Plus de protéines végétales, chiche ?
Les protéines sont indispensables à la vie, nous devons impérativement en manger. Très souvent nous les associons à la viande, pourtant on en trouve aussi dans les végétaux. Et tant mieux, car avec l’augmentation de la population mondiale, on ne pourra pas nourrir la planète uniquement avec des protéines d’origine animale. Dans ce dossier, nous faisons le point sur les protéines d’origine végétale : où les trouve-t-on ? Sous quelle forme les mangeons-nous ? Comment les cultivons nous ? …et comment faire pour qu’elles prennent une plus grande part dans nos assiettes ?
Plus de protéines végétales pour une alimentation saine et durable
60 à 70 % des protéines alimentaires consommées dans les pays développés proviennent de produits animaux, contre 30 % pour la moyenne mondiale
Ce que nous mangeons affecte notre santé… mais aussi celle de notre environnement. En France, l’alimentation est responsable de 24 % des émissions de gaz à effet de serre des ménages français. Avec l’augmentation de la population mondiale et un besoin croissant de denrées alimentaires, il est urgent de repenser nos systèmes alimentaires. Dans les pays occidentaux, une des voies envisagée est de rééquilibrer nos apports de protéines d’origines animales et végétales. En France, 65 % de notre apport en protéines est d’origine animale, pourquoi diminuer ce chiffre ? Pour plusieurs raisons. L’élevage, en particulier celui des ruminants, est très émetteurs de gaz à effet de serre (GES) responsable du changement climatique. Les émissions directes et indirectes de GES provenant de l’élevage sont estimées à 14,5 % des émissions totales liées aux activités humaines. De plus, la consommation de viande devrait augmenter de 60 % dans le monde d’ici 2050 selon les projections, du fait de l’augmentation conjuguée de la population mondiale et du pouvoir d’achat des pays en forte croissance. Aussi, une consommation de viande et de charcuterie excessive conduirait à une augmentation significative des maladies chroniques du fait de leur teneur élevée en acides gras saturés ou en nitrites pour les charcuteries. La question du bien-être animal, préoccupation croissante dans la société, interroge certaines pratiques de productions animales dans les élevages industriels. Sans remettre en cause la consommation de viande, ni même les vertus de l’élevage, une évolution des comportements alimentaires est nécessaire.
En 2100, la demande globale en protéines sera 30 % plus élevée qu'aujourd'hui
Nous devons adopter des régimes plus riches en fibres, moins gras et moins salés et qui rééquilibrent notamment la part des produits d’origine animale comme la viande avec les protéines d’origine végétale, telles que les céréales ou les légumineuses. Mais si l’objectif est clair, s’il a beau faire consensus, la voie est loin d’être tracée parce qu’elle suppose des changements significatifs dans les comportements des consommateurs et nécessite des modifications profondes dans l’organisation de la production et des filières.
3 dossiers pour tout comprendre
Où trouve-t-on les protéines végétales ?
Que ce soit pour l’alimentation humaine ou animale, des protéines, on en trouve dans de nombreux végétaux :
> Dans les céréales : les plus connues (et les plus consommées) : blé, riz, maïs, l'orge, les mils (y compris le sorgho), l'avoine et le seigle . Il y en a aussi dans les « pseudo-céréales » : le quinoa et le sarrasin. Dans ces céréales et pseudo-céréales, il y a environ 10 à 15 % de protéines.
> Dans les légumes secs, riches en glucides (60 %) et en protéines (20 %). Ce sont les légumineuses dont on mange les graines : haricots secs (haricots rouges, haricots de Lima), les fèves, pois chiche, pois cassé, lentilles, lupin.
> Dans les graines oléagineuses : ces graines sont riches en huile (20 à 40 %) et en protéines (20 à 40 %). Elles sont triturées pour d’un côté obtenir de l’huile et de l’autre des tourteaux qui ont l’avantage d’être concentrés en protéines et ainsi d’être valorisés dans l’alimentation des animaux d’élevage. Il s’agit du colza, tournesol, lin, soja (oléo protéagineux), arachide... Certaines graines oléagineuses peuvent être consommées entières : graines de lin, de sésame, de chanvre, de chia. Et parmi les oléagineux, on retrouve les fruits à coques : noix, amandes, pistaches, noisettes… qui contiennent 10 à 20 % de protéines.
> Dans les légumineuses fourragères, mais là c’est uniquement pour les animaux ! Luzerne, trèfle, lotier, sainfoin et bien d’autres. Ici, c’est la plante entière qui est mangée par les animaux d’élevage, soit dans les prairies soit une fois séchées.
