Agroécologie 5 min
Produits phytopharmaceutiques, comment sont-ils réglementés ?
Les produits phytopharmaceutiques utilisés pour protéger les cultures doivent répondre à de nombreux impératifs : être et rester efficaces pour les usages envisagés et, en même temps, ne présenter aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale, et aucun effet inacceptable sur l’environnement. L’Anses est impliquée à toutes les étapes de la vérification de ces impératifs, depuis l’évaluation des substances actives jusqu’à l’autorisation de mise en marché des produits, mais également dans la veille sur leurs impacts et sur l’apparition de résistances. Un éclairage sur ces questions avec l'Anses.
Publié le 27 avril 2021
Quelques questions et réponses sur la réglementation de l'utilisation des produits phytosanitaires, rédigées sur la base d'un interview avec l'Anses.
Les autres volets de notre dossier : enjeux, recherches et solutions pour la réduction de l'utilisation des pesticides de synthèse, accompagnés de définitions, dates, chiffres :
Qu’est-ce que l’autorisation de mise en marché (AMM) ?
1 700 produits formulés autorisés par une AMM en France (mars 2021)
L’AMM est délivrée à un demandeur (souvent un industriel) en vue d’autoriser la commercialisation d’un produit phytopharmaceutique en France, pour un ou des usages. Chaque produit formulé est composé d’une ou plusieurs substances actives associées à des co-formulants qui en facilitent l’utilisation. En mars 2021, on dénombre 1 700 produits formulés autorisés par une AMM en France.
Pour délivrer une AMM en France, la substance active du produit phytopharmaceutique doit préalablement avoir été approuvée par l’Union Européenne, sous la forme d’un Règlement d’exécution de la Commission européenne. La Commission pilote l’instruction de la demande et s’appuie sur les résultats des évaluations de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) conduites en partenariat avec les États-membres. En avril 2021, 468 substances actives sont approuvées au niveau européen, dont 319 font l’objet d’au moins un produit autorisé en France.
L’Anses est chargée de l’instruction des demandes pour la France
Les demandes d’AMM peuvent être déposées pour plusieurs Etats-membres appartenant à une même zone de l’Union européenne, la France appartenant à la Zone Sud. L’Anses est chargée de l’instruction des demandes pour la France. Les substances actives font l’objet d’un renouvellement régulier de leur approbation afin de prendre en compte les nouveaux éléments scientifiques disponibles. Lorsqu’une substance active est ré-approuvée, le détenteur de l’AMM dispose d’un délai de trois mois pour soumettre un dossier visant à renouveler les AMM des produits concernés.
Pour garantir l’indépendance entre l’évaluation scientifique et la décision, l’instruction par l’Anses est partagée entre deux directions, la direction de l’évaluation des produits réglementés (DEPR) qui évalue les produits selon la réglementation, et la direction des autorisations de mise sur le marché (DAMM), chargée de l’instruction des demandes et des décisions, avec la perception des taxes.
Sur environ 2 000 décisions prises chaque année par l’Anses, près de la moitié sont de nature administrative (ex. nouveau nom commercial).
Sur quelles données l’AMM se fonde-t-elle ?
