Utilisation, risques, toxicité, pharmacovigilance

Sur quelles bases reposent la réglementation de l’usage des pesticides et celle de la gestion des risques associés ? Quelles sont les questions posées à la recherche ? Quelques chiffres, infographies, définitions et éléments pour mieux comprendre.

Panorama des usages

Cultiver et protéger sans pesticides

Quelques repères

466 substances actives - herbicides, insecticides et fongicides -  autorisées en Europe en mars 2021, pour des usages principalement agricoles. Parmi elles, 319 font l’objet d’au moins une autorisation en France (Catalogue des produits phytopharmaceutiques autorisés en France ).

1 700 formulations autorisées pour au moins un usage en France en mars 2021. Environ 300 demandes nouvelles ou renouvellement d’autorisation de mise sur le marché examinées chaque année par l’Anses.

Pendant de nombreuses années, les pesticides ont également été utilisés pour traiter les espaces verts, terrains de sports et infrastructures.

1,87 Milliards € de chiffre d’affaire pour l’industrie de la protection des plantes en France (source UIPP) en 2019.

Près de 43  %, en tonnage, des substances actives utilisées en France en 2017 étaient des herbicides ; près de 42 % étaient des fongicides. Les insecticides représentaient un peu plus de 5 % ; les régulateurs de croissance, un peu moins de 5 %. (Source Agreste)

En 2017, 1er herbicide utilisé utilisé dans le monde et en France : le glyphosate (données 2017). Les principaux usages du glyphosate déclarés par les agriculteurs français sont la lutte contre les adventices vivaces et repousses pour 77,8 % des usages, la destruction de couverts végétaux pour 16,1 % et la destruction de prairies pour 2,1 % des usages.

Cultures  La pomme de terre est la culture annuelle nécessitant le plus d’interventions phytosanitaires par hectare. En 2015, son indicateur de fréquence de traitement (IFT) est de 18,9, dont 14,4 pour les fongicides. Le blé tendre représente la culture la plus importante en surface (20 % de la SAU en France en 2014). Son IFT était de 4,9 en 2017 contre 4,5 en 2011. (source).

En cultures fruitières, les IFT les plus élevés le sont pour les pommes (35,5) et les pêches (19,3). En cultures légumières, la tomate est l’une des cultures les plus traitées, avec un IFT voisin de 11 (Agreste).

Pour la vigne, l’IFT atteignait en moyenne 20,1 en 2016, la plupart des traitements étant lié à des fongicides (16,0) majoritairement employés contre le mildiou et l’oïdium (Agreste). De grandes différences existent entre bassins viticoles, en lien direct avec le climat.

Biodiversité et milieux

75% de la surface agricole mondiale présenterait un risque de pollution par les pesticides

75% de la surface agricole mondiale présenterait un risque de pollution par les pesticides de synthèse. Des chercheurs australiens estiment que 74,8 % de la surface agricole mondiale présenterait un risque de pollution aux pesticides par au moins une molécule. Ce risque est évalué au travers d’une note agrégée prenant en compte des analyses sur 92 molécules différentes. Pour chacune d’entre elles, les scientifiques ont comparé la concentration dans l’air, l’eau ou la terre, obtenue par un modèle géographique basé sur les assolements, avec les concentrations sans effet chez les vers de terre, les poissons, ou les rats.  (Nature Geoscience, 29 mars 2021)

En France métropolitaine, l’indice d’évolution de la présence des pesticides dans les cours d’eau (IPCE) permet de suivre l’évolution de la contamination chronique de ces milieux en prenant en compte l’écotoxicité de chacune des substances détectées. Il a baissé d’environ 10 % entre 2009 et 2014, malgré un rebond en 2012 (graphique 3, courbe violette). La baisse est principalement due au retrait du marché de plusieurs herbicides. Ces substances sont fréquemment détectées dans les cours d’eau car elles sont très utilisées et souvent relativement mobiles dans l’environnement.

Les activités agricoles sont responsables de 28 % des émissions françaises de particules de diamètre inférieur à 10 micromètres, principalement sous la forme de composés azotés – notamment ammoniac et oxydes d’azote – et de pesticides.

