Dossier revue
Agroécologie

Sols menacés

Au niveau de l’Union européenne, on estime qu’environ deux tiers des sols sont dégradés. État des lieux des menaces qui pèsent sur les sols.

Publié le 27 juin 2023

1 - L’érosion : quand le sol s'en va

L’érosion, c’est la perte de sol par l’entraînement de sa partie la plus superficielle vers un autre lieu.

Selon la FAO, l’érosion est la première menace qui pèse sur les sols. En Europe, elle provoque une perte de productivité agricole évaluée à 1,25 milliard d’euros/an.

INRAE - Patrick Andrieu
Impact d'un travail du sol superficiel dans un vignoble.

On reconnaît 5 types d’érosion. La plus connue est l’érosion hydrique. Sous l’impact des gouttes d’eau, la partie superficielle du sol se détache : on estime que l’on perd environ 1,5 tonne de terre par hectare et par an par érosion hydrique sur les sols concernés. Cette situation est aggravée par l’intensification de l’agriculture, le surpâturage, la déforestation ou l’imperméabi­lisation. L’érosion éolienne, c’est le vent qui soulève les particules de sol et les emporte. L’érosion de récolte intervient lorsque l’on récolte des carottes, des betteraves, des pommes de terre, etc. et qu’un peu de sol est prélevé en même temps. « Cette érosion de récolte est assez peu étudiée et prise en compte, pourtant la perte de sol pourrait être 10 fois plus importante que l’érosion hydrique sur les surfaces concernées », explique Isabelle Cousin directrice adjointe de l’unité de recherche Info&Sols à Orléans. L’érosion de labour : quand on travaille le sol, une fraction peut être redéposée en dehors de la parcelle. L’érosion côtière, c’est le sol du littoral qui est grignoté peu à peu par la mer ou l’océan : 24 % du littoral français est affecté par l’érosion côtière. L’érosion perturbe la biodiversité du sol, diminue les rendements, dégrade la qualité de l’eau et peut générer des coulées de boues dont les conséquences peuvent être dramatiques. « C’est préoccupant, car la vitesse de formation de couche de sol arable, celle qui est utile pour produire, est beaucoup plus faible que la vitesse d’érosion », conclut Isabelle Cousin.

2 - L’artificialisation et l’imperméa­bilisation : quand les sols sont HS

L’artificialisation des sols, c’est le changement d’usage d’un sol agricole, forestier ou naturel par un aménagement pour créer des zones urbaines, zones industrielles et commerciales, infrastructures de transport, mais aussi des espaces verts urbains, terrains de sport ou de loisir tels que les golfs ou encore les jardins.

En France, 30 % des sols artificialisés sont des sols enherbés : espaces verts, zones de loisirs, jardins…

En France, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés chaque année. Cette artificialisation augmente presque 4 fois plus vite que la population. L’artificialisation peut entraîner l’imperméabilisation totale mais pas toujours. Ainsi, un terrain de football est artificialisé mais pas imperméabilisé, il conserve certaines de ses fonctions, dont sa capacité à absorber l’eau de pluie. Mais l’artificialisation entraîne dans la majeure partie des cas une imperméabilisation forte voire totale, et avec elle la perte des services écosystémiques du sol : ruissellement et amplification du risque d’inondation, diminution de la capacité à produire de la biomasse et à nous nourrir, moindre capacité à stocker du carbone… « Les deux plus grandes menaces qui pèsent sur les sols en Europe sont l’érosion et l’artificialisation, car il s’agit d’une perte totale de sols », explique Claire Chenu, chercheuse en sciences du sol au laboratoire ÉcoSys à Saclay

