Société et territoires 3 min

La condition ouvrière des vaches laitières

L’analyse des conduites de vaches laitières dans une exploitation avec robot de traite montre que les vaches « travaillent », prennent des décisions et des initiatives qui compliquent ou facilitent le travail des éleveurs. Interview de Jocelyne Porcher, sociologue et directrice de recherche à INRAE.

Publié le 13 mars 2017

illustration La condition ouvrière des vaches laitières
© INRAE C. Maître

Il est communément admis que les chiens policiers, les chiens d’aveugles, les chiens de bergers travaillent. Mais on remarque moins cet engagement dans le travail chez les animaux d’élevage. Les animaux d’élevage sont les grands oubliés de la sociologie rurale et de la sociologie du travail. Or, des études conduites à INRAE montrent que les vaches, les cochons collaborent au travail, et qu’ils le font non pas comme un conditionnement, mais avec leur propre « personnalité ». Les vaches investissent leur intelligence et leur affectivité dans le travail.

Qu’avez-vous pu observer avec les vaches ?

Jocelyne Porcher : Les vaches comprennent les règles instituées par l’éleveur (1). Elles savent par exemple qu’elles doivent quitter leurs logettes  lorsque  l’éleveur épand la paille. Certaines anticipent, d’autres attendent la claque de l’éleveur pour bouger. Dans l’aire d’attente devant le robot de traite, qui laisse une certaine liberté aux vaches, on peut observer toute une série de comportements : éviter les conflits, se montrer polies, ou au contraire exercer des rapports d’autorité basés sur une hiérarchie entre vaches. Par exemple, une vache s’amuse à bloquer l’accès du robot de traite pendant 40 minutes : elle essaie de mettre la tête dans l’auge sans entrer complètement dans le robot, pour manger en évitant la traite. Ce type de comportement montre que les vaches comprennent comment fonctionne le robot.

Qu’attendent les vaches de leur « travail » ?

J. P. : Comme pour les humains, la reconnaissance est un des moteurs qui motivent pour travailler. En élevage, cette reconnaissance passe par un jugement réciproque qu’on peut qualifier de « jugement du lien ». Pour les vaches, le jugement du lien ne porte pas sur le travail accompli, mais sur les moyens du travail : elles ne s’intéressent pas à leurs courbes de performances laitières, mais aux conditions de vie au travail. Et elles attendent une reconnaissance pour leur « bon boulot ». Cette reconnaissance, chez des éleveurs peu démonstratifs, peut d’ailleurs être simplement une absence d’intervention, preuve que les vaches font ce qu’on attend d’elles.

Pour les humains comme pour les animaux, il y a travail et travail. Il y a le travail qui émancipe et le travail qui aliène. Les effets positifs ou négatifs du travail dépendent du système de production. Le travail peut accroître la sensibilité des animaux, développer leurs capacités ou au contraire les abrutir et les faire souffrir. Le travail sera d’autant plus positif qu’il permet aux animaux de garder le lien avec leur monde propre : la prairie pour les vaches, qui sont des ruminants, le sous-bois pour les cochons qui sont des explorateurs du sol.

Quels sont les effets de l’industrialisation de l’élevage ?

Système de traite mobile
Système de traite mobile employé dans les alpages et mis au point à Jouy-en-Josas.

J. P. : La relation de domestication aux animaux peut être la meilleure ou la pire des choses. La pire, si les animaux se trouvent aliénés par des systèmes au sein desquels ils n’ont plus aucune chance d’exister, la meilleure, si le rapport domestique aux animaux est une occasion de pacification et d’émancipation réciproque (2). Le processus d’industrialisation de l’élevage entamé en France à partir du milieu du XIXe siècle oriente nos relations aux animaux d’élevage du mauvais côté. C’est le cas de la production laitière et de la production porcine, qui relève depuis longtemps moins de la ruralité que de l’industrie. Cette orientation toutefois n’est pas une fatalité. Le robot de traite, comme d’autres équipements du travail en élevage, ne sont pas en soi nécessairement des outils d’aliénation des animaux et des éleveurs.  On pourrait par exemple concevoir un robot de traite compatible avec le pâturage et donc avec une certaine liberté de mouvements des animaux.

(1) Voir encadré 1.

(2) Porcher et Tribondeau, 2008.

Le travail animal, un nouveau champ de recherches

En ouvrant ce front de recherches inédit sur le travail animal, l’équipe de Jocelyne Porcher (Animal’s Lab*) a analysé de nombreuses autres situations de travail avec des animaux d’élevage. Par exemple, une étude consacrée à des chevaux auxquels on apprend à reconnaitre des images sur un écran montre que les animaux ne s’en tiennent pas à leur conditionnement initial, mais comprennent la situation lorsque l’ordinateur dysfonctionne et y réagissent différemment selon leur « personnalité ». Enfin, il existe parmi les chevaux ou les cochons, voire les vaches, des animaux ayant des compétences professionnelles particulières, comme se positionner devant la caméra et faire semblant d’éprouver des émotions, actions qui ont été longtemps pensées comme étant le propre des humains. De même, les chiens dans leurs différents métiers (militaires, de police, d’aveugle, d’assistance…), les animaux de zoo ou de cirque mobilisent leur intelligence, leur affectivité pour travailler avec leurs humains et atteindre les objectifs fixés.

 

Pascale MollierRédactrice

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