Les légumineuses, bonnes pour la santé et l’environnement
Parmi les végétaux qui contiennent une grande quantité de protéines, il existe une catégorie qui fait office de bonne candidate. Ce sont les légumineuses, bonnes à la fois pour notre santé et pour l’environnement. Les légumineuses, on en consomme déjà en France et dans le monde, elles sont souvent au centre de nos plats typiques : ce sont les haricots blancs du cassoulet français, les pois chiches des falafels libanais ou encore les haricots rouges du chili con carne américain.
Bonnes pour la santé car elles sont riches en fibre, en glucides complexes, en protéines, en minéraux, en fer, et ont l’avantage d’être pauvres en matières grasses, de ne pas contenir de gluten et d’avoir un indice glycémique faible (voir encadré). Bonnes pour l’environnement car elles ont la particularité de fixer l’azote de l’air et ainsi limiter le recours aux engrais azotés souvent utilisés sur les cultures pour assurer de bons rendements. Elles ont de nombreux atouts sur le plan agronomique : intégrées dans les rotations de culture, les légumineuses peuvent fixer l’azote de l’air pour leur propre croissance puis redistribuée dans le sol pour la culture suivante. Elles permettent de casser le cycle des maladies, des ravageurs des cultures et des mauvaises herbes et ainsi utiliser moins de pesticides à l’échelle de la rotation des cultures. Leur culture entraîne ainsi des gains de rendements pour les céréales de la rotation et améliore la fertilité des sols…
Légumineuses et glycémie
La glycémie, c’est la quantité de sucre dans le sang. L’indice glycémique indique la capacité d’un aliment à élever la glycémie. Le sucre blanc par exemple a un indice glycémique élevé et va entrainer un pic de glycémie provoquant lui-même une libération d’insuline pour diminuer la glycémie. Les légumineuses ont cet avantage d’avoir des indices glycémiques bas, leurs glucides sont absorbés lentement, assurant un taux de sucre dans le sang relativement constant (et de ce fait limiter la sécrétion d’insuline) et permettant ainsi de prévenir l’apparition du diabète de type 2.
Malgré ces nombreux atouts, les légumineuses représentent seulement 4 % de la surface agricole utile en France et la consommation de légumes secs (lentilles, haricots, fèves, pois chiche...) a été divisée par quatre en 20 ans pour atteindre un niveau très bas en France (2 kg/personne/an en 2021 selon l’Anses). Comment expliquer ce désamour ? Côté consommation, on peut incriminer le temps en cuisine qu’elles nécessitent ou les désordres digestifs qu’elles peuvent provoquer. Côté champs, plusieurs raisons expliquent que les agriculteurs les cultivent peu. Déjà parce qu’ils ont moins d’expériences et de connaissances sur la culture des légumineuses. Ensuite parce qu’elles ont le désavantage d’être sensibles aux aléas climatiques (gel, sècheresse), moins résistantes aux agresseurs biologiques que les céréales, et que leurs rendements sont variables. Des faiblesses que les chercheurs et chercheuses tentent de dépasser en développant de nouvelles variétés de pois ou de féveroles plus résistantes à la sécheresse, au gel et aux maladies.
Les légumineuses comme le pois et la féverole fournissent un capital de solutions pour les transitions alimentaire et agroécologique. Pour développer leur culture en France et en Europe, il faut disposer de variétés aptes à une production régulière et de qualité dans différentes conditions. Le projet PeaMUST, mené par INRAE, a construit les outils génomiques et prédictifs pour pouvoir sélectionner ces variétés.
Et, négligées pendant des années, les filières de valorisation des légumineuses sont aujourd’hui assez peu structurées. La logistique est complexe et coûteuse pour des petits volumes. Aussi ces productions sont considérées comme économiquement peu intéressantes en l’absence d’aides publiques. Ainsi, c’est toute une filière qui doit s’organiser pour à la fois proposer des semences de légumineuses, assurer un conseil technique et surtout assurer la collecte de la production sur le long terme.
Produire des légumineuses, c’est bon pour l’environnement et l’agriculture. En consommer, c’est bon pour la santé. Mais du champ à l’assiette, comment se structurent les filières ? Quels sont les freins et leviers à leur développement ? Entretien avec Marie-Benoît Magrini, économiste à INRAE et spécialiste des filières légumineuses.
Les légumineuses en chiffres
- 4 % de la surface agricole utile en France
- dans les région Europe et Asie centrale, la part des légumineuses dans l’apport calorique journalier total se situe dans une fourchette de seulement 0,2 à 2,82 pour cent.
- la consommation de légumineuses en France, qui était de 7,2 kg par an par habitant en 1920 est descendue à 2 kg.