3 - La pollution : réactions en chaîne

Les sols sont soumis à diverses pollutions et contaminations d’origines variées (industrielles, agricoles, urbaines, routières, etc.), et peuvent être chimiques (hydrocarbures, produits phytosanitaires) ou biologiques (virus et bactéries pathogènes). On recense en France, en 2021, plus de 9 500 sites anciennement industriels et sols pollués. Des pollutions qui durent parfois au-delà du siècle. C’est le cas dans les Antilles françaisesl’utilisation dans les bananeraies du chlordécone, un insecticide qui, malgré son interdiction à la vente depuis 1983, est toujours présent dans les sols de 25 % de la surface agricole en Guadeloupe et 40 % en Martinique, exposant la population à un risque d’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés. Des pollutions qui en entraînent d’autres : pollution des eaux souterraines, contamination des aliments et des écosystèmes et imprégnation des populations.

4 - La perte de biodiversité et de ses services

Opération pour le comptage de vers de terre
Opération pour le comptage de vers de terre.

La perte de biodiversité dépend de l’intensité des usages et de l’occupation des sols. Et ce qui est certain c’est que l’on observe, comme dans d’autres écosystèmes, un véritable déclin de la biodiversité des sols« En 50 ans, on observe une homogénéisation biotique, c’est-à-dire que l’on retrouve les mêmes espèces partout alors que les espèces endémiques sont en déclin », explique Mickael Hedde, écologue au laboratoire Éco & Sols à Montpellier. 

 

5 - La salinisation : quand le sol devient toxique

La salinisation des sols correspond à une présence trop importante de sels (en particulier le chlorure de sodium). 1 milliard d’hectares de la surface terrestre mondiale, soit environ 7 %, est touché par ce phénomène

Terres agricoles affectées par l'eau salée suite à la tempête Xynthia en 2010
Terres agricoles affectées par l'eau salée suite à la tempête Xynthia en 2010.

Ces sels peuvent provenir de l’altération des roches sous-jacentes qui contiennent naturellement des sels solubles, du dépôt atmosphérique de sels marins par le vent, mais la salinisation est très souvent liée à l’irrigation par des eaux trop chargées en sels. Elle rend plus difficile l’extraction de l’eau par les plantes, favorise les concentrations toxiques d’ions chlorures et dans une moindre mesure de sodium, et contribue à la détérioration de la structure du sol. 20 % du total des terres cultivées et 33 % des terres agricoles irriguées dans le monde sont touchées par la salinisation. 
Cette menace pèse actuellement sur les régions arides et semi-arides, car les faibles précipitations ne permettent pas l’élimination des sels par lixiviation. Le changement climatique pourrait la faire s’étendre en France, où elle est aujourd’hui limitée aux polders, marais asséchés fréquemment situés en zone côtière

6 - La baisse de fertilité et le recours aux engrais

L’agriculture intensive épuise les sols en minéraux et matières organiques et la succession des cultures au cours des rotations ne leur laisse pas le temps de se régénérer. Pour atteindre et maintenir les rendements, les engrais minéraux peuvent être une solution. Or, les engrais azotés sont obtenus par une réaction chimique très consommatrice en énergie, les engrais phosphatés de même que le potassium sont issus de ressources non renouvelables et mal distribuées sur la planète. Et surtout, ces engrais minéraux, quand ils sont utilisés en trop grande quantité sur les sols, peuvent conduire à une pollution des eaux souterraines ou de surface. Chaque année, en Europe, 18 millions de tonnes d’engrais minéraux sont utilisées

7 - Le tassement : structure modifiée

Le tassement entraîne une perte de porosité du sol, créant ainsi des couches de sol peu perméables. Le tassement est principalement dû au passage d’outils lourds tels que les tracteurs, les gros engins forestiers ou au piétinement du bétail, et est influencé par le type de sol et les conditions hydriques. 33 millions d’hectares, soit 4 % des terres en Europe, sont concernés par ce phénomène. Il favorise le ruissellement et l’érosion des sols ainsi qu’une baisse de la production, une augmentation du risque de lessivage des nitrates et une plus forte émission de GES (N2O, CH4).