Dossier revue
Agroécologie

Les SfN en action - Des dispositifs d’observation et d’expérimentation

Les SfN sont développées et étudiées dans de multiples situations et contextes pour évaluer leur pertinence, explorer leur acceptabilité et estimer leurs bénéfices. Tour d’horizon.

Publié le 12 février 2024

Dans les territoires agricoles, des dispositifs d’observation et d’expérimentation permettent aux chercheurs, agriculteurs et autres acteurs et actrices de terrain de travailler ensemble et sur le long terme autour des SfN. Ils partagent les mêmes questions, dans la perspective de concilier développement agricole et biodiversité. En pratique, il s’agit d’analyser le fonctionnement des écosystèmes agricoles en lien avec les organisations sociales et économiques à l’échelle du territoire et d’expérimenter de nouvelles pratiques dans une approche large, tout en prenant en compte les changements globaux.

Des sites ateliers au service de et de l'agriculture

Paysage agricole

Au sud de la Garonne, dans le site atelier Vallées et coteaux de Gascogne, les chercheurs ont observé que les haies, les prairies et plus encore les lisières de forêts contribuent de manière complémentaire au maintien des abeilles sauvages dont elles abritent différentes espèces.
« Les lisières de forêts et les haies hébergent des arbres et arbustes dont la floraison, qui s’étale dans le temps, garantit l’alimentation des pollinisateurs », précise Aude Vialatte, directrice de l’unité Dynafor (Dynamiques et écologie des paysages agriforestiers) à Toulouse.

Dans la zone atelier Plaine et Val de Sèvre, les travaux montrent que la surface des prairies à proximité des cultures céréalières, plus que leur distance à la parcelle, est déterminante pour favoriser un contrôle naturel des ravageurs de culture. Les prairies permanentes jouent un rôle plus important que les prairies temporaires pour cette régulation. Les plantes adventices se révèlent être de précieuses alliées. Leur variété favorise le contrôle des ravageurs et la diversité des pollinisateurs en fournissant des abris et des ressources aux auxiliaires et aux insectes pollinisateurs. Elle augmente également la fertilité du sol en favorisant la présence de microorganismes. « Conserver des plantes sauvages dans les paysages agricoles est donc essentiel pour le fonctionnement de ces écosystèmes. Cela requiert de repenser leur mode de gestion au profit de modèles qui concilient production agricole, performance économique des exploitations et biodiversité et fonctions écologiques », souligne Sabrina Gaba, écologue et directrice de l’unité Résilience-CEBC (Centre d’études biologiques de Chizé).

Dans les paysages viticoles du site atelier Bacchus, la présence de grandes surfaces arborées ou herbacées favorise l’activité d’auxiliaires, comme des araignées, des chauves-souris ou des oiseaux, qui contribuent à réguler les insectes ravageurs de la vigne. Par ailleurs, la réduction du travail du sol ou le maintien de l’enherbement entre les rangs de vigne sont propices à la biodiversité aérienne ou souterraine dans ces systèmes. Ces pratiques favorisent, par exemple, l’activité biologique des sols, ce qui bénéficie in fine à la vigne. Ces leviers d’action favorables aux activités viticoles et à la biodiversité, Adrien Rusch, écologue dans l’unité Save (Santé et agroécologie au vignoble) à Bordeaux et responsable du site atelier Bacchus, les inscrit désormais dans une vision plus globale, cherchant à comprendre comment le déploiement de SfN affecte le fonctionnement économique des exploitations ou la santé humaine.

Un Living lab pour améliorer la résilience des forêts

Haies de feuillus entourant une plantation de pins

Les espaces naturels interstitiels ont un potentiel important pour améliorer la résilience des forêts.

Un sujet qu’explorent depuis 2021 les projets eco2adapt et Superb dans un paysage de plantations de pin de la forêt des Landes, le living lab Bocage forestier. Inventaires de biodiversité, étude du rôle fonctionnel des haies de feuillus en matière de protection contre les aléas… 36 lisières forestières sont étudiées. Elles abritent une plus grande richesse d’espèces forestières que les plantations de pin qu’elles entourent et une composition distincte en ce qui concerne les communautés animales. Les infestations par la chenille processionnaire du pin sont moitié moindre dans les plantations bordées de haies de feuillus matures et dans les zones du paysage où le boisement interstitiel de feuillus est plus abondant. Les prochaines étapes ? « Elles concernent l’effet barrière des haies de feuillus vis-à-vis de la propagation du vent et des incendies, l’importance de leur connectivité pour la biodiversité et leur rôle comme réservoir de prédateurs vis-à-vis des insectes ravageurs invasifs », commente Hervé Jactel, écologue forestier dans l’unité Biogeco (Biodiversité, gènes et communautés) à Bordeaux et responsable du living lab. « Ces données vont nous permettre de dire comment et où planter de nouvelles haies pour maximiser l’efficacité de ce dispositif. »

