques, auquel a participé INRAE, a étudié les fibres de lin de tableaux d’art du XVIIe siècle et de linges mortuaires égyptiens datant de 4 000 ans. Les résultats montrent, qu’en dépit de l’âge, ce sont les changements environnementaux (température, humidité, UV) et certains traitements de conservation qui ont endommagé les fibres. Des éléments à prendre en compte dès la conception ou lors de l’application des matériaux biosourcés. 

Sobriété énergétique : le retour au «local»

« Construire avec des ressources végétales, dites biosourcées, est un pas primordial, mais cela ne peut être l’unique solution à nos problématiques d’émissions de carbone », insiste Isabelle Capron, chercheuse INRAE, directrice du groupement de recherche « durabilités et matériaux biosourcés » porté par INRAE et le CNRS. Pour de nombreux scientifiques, dont son confrère Benoît Duchemin, ingénieur de recherche en science des matériaux à l’université Le Havre-Normandie, la question de la sobriété de nos consommations s’impose. « En 2019, un scénario concluait qu’une rénovation massive des bâtiments des 28 pays européens avec de la paille permettait de stocker 500 à 700 millions de tonnes de CO2 sur les 200 prochaines années. Mais même avec cette technique ambitieuse et prometteuse, nous ne compenserions que 60 % des émissions mondiales de CO2 d’une seule année d’activités dues au seul torchage de gaz de l’industrie pétrolière qui consiste à brûler, par des torchères, des rejets de gaz fossile à différentes étapes de l’exploitation du pétrole et du gaz naturel. Ce n’est qu’une infime partie des émissions de GES d’origine fossile. » Donc innover ne suffit pas, il faut aussi moins consommer. « Nous, scientifiques, développons des procédés ou des produits 100 % biosourcés et 100 % biodégradables, à partir de résidus forestiers, agricoles ou des déchets alimentaires de l’industrie (drêche de brasserie, peaux de tomates, coques de noix…) », reprend Isabelle Capron. « Mais ces ressources sont produites localement, et en quantité limitée. On parle de gisements de niches. De plus, transporter des déchets pour produire des matériaux biosourcés peut devenir trop onéreux pour être rentable, il faut donc penser à une échelle locale, idéalement la métropole », conclut la chercheuse. Des résultats qui plaident pour une orientation de nos sociétés vers des systèmes d’économie circulaire où la production répond en priorité à un besoin local. 

  • Pierre Yves Lerayer

    Rédacteur

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