Bien-être des animaux d’élevage : l'étudier pour le favoriser

Étudier le bien-être des animaux d’élevage nécessite de s’intéresser au comportement des animaux, mais aussi, de manière plus globale, aux systèmes d’élevage et aux filières dans leur ensemble, en amont et en aval des exploitations d’élevage, jusqu’au comportement des consommateurs. C’est pourquoi les recherches sur le bien-être animal mobilisent de nombreuses disciplines scientifiques, dont l’éthologie, la physiologie, la génétique, la neurobiologie, l’économie, la sociologie, l’histoire et la philosophie.

Les animaux sont reconnus aujourd’hui comme des êtres sensibles. C’est un acquis scientifique, mais aussi une référence législative qui répond à une demande forte de la société. Le bien-être animal occupe une place importante dans l’agenda politique en France et en Europe. La France a créé par exemple, un comité d’éthique permanent pour les abattoirs tandis que la Commission européenne a mis en place un groupe de travail sur l’étiquetage relatif au bien-être animal pour mieux informer les consommateurs. Dans ce contexte, l’objectif de la recherche est d’apporter des connaissances à tous les acteurs de la société pour comprendre comment améliorer les conditions de vie des animaux d’élevage et accompagner les démarches de progrès en phase avec les attentes sociétales.

INRAE est engagé dans la recherche sur le bien-être animal depuis plus de 30 ans. L’Institut mobilise ses capacités de recherche, d’expertise, ainsi que des dispositifs innovants de partenariats pour mettre en œuvre collectivement des améliorations du bien-être des animaux dans les élevages. Il s’agit en même temps de veiller à ne pas dégrader les autres critères de la durabilité des élevages que sont les conditions de travail des éleveurs et leur rémunération, l’emploi, l’environnement et l’aménagement du territoire.

Définir le bien-être animal

Depuis sa naissance dans les années 1960 au Royaume-Uni, le concept de bien-être animal n’a cessé d’évoluer. Pendant longtemps, il se définissait par une absence de mal-être et de stress. Désormais, il s'appuie sur la notion de sensibilité émotionnelle des animaux.

Schéma Bien-être animal-CNRBEA

La réglementation européenne concernant les animaux d’élevage s’est appuyée sur le principe de bientraitance, en définissant des normes minimales pour le logement, l’alimentation, la conduite des animaux, etc. qui permettent d’atteindre les « cinq libertés » (1992, Farm animal welfare committee, organe consultatif indépendant créé au Royaume-Uni).  

Cependant, assurer une bonne alimentation, une bonne santé et un bon logement n’est pas suffisant. Il est important de tenir compte du ressenti émotionnel de l’animal. Le progrès des connaissances en neurologie et éthologie a renforcé la démarche animal-centrée. Ainsi l’observation des animaux permet de comprendre leurs besoins, leurs préférences, leurs attentes et leurs émotions. C’est ce que reflète la définition donnée par l’Anses en 2018.

Le bien-être d’un animal est l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal. (Anses, 2018)

Évaluer le bien-être animal

Un outil d’évaluation multicritère harmonisé au niveau européen

Un outil d’évaluation multicritère du bien-être animal a été conçu grâce à deux importants programmes européens successifs (programme Welfare quality®, 2004-2009, programme AWIN, 2011-2014). Ces deux programmes ont favorisé la démarche animal-centrée, selon laquelle l’évaluation du bien-être se base en partie sur l’observation des animaux, et non plus sur le seul examen de leurs conditions d’élevage. L’outil d’évaluation s’appuie sur des mesures réalisées sur le terrain à la fois sur les animaux et sur les ressources. Ces mesures se traduisent par des indicateurs agrégés en un score final. Cet outil a été décliné pour les porcs, les volailles et les bovins, et par la suite pour les petits ruminants et les chevaux.

