Changement climatique et risques Temps de lecture 3 min
Le paradoxe des feuilles de thé appliqué aux matériaux granulaires
Les matériaux granulaires sont largement impliqués dans des phénomènes naturels que sont les avalanches, les écroulements rocheux ou les grands glissements de terrain. Des scientifiques INRAE de l’Institut des Géosciences de l’Environnement, en collaboration avec l’Université de Sydney et l’Université John Moores de Liverpool ont développé une nouvelle méthode expérimentale pour comprendre les flux internes à ces écoulements granulaires. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication dans Nature Communications.
Publié le 24 novembre 2025
Modéliser les écoulements granulaires
Peut-être l’avez-vous déjà remarqué ? Lorsque l'on remue une tasse de thé avec des feuilles en infusion, celles-ci migrent vers le centre de la tasse, malgré les forces centrifuges qui suggèrent le contraire. Il s’agit là du « paradoxe des feuilles de thé ». Pour les fluides transparents, le vortex secondaire interne responsable de ce comportement peut être détecté et mesuré expérimentalement à l'aide de traceurs. Qu’en est-il pour les matériaux granulaires (tels que le sable, les rochers ou la neige) ? Sont-ils également sujets à des écoulements secondaires ?
Lorsqu’ils se déplacent collectivement, les matériaux granulaires peuvent se comporter comme un liquide et s’écouler dans une seule direction. Cependant, comme ces écoulements sont opaques, la mesure de leurs propriétés internes est difficile. Des progrès expérimentaux ont été réalisés ces dernières années grâce à la tomographie à rayons X qui permet d’avoir accès à l’arrangement des grains en trois dimensions avec une grande précision. Mais dès lors que les grains sont en mouvement, les réarrangements géométriques sont trop rapides et ces méthodes montrent leurs limites.
Andrés Escobar et Thierry Faug, chercheurs INRAE de l’IGE, ont ainsi développé, en collaboration avec des chercheurs des universités de Sydney (Itai Einav et François Guillard) et de Liverpool (James Baker), des techniques de radiographie à rayons X dynamique qui permettent de voir l’intérieur d’un écoulement de matière granulaire. Les expériences ont été réalisées à l’université de Sydney dans le cadre de la thèse de doctorat d’Andrés Escobar en cotutelle entre les universités de Grenoble Alpes et Sydney.
En laboratoire, une expérience avec des billes de verres, contraintes à s’empiler grâce à un dispositif spécifique, a permis de prendre des images tridimensionnelles de grains en mouvement. Les scientifiques ont ainsi pu voir ce qui se passe sous la surface de l’écoulement. Des écoulements secondaires ont été détectés, ce qui n’avait jamais été fait jusqu’à présent sans avoir recours soit à des simulations numériques soit à des observations expérimentales indirectes.
Les grains dans ces écoulements secondaires se déplacent latéralement ou tourbillonnent sous la surface de l’écoulement, ce qui influence la distance et la vitesse de déplacement des matériaux granulaires.
Concrètement ?
Sous la surface de tout tas de grains en mouvement, des flux secondaires façonnent l'écoulement. La reconnaissance de ces mouvements est essentielle pour comprendre les écoulements géophysiques.
Les modèles d’avalanches utilisés de nos jours prennent de mieux en mieux en compte plusieurs aspects liée à la dynamique interne des matériaux impliqués, par exemple les différences de vitesse dans l’épaisseur de l’écoulement (ce que l’on appelle le « cisaillement »). Cependant, ces avancées sont restreintes à la direction principale de l’écoulement et occultent toute la complexité de la distribution des vitesses dans les autres directions, largement régie par la présence d’écoulements secondaires. Cela conduit certainement à des erreurs de prédiction des modèles actuels.
Comprendre et quantifier comment les grains se déplacent sous la surface d’un écoulement granulaire pourrait aider à développer des modèles plus précis pour décrire la propagation des écoulements géophysiques (avalanches, glissements de terrain, écroulements rocheux) et ainsi à mieux prédire la puissance destructrice de ces évènements naturels extrêmes.
La suite ?
Plusieurs questions restent en suspens. À court terme, les scientifiques, même s’ils savent déjà que les conditions aux bords de l’écoulement sont primordiales, comme le démontre la manipulation en laboratoire avec la présence de parois latérales, espèrent comprendre l’origine de ces écoulements secondaires. Pourquoi ne sont-ils pas toujours présents ? Quelles conditions sont nécessaires et suffisantes pour qu’ils apparaissent ?
Il s’agira aussi de quantifier ces écoulements secondaires dans des écoulements encore plus rapides que ceux étudiés jusqu’à présent, en améliorant encore les techniques de radiographie à rayons X dynamique. À plus long terme, on peut espérer mettre en œuvre de telles techniques expérimentales avec les matériaux réels impliqués dans les écoulements naturels.
La perspective d’acquérir de telles données expérimentales dans une large gamme de vitesse des écoulements, sur des matériaux granulaires modèles au laboratoire puis sur de vrais matériaux naturels (sol, neige, etc.), est essentielle pour progresser dans la compréhension des écoulements naturels et dans la précision des modèles visant à prédire leur propagation et leur impact.
Ce sont ces modèles qui permettent aux utilisateurs finaux, bureaux d’études et services opérationnels de l’État notamment, de calculer la zone d’écoulement d’une avalanche, sa vitesse et les distances parcourues. Ils contribuent également à améliorer le dimensionnement les ouvrages de protection (paravalanches, filets pare-blocs, etc.) et ainsi à protéger au mieux la population et les infrastructures.