Microorganismes, invertébrés, oiseaux, poissons, reptiles, mammifères… peuvent être affectés par les pesticides, directement ou via l’impact sur leurs sources de nourriture ou leur habitat.  Si des études attestent de ces impacts, il n’y a pas actuellement d’indicateur global disponible quant aux effets des pesticides sur la biodiversité.

APPUI AUX POLITIQUES PUBLIQUES

Se passer de pesticides de synthèse ?

Il s'agit d'une demande pressante d’une part importante de la société et un objectif fort des politiques publiques. Les agriculteurs, conscients des risques pour la santé et l’environnement, sont sensibilisés sur le sujet ; pour autant, les pratiques peinent à évoluer rapidement. Dans le cadre du plan Ecophyto 2+, INRAE a achevé deux expertises scientifiques collectives pour faire une synthèse actualisée des connaissances scientifiques disponibles et une prospective.

Santé De fortes suspicions existent sur le rôle des pesticides dans le développement de pathologies chroniques (cancers, troubles neurologiques, troubles de la reproduction), notamment dans le cadre des expositions professionnelles, qui concerneraient entre 1 et 2 millions de personnes en France. (Source Inca 2015 et e-cancer)

La cohorte Agrican, mise en place en 2005, suit l’état de santé de 180 000 agriculteurs, comparés à la population générale. Elle confirme des liens entre pesticides et certains cancers en identifiant les métiers les plus exposés et les pratiques à éviter. Extraits : Un lien entre pesticides et lymphomes non-hodgkiniens confirmé. Les producteurs de pommes de terre sont particulièrement concernés (+70 % de risque). La désinfection des locaux (+70 % de risques) et l’utilisation des insecticides sur les animaux (+50 %) auraient un effet comparable chez les éleveurs ovins et caprins. Dans le cas des leucémies lymphoïdes, également considérées comme maladies professionnelles, l’augmentation de risque pour les utilisateurs de pesticides s’élève à 50 %. Les viticulteurs seraient particulièrement exposés (+70 % de risque), de même que les maïsiculteurs. Les données montrent « une augmentation de risque de 40 % de maladie de Parkinson » en lien avec l’utilisation de zinèbe  et de zirame, deux  fongicides dont le premier est aujourd’hui interdit en Europe.

L’étude PÉLAGIE (Perturbateurs Endocriniens : Étude Longitudinale sur les Anomalies de la Grossesse, l’Infertilité et l’Enfance) suit environ 3 500 binômes mères-enfants en Bretagne depuis 2002. Un impact d’expositions prénatales à des contaminants (solvants, pesticides) sur le développement intra-utérin a été suggéré ; l’évaluation des conséquences sur le développement de l’enfant est en cours.

Pour aller plus loin :

Pesticides et santé, nouvelles données. Actualisation juin 2021 de l'expertise scientifique collective menée en 2013 par l'Inserm (exposition en milieu professionnel, pendant la grossesse ou l'enfance, riverains des zones agricoles, focus sur le chlordécone, le glyphosate et les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase)

 

Le choix des indicateurs

Que mesure-t-on :

HRI1 : indicateur de la Commission Européenne, qui est calculé sur la base du nombre de molécules actives présentes sur le marché pondéré par leur dangerosité pour la santé. Etabli en mai 2019, avec la visée d’une publication annuelle.

NODU : Le Nombre de doses utiles (NODU) permet d’apprécier l’intensité d’utilisation des produits phytopharmaceutiques, en rapportant la quantité vendue de chaque substance active à une « dose unité », c’est-à-dire la dose maximale de cette substance active applicable lors d’un traitement « moyen » une année donnée. Utilisé dans le plan Ecophyto français il évalue notre dépendance aux pesticides, en évitant les biais liés aux grandes différences de doses homologuées entre molécules.

IFT : L'Indice de Fréquence de Traitements phytosanitaires (IFT) est un indicateur de suivi de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à l’échelle d’une culture, de l’exploitation agricole ou d’un groupe d’exploitations. Utilisé dans le plan Ecophyto français, l’IFT comptabilise le nombre de doses de référence utilisées par hectare au cours d’une campagne culturale. Il peut être décliné par grandes catégorie de produits.