Rampillon : des mares pour la qualité de l’eau

Station de mesures (CO2, vapeur d'eau)de la zone humide collective de Rampillon (77)
Station de mesures (CO2, vapeur d'eau) de la zone humide collective de Rampillon (Seine-et-Marne)

Dans la région de la Brie (Seine-et-Marne), l’activité agricole, caractérisée essentiellement par de grandes cultures céréalières, a conduit à une forte dégradation de la qualité de l’eau (présence de nitrates et produits phytosanitaires en excès) de la nappe de Champigny, principale ressource en eau souterraine de l’Île-de-France.

Dès 2005, le collectif de chercheurs et d’acteurs de terrain s’est constitué autour de la question de la gestion des eaux de drainage agricole avant qu’elles rejoignent la nappe phréatique. Sur le territoire de la commune de Rampillon, 4 zones tampon humides artificielles ont été créées pour épurer l’eau : 3 sur des terrains d’agriculteurs et une, dite collective car située sur un terrain propriété du syndicat de rivière. De taille plus conséquente (5 600 m² sur 1 ha), elle traite l’ensemble des eaux du bassin versant du Ru des Gouffres.
 

Sa performance a été évaluée à partir de 2012. Aménagements paysagers et changements de pratiques agricoles se sont révélés efficaces.
Grâce à l’activité microbienne, le dispositif réduit d’environ 40 % les polluants transportés par l’eau, pour un objectif initial de 50 %. « Il faut garder en tête qu’il s’agit d’un système naturel dont l’efficacité varie selon l’année et la saison, oscillant entre 25 % et 55 %. Les résultats dépendent notamment des conditions climatiques », précise Julien Tournebize, hydrologue dans l’unité Hycar (Hydrosystèmes continentaux anthropisés-ressources, risques, restauration) à Antony et porteur du projet. Et de souligner : « Beaucoup d’efforts ont également été faits par les agriculteurs : entre 2005 et 2015, la concentration moyenne en nitrates à l’entrée de la zone a diminué de 25 %. » Cette démarche a été saluée en 2014 par le Prix national du génie écologique du ministère de l’Environnement.

Au gré de ce qui était initialement un projet de génie écologique, de nouveaux questionnements sont apparus. Comment pouvait-on adapter ce dispositif à une plus grande échelle ? Dans quelle mesure pouvait-il répondre à d’autres enjeux que celui de la protection de la ressource en eau, comme celui de la préservation de la biodiversité ? Des questions que le projet Brie’Eau a instruites dès 2016, inscrivant progressivement l’ensemble des actions dans une démarche de SfN.
Une étude de la totalité du dispositif, réalisée en lien avec un bureau d’études spécialisé en écologie a souligné l’intérêt des zones tampons humides artificielles pour la biodiversité en milieu agricole : 7 groupes d’espèces ont été suivis, 374 espèces ont été identifiées dont 174 espèces d’insectes sur la zone tampon collective.

Aujourd’hui, s’appuyant sur les aménagements de Rampillon, le projet Ancoeur 2030, qui fait partie du projet européen Life Artisan, vise à déployer les zones tampons à l’échelle d’un territoire plus conséquent (14 000 ha et 150 agriculteurs, contre 400 ha et 10 agriculteurs). Il décline toutes les facettes des SfN dès sa conception.

 

Glossaire

PLANTES ADVENTICES - Ensemble des plantes sauvages que l’on retrouve dans les parcelles cultivées.

PRAIRIE PERMANENTE - Surface déclarée en herbe de manière ininterrompue pendant plus de 5 ans.

LIVING LAB - Un living lab, ou laboratoire vivant, est un dispositif d’essai « en vraie grandeur » où les chercheurs, les entreprises et les citoyens collaborent pour développer et tester des solutions innovantes à l’échelle d’un territoire.

ZONE TAMPON - Espace (bandes enherbées, haies, surfaces en eau végétalisées…) mis en place pour atténuer les transferts de contaminants d’origine agricole, en particulier vers les milieux aquatiques.

CONNECTIVITÉ ÉCOLOGIQUE - Connexion physique et fonctionnelle nécessaire au fonctionnement, à la stabilité et à la résilience des écosystèmes sur le long terme.