Dossier revue

Un paradigme renouvelé

Protéger, gérer et restaurer des écosystèmes pour relever directement les défis de société : les SfN découlent d’une approche systémique qui considère que le bon état de la biodiversité et le bien-être humain vont de pair. Éclairage.

Publié le 12 février 2024

En Occident, l’idée de protéger la nature émerge au cours du XIXe siècle avec les progrès des sciences naturelles et les prémices de l’écologie, qui modifient la perception que l’humain a du monde vivant. Initialement centré sur la nature sauvage et les habitats naturels, le concept de protection de la nature va peu à peu s’intéresser aux relations entre humains et nature.

Un nouveau rapport à la nature

À partir des années 1960, les préoccupations à l’égard de l’état de la planète augmentent, avec la prise de conscience des impacts négatifs des activités humaines sur l’environnement. Le terme de diversité biologique est contracté en celui de biodiversité à l’occasion du Forum sur la biodiversité (Washington, 1986), événement majeur réunissant scientifiques, gouvernements et société civile à l’initiative de l’Académie nationale des sciences américaine et de la Smithsonian Institution.

La notion de services écosystémiques voit le jour dans les années 2000, avec pour objectif de replacer les enjeux de conservation au coeur des intérêts humains. La préservation de la biodiversité s’inscrit dans les objectifs du développement durable adoptés par les Nations unies en 2015. Aujourd’hui, les populations humaines sont de plus en plus conscientes des enjeux environnementaux, de l’impact de leurs activités et de la dégradation de la biodiversité.

Plus de 3/4 des Français considère que la protection de la nature est un enjeu important et urgent.
La quasi-totalité estime que la biodiversité se dégrade (OFB, 2021).

L’approche focalisée sur les services écosystémiques, parfois jugée trop utilitaire, laisse désormais place à une plus grande prise en compte des relations dynamiques et réciproques entre l’être humain et la nature. L’expression « Solutions fondées sur la Nature », ou SfN, est utilisée pour la première fois en 2008, dans un rapport de la Banque mondiale. Celui-ci détaille les stratégies de gestion et d’adaptation au changement climatique et à la perte de biodiversité basées sur les concepts de gestion et de conservation des écosystèmes. Elle est évoquée l’année suivante lors de la Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

En 2013, le concept de SfN est inscrit dans le programme mondial de l’UICN dont INRAE est membre. Aujourd’hui, les SfN voient leur place reconnue au niveau international.

1948
Création de l’Union internationale pour la conservation
de la nature (UICN) à Fontainebleau.
Première union environnementale à l’échelle mondiale,
l’UICN réunit gouvernements et organisations de la
société civile dans le but de protéger la nature.

Un cadre conceptuel porté par un standard mondial

En 2016, les SfN sont définies par l’UICN comme « les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité ». Elles ciblent des défis majeurs tels que le changement climatique, les risques naturels, la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau, la biodiversité et la santé globale, et sont essentielles à un développement économique durable. « Une SfN doit satisfaire à deux exigences principales », souligne Freddy Rey, chercheur en écologie et ingénierie écologique au au Lessem (Laboratoire des écosystèmes des sociétés en montagne) à Grenoble et et président de la commission Gestion des écosystèmes du comité français de l’UICN, « à savoir contribuer de façon directe à (au moins) un défi de société et présenter des bénéfices pour la biodiversité ». Une dualité qu’il formalise en parlant de « solutions co-bénéfices fondées sur la nature ». Une approche adoptée également par la CE qui précise que « les SfN doivent bénéficier à la biodiversité et soutenir la fourniture d’une gamme de services écosystémiques ». En pratique, les SfN se déclinent en 3 types d’actions qui peuvent, ou non, être combinées entre elles dans les territoires ou avec des solutions d’ingénierie civile :
→ la préservation d’écosystèmes fonctionnels et en bon état écologique (par ex. mise en réseau d’aires marines protégées pour favoriser la biodiversité, constituer une source de poissons pêchables hors des zones protégées, favoriser l’écotourisme…) ;
l’amélioration de la gestion d’écosystèmes pour une utilisation durable par les activités humaines (par ex. diversification des paysages agricoles pour favoriser leur multifonctionnalité, et leur durabilité ainsi que leur biodiversité) ;
la restauration active d’écosystèmes dégradés ou la création d’écosystèmes (par ex. déploiement d’écosystèmes urbains, y compris liés aux bâtiments, motivé par des objectifs environnementaux et d’amélioration de la qualité de vie).

