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L’écotoxicologie, vous connaissez ?

L’écotoxicologie étudie le devenir des contaminants chimiques dans l’environnement et leurs effets sur le vivant. Elle constitue une discipline dont les contours ont évolué à la faveur de réflexions récentes et dans laquelle INRAE joue un rôle de premier plan. Explications.

Publié le 30 juin 2022

illustration L’écotoxicologie, vous connaissez ?
© INRAE, Catherine Foucaud-Scheunemann

Plastiques, pesticides, perturbateurs endocriniens*....  Produits par les activités humaines, ils sont présents dans notre environnement. Consommateurs, associations, industriels, élus et autres, tous et toutes s'interrogent sur l’impact des substances chimiques polluantes sur l’environnement : l’air, les eaux, les sols et les organismes qui y vivent. Une perspective que décline l’écotoxicologie et que servent les équipes INRAE au quotidien. On vous explique !

Qu’est-ce que l’écotoxicologie ?

Discipline somme toute récente, l’écotoxicologie est née au siècle dernier, à la fin des années 60, d’une prise de conscience de l’ampleur et de la gravité de la contamination des écosystèmes par des molécules toxiques et de l’intensification concomitante des recherches autour des problèmes de pollution des milieux naturels.

Il est classique de la situer à l'intersection de la toxicologie, de l'écologie et de la chimie de l’environnement.
Comme la toxicologie, l’écotoxicologie s’intéresse aux effets des substances toxiques sur les organismes vivants suite à une exposition. Elle aborde notamment les effets de ces substances à différents niveaux d’organisation biologique, depuis la cellule et ses composantes jusqu’à l’individu, la population ou la communauté. De plus, elle tient compte de scénarios d’exposition déduits de l’étude du devenir des contaminants* chimiques dans l’environnement et réalisés à l’aide des méthodes de la chimie de l’environnement.
Comme l’écologie, l’écotoxicologie s’intéresse aux relations entre les organismes et leur environnement et aux fonctions écologiques auxquelles ces organismes contribuent. Elle se concentre sur les perturbations de ces relations et des processus associés que peuvent provoquer les substances toxiques, en prenant en compte les réseaux d’interactions entre espèces au sein des communautés.

En pratique, l’écotoxicologie regroupe des études sur le devenir des contaminants chimiques issus des activités humaines qui se retrouvent dans l’environnement, sur leurs effets à différents niveaux d’organisation du vivant, et sur les perturbations qui en découlent sur l’ensemble de l’écosystème. Elle apporte des connaissances sur l’évaluation de la toxicité des substances toxiques pour les organismes, sur les risques associés pour la biodiversité et ses fonctions et sur la capacité des écosystèmes à maintenir leur fonctionnement dans un contexte de contamination.

Un peu de vocabulaire…
 

Un perturbateur endocrinien est une substance – ou un mélange de substances – chimique, d’origine naturelle ou synthétique, étrangère à l’organisme, et susceptible d’interférer avec le fonctionnement du système endocrinien de celui-ci, c’est-à-dire des cellules et organes impliqués dans la production des hormones et leur action sur les cellules cibles.

Un contaminant est un agent (biologique, chimique ou physique) qui cause la modification des propriétés (physiques, chimiques ou biologiques) d'un milieu ou d'un organisme.

L’exposome correspond à l’ensemble des expositions environnementales auxquelles nous sommes soumis durant notre vie : exposition chimique, dans notre environnement et notre alimentation, physique, biologique au travers des (micro)organismes avec lesquels nous sommes en contact mais aussi des carences alimentaires au cours du développement et facteurs psychoaffectifs ou socioéconomiques (stress, inégalités sociales).

Quelques exemples de travaux INRAE

Un champ interdisciplinaire confronté à des enjeux majeurs

L’écotoxicologie a d’abord cherché à caractériser l’effet de contaminants sur des organismes, cibles ou non, vivant dans les milieux naturels. Avec la présence généralisée dans l’environnement de cocktails de substances diverses qui agissent à très faibles doses (substances pharmaceutiques, perturbateurs endocriniens…), elle cherche désormais à caractériser l’ensemble des expositions que subissent les organismes, à l’instar de l’étude de l’exposome* chez l’humain. L'écotoxicologie vise à mieux comprendre les effets qui surviennent dans des conditions de concentrations sublétales (c’est-à-dire n’entraînant pas la mort) pour des substances dispersées, de façon diffuse ou ponctuelle, dans l’environnement.