Comment gérer les risques associés aux pesticides ?

Les pesticides ont par vocation des effets sur les organismes qu’ils visent à réguler : selon les cas, ils agissent sur l’expression de certains gènes, sur certaines fonctions métaboliques ou sur le système nerveux, en affectant le comportement… S’assurer qu’ils ne vont pas avoir le même type d’effets sur d’autres organismes vivants ou sur les humains est une étape cruciale de leur homologation. Cette évaluation prend des années (souvent près de 10 ans) et pose beaucoup de questions à la recherche.

La toxicité de ces substances peut être immédiate (aiguë) ou se manifester dans le temps (chronique). Leurs effets peuvent être différents selon les âges de la vie ou la plus ou moins grande sensibilité de certains individus ou de certaines populations. Certains pesticides sont aussi des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire altérant le fonctionnement de notre système hormonal. Ils peuvent aussi parfois affecter la descendance des organismes exposés.

Autre défi : comment évaluer les effets conjugués de plusieurs pesticides, encore appelés effet cocktail ? De ce socle de connaissances sur la toxicité dépendent les politiques de gestion des risques.

Pas à pas… comprendre le risque

Le danger est une propriété intrinsèque d’une substance susceptible de causer des effets néfastes à l’organisme vivant qui y est exposé. Il est notamment évalué grâce à des tests de toxicité. L’exposition correspond à la mise en contact d’une substance avec un organisme ou un groupe d’organismes. Elle est évaluée par la mesure de la concentration de cette substance dans l’eau, l’air, le sol ou bien encore l’alimentation.
Au croisement du danger et de l’exposition,
 le risque correspond à la probabilité de survenue de l’impact d’une substance sur un organisme en fonction de l’exposition à cette substance. Pour réduire le risque, on peut agir sur le danger (par exemple en interdisant la substance concernée) et/ou sur l’exposition (par exemple en réduisant les usages de la substance).



L'exposome représente la totalité des expositions à des facteurs environnementaux, y compris celles liées à l'environnement, au régime alimentaire, au comportement et aux processus endogènes que subit un organisme - humain ou autre - de sa conception à sa fin de vie en passant par le développement in utero.

 

(Et d'autres définitions ci-dessous)

 

 

 

 

Les autorisations de mise sur le marché : quels usages visés ? quels risques évalués ?

Le produit candidat à la commercialisation est une « formulation » associant une substance active à des adjuvants qui en facilitent l’usage. L’autorisation de mise sur le marché pour une formulation à usage phytosanitaire est octroyée pour une liste d’usages déterminée. Elle se fonde sur une analyse risque/bénéfices, et elle est encadrée à l’échelle européenne par le règlement 1107/2009/CE.

Lorsque toutes les conditions sont satisfaites, l’autorisation est validée pour un usage relatif à une espèce végétale (ou un groupe de végétaux), un organisme nuisible cible (ou un groupe) et un mode de traitement ou une fonction (ex. régulateur de croissance). L’avis est assorti de conditions d’emploi telles que la dose homologuée, la période et la fréquence d'utilisation, et les pratiques agricoles associées au traitement. Il permet également de fixer des bonnes pratiques d'utilisation et, si nécessaire, d'introduire des restrictions d'usage en fonction des risques identifiés. Des recommandations peuvent également être formulées en matière de suivi post-autorisation.

La pharmacovigilance : un suivi des impacts

Une fois homologué, un produit phytopharmaceutique peut voir son usage se développer à grande échelle et peuvent alors apparaître des phénomènes de contamination de l’environnement ou des aliments, ou bien encore des effets non intentionnels qui n’avaient pas été anticipés. La phytopharmacovigilance a été mise en place pour assurer une veille et une surveillance de ces effets. L’objectif est de détecter au plus tôt les signaux qui peuvent conduire à prendre des mesures de prévention ou de limitation des risques liés aux pesticides.