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Illustration de la démarche d’agrégation de critères dans Welfare Quality®. D’après Veissier et al. (2010). Évaluation multicritère appliquée au bien-être des animaux en ferme ou à l’abattoir : difficultés et solutions du projet Welfare Quality®. INRAE Productions Animales, 23(3), 269–284. https://doi.org/10.20870/productions-animales.2010.23.3.3308

 

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Application à l'évaluation du bien-être des vaches laitières en France

L’outil Welfare quality® a été appliqué à 131 élevages de vaches laitières en France. Onze critères ont été évalués : absence de faim, de soif, de maladie, de blessures et de douleurs ; confort du couchage ; possibilité de mouvements ; accès au pâturage ; comportement social, relation homme-animal et état émotionnel de l’animal. Cette étude a permis d’identifier les principaux problèmes, à savoir la douleur lors de l’écornage, les boiteries et mammites, l’inconfort du couchage, le mauvais état corporel et la relation homme-animal dégradée. Des dispositifs d’évaluation plus légers peuvent dès lors se focaliser sur ces problèmes. L’étude a aussi montré que les vaches sont en meilleure santé sur de la paille, avec un bon niveau d’engraissement et de propreté. Elles sont moins à l’aise pour se coucher dans les étables à logettes, surtout si celles-ci sont trop petites… ou au contraire trop grandes, car les vaches peuvent se coucher en travers et se blesser avec les éléments de séparation.

Référence : de Boyer Des Roches A. et al. (2014). The major welfare problems of dairy cows in French commercial farms: an epidemiological approach. Animal Welfare 23 (4), 467-478. DOI 10.7120/09627286.23.4.467. hal-02071562

Les outils numériques pour le suivi de la santé et du comportement des animaux

Né dans les années 2000, l’élevage de précision (ou élevage sur mesure) permet un suivi individuel des animaux et une détection précoce des troubles de santé ou de comportement. Il nécessite l’utilisation de capteurs et de technologies de traitement de données. Les chercheurs d’INRAE ont par exemple contribué à l’interprétation des résultats des accéléromètres fixés aux pattes des vaches ou aux oreilles des porcs pour détecter des boiteries, mammites ou des troubles du comportement. Ils ont également testé des caméras 3D pour suivre l’état corporel des vaches en lactation. Ces outils génèrent un nombre de données très important, dont il faut extraire les informations pertinentes. Pour résoudre ce problème, la collaboration entre biologistes et experts en sciences des données (datascientists) est essentielle.

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Exemple : détection précoce des anomalies de rythme d’activité de vaches laitières dans un troupeau

En appliquant des outils de machine learning à des données obtenues à l'aide de capteurs de positionnement sur des vaches laitières, les chercheurs ont développé une méthode permettant de détecter 90 à 100 % des anomalies dues à un problème de santé, souvent 1 à 2 jours avant les signes cliniques détectables par l’éleveur, ainsi que 60 à 70 % des anomalies dues à un stress. Lire l'article : Les maths au service de l’élevage : détection précoce des anomalies de rythme d’activité de vaches laitières dans un troupeau

 

Les outils numériques peuvent faire gagner du temps à l’éleveur. Cependant, ils ne doivent pas se substituer aux contacts directs, qui restent irremplaçables pour observer les animaux et établir une relation positive entre l’éleveur et les animaux.

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Comment les éleveurs utilisent-ils les technologies de suivi des animaux ?

Une enquête auprès de 25 éleveurs français équipés de nouvelles technologies a permis d’identifier plusieurs profils d’éleveurs. Certains choisissent de déléguer la décision à l’équipement, totalement ou partiellement. D’autres maintiennent des pratiques relationnelles avec les animaux. Plusieurs éleveurs précisent que les données consultées sur l’ordinateur complètent l’observation directe des animaux, mais ne la remplacent pas. Les éleveurs ont donc une marge de manœuvre dans leur utilisation des outils numériques.