Le concept se stabilise progressivement, au fur et à mesure que les SfN sont intégrées aux politiques publiques et adoptées sur le terrain. En 2020, l’UICN a proposé le premier référentiel pour les SfN reposant sur 8 critères.
Ces critères devraient être révisés tous les 4 ans. En France, un guide d’appropriation de ce standard a été réalisé pour les porteurs de projets et les décideurs. Il est structuré en 8 questions, miroirs des 8 critères, à se poser.
Un outil d’autoévaluation est aussi à disposition des acteurs de terrain.

Les 8 critères du standard mondial de l'UICN

Facile à utiliser, simple et robuste, ce standard est conçu comme une approche souple, nourrie par la pratique et les expérimentations. Il comporte 8 critères :
→ les SfN répondent efficacement à des défis de la société ;
→ la conception d’une SfN est une question d’échelle ;
→ les SfN procurent des avantages nets à la biodiversité et à l’intégrité des écosystèmes ;
→ les SfN sont économiquement viables ;
→ les SfN reposent sur des processus de gouvernance inclusifs, transparents et habilitants ;
→ les SfN trouvent un juste équilibre entre la réalisation de leur(s) objectif(s) principal(aux) et la prestation d’avantages multiples ;
→ les SfN sont gérées de façon adaptative, sur la base de données probantes ;
→ les SfN sont durables et inscrites dans un contexte de compétence approprié.

Les SfN pour l’agroécologie

Bourdon sur phacélie
Bourdon sur phacélie.

Nourrir une population en expansion, procurer un revenu aux agriculteurs et protéger l’environnement : l’agriculture est confrontée à de nombreux défis qui nécessitent de repenser les systèmes de production. Au carrefour de l’agronomie et de l’écologie, l’agroécologie mobilise des processus biologiques (par ex. la régulation biologique des ravageurs, la pollinisation, la fertilité des sols) pour limiter le recours aux intrants 1 (eau d’irrigation, produits phytosanitaires, fertilisants de synthèse ou encore médicaments vétérinaires). Portée par INRAE comme une voie d’avenir, l’agroécologie est au coeur du Pacte vert pour l’Europe, la stratégie de l’Union européenne pour atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050.

« Agroécologie et SfN se rencontrent notamment à l’échelle des paysages, lorsque l’on met en place ou que l’on favorise le développement d’infrastructures agroécologiques qui constituent des entités écologiques fonctionnelles », détaille Thierry Caquet, directeur scientifique Environnement d’INRAE. « Certains des services que rendent ces écosystèmes sont favorables à la production agricole tout en ayant un effet positif sur la biodiversité qu’ils hébergent. » Et de citer l’exemple d’infrastructures comme les haies qui abritent une diversité spontanée parmi laquelle on trouve des insectes auxiliaires de culture, les espaces naturels ou semi-naturels (prairies, petits bois…) à l’interface entre ville et campagne, qui attirent des espèces d’intérêt ; ou bien des pratiques comme les cultures intermédiaires ou le paillage, favorables à la vie des sols et notamment aux microorganismes.

Glossaire

BIODIVERSITÉ - La biodiversité désigne, au sens large, la variété et la variabilité du monde vivant sous toutes ses formes (ce qui englobe la diversité génétique, la diversité des espèces et la diversité des écosystèmes). À cela s’ajoutent la diversité des interactions à l’intérieur des 3 niveaux et entre eux, et la diversité des caractéristiques fonctionnelles des organismes.

SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES - Les services écosystémiques sont les biens et services que les humains peuvent tirer des écosystèmes, directement ou indirectement, pour assurer leur bien-être (nourriture, qualité de l’eau, paysages…).

ÉCOSYSTÈME - Un écosystème est un ensemble formé par une communauté d’êtres vivants (ou biocénose) en interaction entre eux et avec leur milieu de vie (ou biotope).

AUXILIAIRE DE CULTURE  - Organisme vivant qui facilite la production agricole en s’attaquant aux ravageurs, notamment à certains insectes, ou aux plantes adventices, ou en pollinisant les plantes cultivées.