Ce dispositif a été instauré en 2014 en France et confié à l’Anses. Il suit la contamination des milieux, l’exposition et les impacts sur les organismes vivants et les écosystèmes dans leur ensemble, ainsi que les phénomènes d’apparition de résistances chez les organismes cibles. Il est alimenté par une veille systématique et régulière des informations produites par les organismes de surveillance et de vigilance déjà existants, ainsi que par les signalements des acteurs de la protection des plantes. Il conduit des études dédiées sur les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques. Le cas échéant, les informations ainsi recueillies peuvent permettre, si nécessaire, l’adaptation des conditions d’autorisation de mise sur le marché des produits aujourd’hui commercialisés (par exemple par la réduction des doses, l’adaptation des conditions d’application ou le retrait d’une autorisation de mise sur le marché), de définir des mesures de gestion transversale, par exemple pour la protection des personnes à proximité des zones traitées, ou bien encore de contribuer à s’assurer du respect des interdictions d’usages de produits, notamment ceux dont les substances actives ne sont plus approuvées au niveau européen.


Les définitions

Aigu : implique la notion de rapidité.

   - Effet aigu : survient rapidement, généralement dans les premières heures qui suivent l'exposition (souvent de courte durée) à un toxique.

   - Toxicité aiguë : Ensemble des effets aigus.

Chronique : implique un long terme.

 - Intoxication chronique : Intoxication qui survient de façon (semi-)continue sur une durée importante.

 - Toxicité chronique : Ensemble des effets qui surviennent à la suite d'une exposition ou d'une intoxication chronique.

Effet chronique : Conséquence de l'intoxication qui se développe lentement et qui suit un cours long, souvent irréversible.

 

CMR : Le terme cancérogène (ou cancérigène), mutagène et reprotoxique (CMR) définit une catégorie de substances chimiques particulièrement dangereuses en tant que sources de risques à effets différés.

Ces composés sont soit cancérigènes (pouvant entraîner un cancer), soit mutagènes (entraînant des mutations génétiques), soit toxiques pour la reproduction (pouvant entraîner entre autres des possibilités de stérilité). Certaines substances chimiques peuvent présenter plusieurs de ces dangers en même temps. Plusieurs seuils sont définis : 1A (avéré), 1B (supposé), 2 (suspecté).

 

Effet cocktail : les mélanges de susbtances peuvent avoir un effet additif (1 + 1 = 2) ou synergique. Dans ce dernier cas, cela signifie que leur toxicité cumulée est supérieure à la somme de chacune d’elles. En clair 1 + 1 = 3, 5 ou 9, et non pas 2 comme c’est le cas pour un effet additif !

 

Effet létal : se traduit par la mort de l’individu.

 

Effet sublétal : désigne une atteinte non mortelle. Les dommages ne sont pas toujours visibles extérieurement mais peuvent être mis en évidence par des analyses biochimiques ou histologiques. Des effets sublétaux à court terme peuvent s'avérer létaux à long terme.

 

Exposome : Totalité des expositions à des facteurs environnementaux, y compris les expositions liées à l'environnement, au régime alimentaire, au comportement et aux processus endogènesque subit un organisme humain (ou non humain), de sa conception à sa fin de vie en passant par le développement in utero.

Homologation / Autorisation de mise sur le marché (AMM) : L'évaluation de nouveaux produits phytopharmaceutiques avant mise sur le marché ou de demandes de renouvellement se décompose en 2 étapes : une évaluation des effets, dangers et des risques liés aux substances actives entrant dans la composition des produits puis une évaluation des intérêts et des risques liés aux préparations commerciales.

Perturbateur endocrinien : Terme apparu en 1991 mais dont la définition par l’OMS est plus récente. Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)- populations (OMS, 2002). Les perturbateurs endocriniens peuvent interférer avec toutes les grandes fonctions des organismes vivants : croissance, reproduction, comportement, nutrition, métabolisme, système nerveux…

Phytopharmacovigilance : Dispositif qui a pour objectif de surveiller les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques disponibles sur le marché et couvre à la fois la contamination des milieux, l’exposition et les impacts sur les organismes vivants et les écosystèmes, ainsi que les phénomènes d’apparition de résistances (Anses).

Rédaction : Nicole Ladet

Pilotes scientifiques : Thierry Caquet, directeur scientifique Environnement - Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture - Guy Richard, directeur des Expertises, Prospectives et Études

Avril 2021