Référence : Kling-Eveillard F. et al. (2020). Farmers’ representations of the effects of precision livestock farming on human-animal relationships. Livestock Science, 238, 104057. https://doi.org/10.1016/j.livsci.2020.104057

Observer et comprendre les comportements des animaux

Le simple fait d’observer les animaux et d’analyser leur comportement renseigne sur les moyens à mettre en œuvre pour rendre les systèmes d’élevage plus respectueux de leur bien-être. Des travaux menés à INRAE sur divers animaux d’élevage montrent qu’ils ont des émotions et des capacités cognitives et sociales élaborées, loin de l’« animal machine » défini par Descartes, ayant pour tout bagage son instinct et ses réflexes.

Deux expertises scientifiques collectives ont été consacrées respectivement à la douleur et à la conscience animale. Ces expertises ont permis de faire le point sur les connaissances scientifiques internationales sur ces sujets.

La réglementation évolue lentement

En Europe, le continent le plus avancé en matière de respect du bien-être animal, la législation se préoccupe du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles depuis 2007 (article 13 du Traité de fonctionnement de l’UE). Une directive générale fixe des obligations de résultats pour la détention des animaux de rente. Des directives particulières fixent des obligations de moyens pour les espèces suivantes : veaux, porcs, volailles de chair et de ponte. La Commission européenne devrait réactualiser ces directives dans les deux prochaines années.

Ce n’est qu’en 2015 que la France harmonise le Code civil avec les Codes rural et pénal en reconnaissant les animaux comme des êtres sensibles, tout en les maintenant sous le régime des biens.

Au niveau international, l’OIE fixe des lignes directrices en matière de transport, d’abattage et de conditions d’élevage pour les animaux terrestres et aquatiques.

 

Les animaux sont des êtres sensibles. 

L’univers sensoriel des animaux diffère de celui de l’être humain. Par exemple, une poule voit dans les UV, une vache possède un champ visuel de plus de 300 degrés. Cependant, nombre d’espèces animales partagent avec l’homme des émotions communes – peur, colère, joie etc. – en mobilisant les mêmes zones du cerveau. Ce ne sont pas de simples réponses réflexes : elles dépendent de la manière dont l’animal évalue et ressent la situation. De nombreuses expériences montrent que les animaux sont capables d’empathie et de plusieurs formes de mémoire. Ils ne vivent pas seulement au présent, mais dans un présent qui tient compte du passé et de l’anticipation du futur.

Favoriser une relation positive entre l’humain et les animaux

Le bénéfice d’une relation homme-animal positive

Le contact est un déterminant essentiel de la relation avec l’animal. Plusieurs travaux menés à INRAE montrent l’intérêt des comportements positifs (caresses, paroles apaisantes) dans les contacts journaliers avec les animaux. Par exemple, des caresses répétées atténuent le stress des agneaux placés en allaitement artificiel, lorsque leur mère ne peut pas les allaiter. En réponse aux caresses répétées, les agneaux ont un rythme cardiaque ralenti et prennent des postures d’apaisement. De même, les veaux qui reçoivent des caresses au moment des repas présentent un meilleur état de santé.

De façon générale, les relations établies dans le jeune âge de l’animal déterminent durablement son attitude de peur ou de confiance vis-à-vis de l’éleveur. Chez l’animal adulte, certaines périodes de la vie sont plus propices à l’établissement de la relation homme-animal, par exemple la gestation et la mise bas, comme cela a été montré chez la brebis.

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Une formation multimédia pour favoriser des relations homme-animal positive

Un kit de formation multimédia, Quality handling, a été élaboré (projet européen Welfare quality®, 2004-2009). Il souligne l’effet bénéfique d’une relation homme-animal positive à la fois pour l’animal et pour l’éleveur. Le kit comporte des vidéos d’exemples, des manuels de formation et des affiches pour les éleveurs. Il peut servir pour des formations participatives en petit groupe de professionnels ou dans l’enseignement agricole. Il est aujourd’hui accessible pour l’élevage bovin en français, anglais et allemand, et pour l’élevage porcin et avicole en anglais et néerlandais.