Sécurité alimentaire, changement climatique, environnement, santé… Les enjeux actuels suscitent de nouvelles questions de recherche en matière d’écotoxicologie. A l’intersection de ces enjeux, le Pacte vert pour l’Europe incite à faire évoluer les systèmes alimentaires vers des pratiques qui préservent la santé de l’environnement et de l’humain ainsi que la durabilité des systèmes. Dans ce contexte de transition agroécologique, l’écotoxicologie trouve toute sa place. Elle contribue à fournir des informations qui permettent de préserver et gérer durablement les sols, les ressources en eau, la biodiversité et les écosystèmes.

Entre pollution et innovation, le plastique cherche sa place
Par exemple, les scientifiques INRAE cherchent des solutions pour lutter contre la pollution plastique, notamment en développant des emballages biodégradables innovants, et en anticipant la totalité de leurs impacts dès leur conception. Entretien avec Nathalie Gontard, chercheuse spécialiste de l’emballage sans plastique et zéro déchet.

Explorer les impacts des débris plastiques sur la santé des sols et la productivité agricole : le projet MINAGRIS
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Biodiversité et services rendus par la nature : que sait-on de l’impact des pesticides ?
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L’exposition aux dioxines et PCB et les risques pour la santé humaine
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Développement d’outils intégratifs passifs et de biosurveillance pour mieux mesurer la qualité de l’eau
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Et demain ?

Le défi pour l’écotoxicologie consiste à pouvoir anticiper les conséquences d’une contamination avant que les effets sur les écosystèmes ne soient irréversibles. Pour cela, il convient de mettre au point des outils et méthodes qui permettent de prédire, mettre en évidence ou qualifier l’exposition des organismes (écoexposome) et d’anticiper les impacts, notamment sur la biodiversité (diversité des espèces et leurs fonctions). Cela concerne entre autres l’identification et le suivi de marqueurs d’exposition, d’effet voire d’adaptation.

Il convient également de décloisonner les recherches, faire travailler ensemble des personnes et des équipes issues de diverses disciplines scientifiques, pour aborder les différentes dimensions de la problématique. Cela doit conduire à combiner les dimensions académiques avec l’innovation et l’appui aux politiques publiques, associer des échelles multiples (temporelles, spatiales mais aussi organisationnelles), modéliser, réaliser des simulations, intégrer la complexité des systèmes et les incertitudes, et établir des partenariats tout en élargissant la palette des porteurs d’enjeux mobilisés.

Question de recherche : mieux prendre en compte le continuum sol-eau

Les différents compartiments physiques qui structurent les écosystèmes sont reliés les uns aux autres, formant un continuum environnemental. Lorsque deux écosystèmes, caractérisés par leur propre environnement et leurs propres communautés, se retrouvent en contact, cela entraîne l’émergence d’une nouvelle communauté. Issue du mélange des communautés originelles, elle se développe dans un nouvel environnement. Encore peu pris en compte en écotoxicologie, ces processus dits de coalescence participent à mieux comprendre la réponse des communautés exposées à des substances toxiques.

Des travaux pionniers sur un site d’observation et de recherche du bassin du Rhône, au cœur du territoire viticole du Beaujolais se sont intéressés aux communautés microbiennes terrestres et aquatiques : les transferts microbiens, depuis le bassin versant* couvert de vignes jusqu’au cours d’eau récepteur, la Morcille, ont une influence majeure sur la capacité des communautés microbiennes présentes dans le cours d’eau à s’adapter à la contamination par les produits phytosanitaires issus des zones viticoles. Ils stimulent leur capacité à (bio)dégrader le diuron, un des herbicides les plus utilisés à l’époque et fréquemment détecté dans la Morcille.

* Un bassin versant est un espace drainé par un cours d'eau et ses affluents sur un ensemble de versants. Toutes les eaux dans cet espace s'écoulent et convergent vers un même point de sortie appelé exutoire : confluent, cours d'eau, lac, mer, océan...