Evaluer les risques pour l’homme, l’animal ou l’environnement, ainsi que l’efficacité du produit contre l’organisme nuisible visé dans les cultures concernées
L’Anses ne fait pas d’essais, c’est le demandeur qui prépare le projet de dossier de demande, appelé « registration report », c’est-à-dire l’ensemble des éléments qui peuvent conduire à autoriser le produit. Il s’agit de travaux très conséquents pour réunir toutes les données (études, essais) permettant d’évaluer les risques pour l’homme, l’animal ou l’environnement, ainsi que l’efficacité du produit contre l’organisme nuisible visé, pour les cultures concernées. Pour produire ces données, il doit se conformer à des documents guides européens très cadrés établis par l’EFSA et les Etats membres et adoptés par les gouvernements des Etats-membres. Les exigences et les méthodologies d’évaluation en matière de santé, résidus dans les aliments ou l’eau, dégradation dans le sol, écotoxicologie, exposition des riverains (résidents, promeneurs, adultes et enfants), etc. évoluent et se renforcent, les dossiers doivent les prendre en compte. Le demandeur peut conduire des essais, sous réserve de l’obtention d’un agrément, ou les déléguer à un prestataire de service agréé. Les experts de l’Anses examinent les pièces du dossier, les résultats produits, et prennent également en compte la littérature scientifique mondiale disponible. L’agence fait également appel à des comités d’experts indépendants pour discuter de la fiabilité des études, du niveau des résultats, de la conformité aux exigences. Au final, seuls les essais validés sont retenus. Du fait de la multiplication des critères requis, évaluer une substance est de plus en plus long et complexe : au moins deux années sont nécessaires.
En s’appuyant sur des équipes représentant près 160 personnes, l’Anses conduit environ 5 à 10 évaluations de substances actives par an. Elle évalue par exemple en ce moment le glyphosate, une substance active herbicide, en tant que membre d’un consortium de quatre États-membres. Quand ils ont terminé, le projet de rapport d’évaluation est transmis à l’EFSA ; une phase de consultation publique est alors ouverte. Après analyse des commentaires issus la consultation publique par les Etats membres et l’EFSA, le rapport d’évaluation est finalisé par les Etats membres rapporteurs. L’EFSA rédige également un document relatif aux conclusions de l’évaluation. L’ensemble des documents relatifs à l’évaluation sont publiés sur le site de l’EFSA. La Commission européenne, en s’appuyant sur les conclusions de l’évaluation, propose un projet de règlement d’approbation ou de non approbation, soumis au vote des Etats membres.
AVEC L'AMM, DES CONDITIONS D'UTILISATION
Lorsque toutes les conditions sont satisfaites, l’autorisation de mise en marché est validée pour un usage relatif à une espèce végétale (ou un groupe de végétaux), un organisme nuisible cible (ou un groupe) et un mode de traitement ou une fonction (ex. fongicide). L’avis est assorti de conditions d’emploi telles que la dose homologuée, la période et la fréquence d'utilisation, et les pratiques agricoles associées au traitement. Il permet également de fixer des bonnes pratiques d'utilisation et, si nécessaire, d'introduire des restrictions d'usage en fonction des risques identifiés. Des recommandations peuvent également être formulées en matière de suivi post-autorisation.
En savoir plus sur le site de l'Anses >
Comment répondre à tous les besoins ? Et favoriser l’innovation, en particulier le biocontrôle ?
Pour des « utilisations dites mineures », des dispositions particulières sont prévues par le règlement européen (article 51). Dans ce type de demandes, l’évaluation de l’efficacité bénéficie d’une exemption. Les filières agricoles concernées peuvent réaliser des essais qui montrent l’intérêt agronomique en vue d’une demande.
Un plan d'action national pour les produits de biocontrôle
Les produits de biocontrôle, qui, outre des substances d’origine naturelle, englobent aussi les phéromones (qui attirent les papillons par ex.) et les microorganismes agents de lutte biologique, sont eux-aussi des produits phytopharmaceutiques soumis à AMM. Du fait qu’ils sont d’origine naturelle (souvent végétale, avec ou sans transformation chimique, parfois minérale ou animale), la méthodologie d’évaluation des risques est adaptée. L’introduction du biocontrôle dans la réglementation relève du droit national. En Europe, ces produits peuvent entrent dans la catégorie des « substances et produits à faible risque ». Grâce à un plan d’action national, ils bénéficient de dispositions plus favorables destinées à encourager leur développement comme alternative auxautres substances : une demande d’AMM coute ainsi dans ce cas 2 000 € (contre 50 000 € en moyenne pour les autres produits). Les délais de traitement sont d’autre part réduits, avec un traitement prioritaire des demandes. La procédure européenne pour évaluer et approuver la substance active s’applique également pour le biocontrôle.