Contact : Xavier Boivin, unité mixte de recherche sur les herbivores, centre INRAE Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes.

Des approches sociologiques des relations homme-animal

Des sociologues d’INRAE développent plusieurs approches de la place des animaux d’élevage au sein des sociétés humaines, ce qui permet de prendre du recul et d’élargir le débat.

L’approche de la sociologie du travail, mise au point pour analyser les sociétés humaines, peut être transposée à l’animal. En effet, l’analyse du comportement de vaches laitières dans une exploitation avec robot de traite montre que les vaches « travaillent », prennent des décisions et des initiatives qui compliquent ou facilitent le travail des éleveurs. Lire l’article La condition ouvrière des vaches laitières. Cette notion de travail a été élargie à d’autres animaux : chevaux, porcs, etc. Certains animaux peuvent même développer des compétences d’acteurs utilisées dans le cinéma. Dans tous ces travaux de terrain, les chercheurs observent que l’animal possède une subjectivité qui lui permet d’accomplir des tâches complexes, et que le travail qu’il fournit repose sur la confiance et la reconnaissance du dresseur ou de l’éleveur.

La place de l’animal reconnue en sociologie des organisations

Pour la première fois, une revue internationale reconnue en sociologie des organisations s’intéresse à la place de l’animal dans l’organisation des sociétés humaines. Coordonnée par Julie Labatut (INRAE, centre Occitanie-Toulouse) et deux collaborateurs britanniques, cette revue aborde plusieurs thèmes en lien avec l’élevage, dont l’organisation des abattoirs ou encore la diversité des ressentis des inspecteurs de qualité sanitaire dans un élevage britannique de poulets. Cette revue contribue à faire reconnaître l’agriculture, l’élevage et l’alimentation comme étant un domaine de recherche en sciences de gestion et des organisations.

Référence : Labatut J., Munro I., Desmond J. (ed.). (2016). Animals and Organization. Organization, 23 (3), special issue. http://org.sagepub.com/content/23/3.toc

Le bien-être animal : un bien public ?

Le bien-être animal est une valeur en soi (avis du Comité d’éthique INRAE-CIRAD, 2015)

Améliorer le bien-être des animaux d’élevage peut se traduire par une augmentation des coûts de production, par exemple lorsqu’il s’agit d’augmenter les surfaces de bâtiment par animal. Les consommateurs des pays développés, en particulier européens, se disent, selon les enquêtes réalisées, prêts à assumer ce surcoût au moment de l’achat. Cependant, face à des produits importés issus de pays moins exigeants en termes de bien-être animal, cette situation risque de créer des distorsions de concurrence.

Selon des chercheurs d’INRAE, le bien-être animal est un bien commun insuffisamment pris en compte par les marchés. Cet état de fait justifie une intervention des pouvoirs publics à l’échelle internationale, ou à défaut l’application de mécanismes d’ajustements aux frontières, y compris au sein de l’Union européenne, en cas de différences de normes réglementaires entre États membres.

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L’amélioration du bien-être animal justifie une action publique

Les chercheurs préconisent l’application du principe « fournisseur-payé » au niveau du premier pilier de la Politique agricole commune, en utilisant le nouvel instrument incitatif de l’écorégime. Ils recommandent que les pratiques visant à améliorer le bien-être animal (diminution de la densité d’animaux, accès à l’extérieur, arrêt des mutilations…) bénéficient des aides de l’écorégime, aux côtés des mesures concernant la biodiversité, le changement climatique, ou la réduction des pesticides. Lire l'article : Comment la PAC peut-elle aider à satisfaire les objectifs agricoles du Pacte vert pour l’Europe ?

Améliorer le bien-être des animaux dans les élevages

Voir les actions d'INRAE pour améliorer le bien-être des animaux dans les élevages ICI