De la même manière que les produits phytosanitaires, les composés pharmaceutiques – dont les antibiotiques utilisés en élevage et en médecine humaine – représentent une source importante de contamination de l’environnement sur lequel ils exercent une pression de sélection susceptible de favoriser l’émergence de bactéries résistantes. Très récemment, l’importance des transferts biologiques à la base des processus de coalescence des communautés a été confirmée par la mise en évidence du transfert des capacités de biodégradation de substances antibiotiques, mais aussi d’antibiorésistance, dans les agroécosystèmes (ANR Antibiotox, 2017- 2021). 

A l’échelle spatiale du paysage, le continuum sol-eau revêt toute son importance. Une étude récente (PSDR Dynamique 2016-2019) a montré l’influence du paysage (zone urbaine, périurbaine ou agricole) sur l’état de contamination des écosystèmes aquatiques que sont les mares, par des polluants organiques (produits phytosanitaires, hydrocarbures aromatiques polycycliques, produits pharmaceutiques) ou inorganiques (nitrate, phosphates, éléments traces) et sur les risques associés pour les organismes qui vivent dans ces milieux ou qui en dépendent.

Ces perspectives ont fait l’objet d’échanges nourris à l’occasion du récent séminaire de réflexion organisé par le réseau Ecotox. Inscrites dans les orientations stratégiques d’INRAE, elles sont déclinées au quotidien par les équipes de recherche.

Des outils et des infrastructures

Sur fond de partenariats d’excellence, des infrastructures nationales portées par INRAE ou dont l’Institut est partenaire, rassemblent les dispositifs dédiés à la compréhension des processus biologiques au sein des écosystèmes continentaux.

  • AnaEE – France, pilotée par INRAE et le CNRS, est une infrastructure de recherche consacrée à l’analyse et à l’expérimentation sur les écosystèmes dans laquelle plateformes d’expérimentation et plateformes analytiques assurent des fonctions complémentaires. 
  • Les Zones ateliers (ZA) se focalisent autour d’une unité fonctionnelle (un fleuve et son bassin versant, les paysages et la biodiversité…). Elles accueillent une démarche scientifique spécifique sur le long terme qui s'appuie sur des observations et des expérimentations. A l’échelle nationale, ces Zones ateliers constituent le réseau des Zones ateliers dont INRAE est partenaire.
  • L'Institut Carnot Eau & Environnement présente une offre de R & D intégrée pour dynamiser l’innovation dans les domaines de la préservation de la qualité des eaux et des milieux aquatiques, de l’accès à des ressources en eau adaptés aux usages et de la protection des populations face aux risques liés aux cycles de l’eau.  
  • Les réseaux scientifiques regroupent des collectifs, thématiques ou disciplinaires, autour d’animations, de réflexions et d‘échanges. A l’échelle nationale, le réseau des écotoxicologues d’INRAE s’intéresse aux écosystèmes continentaux aquatiques et terrestres. L’initiative interinfrastructure Recotox vise à coordonner, à travers un réseau de sites déjà instrumentés, les recherches pour comprendre, anticiper et limiter les impacts écotoxicologiques des pesticides sur les socioagrosystèmesA l’échelle internationale, le réseau d’écotoxicologie microbienne EcotoxicoMic, initié par INRAE, regroupe aujourd’hui plus de 200 scientifiques issus d’une quarantaine de pays.
En savoir plus

Lamy I., Faburé J., Mougin C. et al. 2022. Aquatic and terrestrial ecotoxicology considering the soil: water continuum in the Anthropocene context. Environ Sci Pollut Res. 29: 29221–29225.


Parution
 

L'écotoxicologie en questions. Isabelle Lamy, Juliette Faburé, Christian Mougin, Soizic Morin, Marie-Agnès Coutellec, Laurence Denaix, Fabrice Martin-Laurent. Editions Quae (Versailles). Octobre 2022. (Version papier et eBook).

Cet ouvrage aborde l’écotoxicologie par des questions ouvertes que peuvent se poser les lecteurs curieux de mieux connaître cette discipline ou plus généralement soucieux des problématiques environnementales. Au travers des réponses proposées, les grandes notions d’écotoxicologie sont abordées de façon intégrée.

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Isabelle Lamy UMR Ecologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes (INRAE, AgroParisTech)

Stephane Pesce UR RiverLy Fonctionnement des hydrosystèmes

Thierry Caquet Directeur scientifique Environnement

Les centres

Les départements

En savoir plus

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