L’évolution de ce marché est progressive : il est parfois difficile d’innover dans cette voie. On observe des innovations notamment dans le domaine des phéromones et microorganismes. Des substances naturelles peuvent également être approuvées, selon une procédure spécifique, en tant que substance de base, comme par exemple, la prèle, l’huile d’oignon, le vinaigre.
Le nombre de substances chimiques de synthèse approuvées est en baisse
Le nombre de substances chimiques de synthèse approuvées est en baisse. Le niveau d’exigences renforcé et l’ajout de critères sanitaires et environnementaux conduisent à retirer des substances et par conséquence les AMM des produits. Le manque de diversité dans les modes d’action des moyens de lutte peut favoriser l’émergence des phénomènes de résistance. En absence d’alternatives, cette perte de moyens de lutte peut conduire certaines filières à se retrouver en difficulté pour maintenir la production en France, d’autant que les effets du changement climatique et le développement des échanges internationaux peuvent également favoriser le développement d’organismes nuisibles aux végétaux (insectes notamment).
Comment prend-t-on en compte l’émergence de nouveaux risques ?
La vigilance sur l’efficacité de ces produits et sur les risques associés, avérés et émergents, pour l’homme et l’environnement s’effectue ainsi durant tout le cycle de vie de ces produits.
Certaines AMM peuvent prendre une fin anticipée si un risque émergent est identifié, si de nouvelles informations apparaissent ou encore si le produit est non conforme à ce qui a été déclaré. Ces cas restent rares, car de plus en plus de facteurs sont pris en compte en amont de l’autorisation : les produits sont autorisés s’ils ne présentent pas d’effets nocifs sur la santé humaine ou inacceptables sur l’environnement, la robustesse de l’évaluation est en amélioration continue et prend en compte l’incertitude.
La surveillance des effets indésirables des produits et des signaux relève de la phytopharmacovigilance (voir aussi l’encadré), également assurée par l’Anses. Il s’agit de surveiller les milieux, de coordonner des études pour améliorer les connaissances (par ex. teneurs dans l’air ou dans l’eau), d’assurer une veille sur la phytotoxicité et sur l’apparition de résistances. Elle fait la synthèse de toutes les remontées de terrain (effet sur les abeilles, milieux aquatiques…) et assure une veille permettant de détecter tout risque non identifié.
Plusieurs services de l’Etat ou d’établissements publics réalisent des contrôles sur les produits, à différentes étapes de leur vie, afin d’identifier d’éventuelles non-conformités en matière d’étiquetage, de vente ou d’utilisation. C’est le rôle par exemple des directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) et des directions départementales chargées de la protection des populations (DDPP / DDCSPP) pour les vérifications de l’étiquetage, le contrôle des locaux de stockage ou des registres tenus par les agriculteurs. L’Office français de la biodiversité (OFB) assure également des contrôles sur le terrain, par exemple sur les bandes enherbées à proximité des cours d’eau.
La vigilance sur l’efficacité de ces produits et sur les risques associés, avérés et émergents, pour l’homme et l’environnement s’effectue ainsi durant tout le cycle de vie de ces produits.
Dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, la mise en place d’un dispositif de phytopharmacovigilance a été confiée à l’Anses. Il couvre la contamination des milieux, l’exposition et les impacts sur les organismes vivants, dont la santé humaine, et les écosystèmes dans leur ensemble, ainsi que les phénomènes d’apparition de résistances. L’objectif est de détecter au plus tôt les signaux qui peuvent amener à prendre des mesures de prévention ou de limitation des risques liés aux produits phytopharmaceutiques. Ce dispositif repose sur trois modalités fondamentales et complémentaires de recueil de données et de production de connaissances : un réseau d’organismes de surveillance ou de vigilance, des études ad hoc et le recueil de signalements spontanés.