Agroécologie 5 min

Pionnier en agriculture de conservation des sols : le goût d’innover

Reportage chez Thierry Beauvais, un agriculteur qui a adopté en 2015 l’agriculture de conservation des sols, sans travail du sol et avec des couverts permanents. Un système qui l’amène à innover en permanence, en relation avec des chercheurs d'INRAE.

Publié le 22 janvier 2019

illustration Pionnier en agriculture de conservation des sols : le goût d’innover
© INRAE B. Nicolas

Quatre ans après sa conversion en agriculture de conservation des sols (ACS), Thierry Beauvais peut être fier de ses résultats : « cette année, j’ai les mêmes rendements que mes voisins, et ils commencent à s’intéresser à mon système, qui avait au départ une image de marque plutôt négative ». Aujourd’hui, Thierry gère seul son exploitation de 360 hectares à Pougny, dans la Nièvre (58) dans un système au principe apparemment simple : ne pas travailler le sol et toujours semer les cultures dans un couvert vivant (NB : vidéo tournée en novembre, images de semis fictif pour illustrer le fonctionnement du semoir).

Une conversion radicale

C’est en 2015 que Thierry décide d’acheter son semoir en semis direct, une pièce maîtresse du système. Il convertit en trois semaines toute son exploitation en ACS. « J’utilisais avant un système en TCS (techniques culturales simplifiées) avec une rotation de trois ans (blé-orge-colza). Dans ce système, il faut pratiquer régulièrement le déchaumage et le faux semis (1), ce qui consomme beaucoup de fuel. L’état des champs finit par se dégrader, avec une perte de matière organique, un salissement lié à l’accoutumance de certaines adventices, et un plafonnement des rendements malgré l’utilisation d’engrais ». En ACS, Thierry est passé à une rotation sur six ans (avec du blé tendre ou blé dur, orge, colza, tournesol, maïs ou sorgho) et a considérablement réduit les intrants. Le principal problème de l’arrêt du travail du sol est la gestion des mauvaises herbes (ou adventices), dont les graines ne sont plus enfouies dans le sol par le labour. La présence permanente de « couverts » vivants aide à contrôler le développement des adventices sans entraver celui des cultures.

L’art de mettre le « couvert »

Couvert
Le blé semé en novembre sous un couvert de chaume de colza (tige blanches) et de lotier (moins visible à cette saison), commence à germer (pousses vertes). Le lotier démarrera en mai lorsque le blé sera déjà haut et assurera la couverture du sol après la moisson. © INRAE Bertrand NICOLAS

Thierry est devenu expert dans le maniement délicat des couverts, dont il ajuste la composition chaque année, en tenant compte des dates de semis, des cycles végétatifs et de la profondeur d’enracinement de chaque espèce. Il utilise des légumineuses, qui enrichissent le sol en azote : lotier, fenugrec, lentille, féverole, vesce, mais aussi la cameline, une brassicacée de la famille du colza, dont la fleur jaune sert de leurre pour attirer les pucerons. Thierry affectionne particulièrement le lotier, une légumineuse de couverture qui « s’auto-resème » et qui va « creux », c’est-à-dire dont les racines sont profondes, un atout contre la sécheresse. « La sécheresse est devenue le principal problème ces dernières années, ce qui m’a amené à développer le lotier en couverture et le sorgho et le blé dur en culture ».

Un système agroécologique à bas intrants

Econome en engrais azotés, insecticides, fongicides et fuel, le système ACS est un système à bas intrants qui s’appuie sur les principes de l’agroécologie : il mobilise les régulations naturelles pour contrôler les ravageurs et favoriser la fertilité du sol, grâce à la microflore et la microfaune du sol, et à l’utilisation de légumineuses. En retour, la diminution d’intrants préserve la biodiversité sauvage, le tout formant un cercle vertueux… Par contre, l’utilisation ponctuelle d’herbicide (1,5 à 3 litres de glyphosate/ha/an) reste nécessaire en automne pour nettoyer les parcelles avant semis et limiter l’usage d’autres herbicides au printemps (2).

Agriculteurs-chercheurs et chercheurs de terrain…

S Cordeau
Stéphane Cordeau observe les adventices d’une parcelle de colza en semis direct sous couvert permanent (système ACS). INRAE © Bertrand NICOLAS

A l’instar des chercheurs, Thierry fait sa bibliographie, en l’occurrence sur Internet, il partage avec ses pairs, il innove et expérimente. Quant à Stéphane Cordeau, chercheur en agroécologie à INRAE Dijon et petit-fils d’agriculteur, il pratique « une recherche de terrain au bénéfice de l’agriculture ». Ce chercheur étudie depuis plusieurs années l’évolution des adventices dans les systèmes ACS : « alors qu’en conventionnel, on dénombre huit à neuf espèces adventices par parcelle, on en trouve de vingt à cinquante en système ACS, dont certaines ne sont pas problématiques. Favoriser une grande diversité d’adventices est vertueux, car cela évite de faire face à une seule espèce dominante et souvent incontrôlable ».

…En collaboration directe et étroite

Stéphane intervient régulièrement auprès des agriculteurs (3). Réciproquement, Thierry et d’autres agriculteurs de son groupe GIEE Magellan ont participé aux ateliers de conception des dispositifs expérimentaux INRAE (voir encadré). Thierry met également ses parcelles à disposition des chercheurs pour le suivi de la flore adventice et des insectes.

Ainsi, le métier des agronomes et des agriculteurs évolue et leurs relations aussi. Face aux défis actuels de l’agriculture, c’est sur le terrain qu’ils se retrouvent pour construire ensemble les systèmes innovants de demain.

(1) Le déchaumage est une technique de travail superficiel du sol, destiné à enfouir les chaumes, et, dans certains cas, à favoriser la germination des graines d’adventices (faux semis) pour les détruire avant le semis de la culture.

(2) Voir encadré sur l’utilisation du glyphosate.

(3) Journée du GIEE Magellan, 9 novembre 2018.

Pascale MollierRédactrice

Laurène RimondiVidéo

Contacts

Stéphane Cordeau, Bruno Chauvel UMR1347 Agroécologie

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