- 2 kg/personne/an de légumes secs consommés contre 115 kg/personne/an pour les céréales
Le consommateur est-il prêt ?
En 1920, les Français consommaient 7 kilos par an de légumineuses contre seulement 2 kg aujourd’hui
Au final, c’est bien le consommateur qui décide de ce qu’il met dans son assiette ! Même si les recommandations nutritionnelles sont claires, même si les protéines végétales sont peu coûteuses par rapport à la viande, les consommateurs français, et plus généralement les consommateurs des pays occidentaux, sont loin de l’équilibre entre protéines animales et protéines végétales : aujourd’hui, en France, notre ratio de consommation de protéines d’origine animale et végétale est de 65/35. Comment expliquer qu’il soit si difficile de mettre plus de protéines végétales dans son assiette ?
Pour des raisons nutritionnelles, gustatives, et culinaire…
L’une des raisons qui explique la faible part des légumineuses dans notre alimentation est le temps nécessaire à leur cuisson. Pour faciliter leur cuisson, il est conseillé de faire tremper les légumineuses 8 à 12h dans l’eau, un frein à leur consommation alors que l’on sait que le temps passé à cuisiner a diminué ces dernières années. Cependant, l’offre alimentaire a beaucoup évolué ces dernières années pour faciliter la préparation des légumineuses.
Autre limite à leur consommation, les légumineuses possèdent des facteurs « anti nutritionnels » responsables de troubles digestifs, mais souvent éliminés ou atténués par le trempage, la cuisson ou la fermentation. Enfin, un goût « vert » est parfois invoqué par les consommateurs pour expliquer leur faible consommation.
… et pour des raisons psychologiques !
Les travaux de Sandrine Monnery-Patris, chercheuse en psychologie cognitive au Centre des sciences du goût à Dijon, montrent l’existence de représentations sociales encore très prégnantes tout comme la difficulté de changer ses habitudes alimentaires. Elle montre que la viande est associée à la force alors que les légumineuses sont associées à la légèreté… Elle montre également que la viande est centrale dans nos assiettes et que les végétaux riches en protéines sont considérés comme des accompagnements : « Il y a un frein cognitif. Si l’on demande au consommateur de substituer la viande par des végétaux riches en protéines, cela revient à lui demander de remplacer un aliment central par un aliment périphérique. »
Rééquilibrer nos apports entre protéines d’origine animales et végétales est le point central des transitions vers des régimes sains et durables. Mais les consommateurs sont-ils prêts à mettre plus de protéines végétales dans leur assiette ? Réponses avec Sandrine Monnery-Patris, chercheuse en psychologie cognitive au Centre des sciences du goût et de l’alimentation à Dijon.
De nouveaux aliments à base de protéines végétales
Une autre voie possible, pour rééquilibrer protéines végétales et animales dans l’assiette, est de modifier l’offre alimentaire et de développer de nouveaux produits à base de protéines végétales. C’est le cas par exemple des « pâtes » à base de légumineuses et de blé, développées par les scientifiques impliqués dans le projet de ressourcement VEGAGE, porté par le Carnot Qualiment. Les techniques de fabrication de ces pâtes aux légumineuses, contenant ad minima 35 % de farine de légumineuses (et jusqu’à 100 %) a fait l’objet d’un brevet. L’intérêt de ces nouveaux produits est indéniable : les pâtes contenant 60 à 80 % de légumineuses correspondent à un produit fini à 20 % de protéines (contre 13 % pour des pâtes classiques); elles ont l’avantage d'offrir tous les acides aminés essentiels que l’organisme ne sait pas fabriquer seul, contrairement aux pâtes de blé dur dépourvues en lysine.
Galerie d'innovations
Quand les politiques publiques s’en mêlent
Pour aider consommateurs, agriculteurs et transformateurs à passer aux protéines végétales, les politiques publiques ont leur rôle à jouer. L’Etat a présenté une « stratégie nationale protéines végétales » fin 2020 dans le cadre du Plan de relance. L’ambition de ce dispositif est de doubler les surfaces utiles dédiées à la culture des protéines végétales pour atteindre 2 millions d’hectares (soit 8 % de la surface agricole utile). Aujourd’hui, près d’1 million d’hectares sont semés avec des espèces riches en protéines végétales (soja, pois, légumes secs, luzerne, légumineuses fourragères…). L’objectif du plan est d’augmenter les surfaces semées avec ces espèces de 40 %, soit une augmentation de 400 000 ha. Le plan prévoit également de soutenir le développement de nouvelles filières ou encore de promouvoir la consommation de légumes secs (lentilles, pois chiche...) dans l’alimentation en particulier celle des enfants, selon les recommandations du PNNS.
La restauration collective, tremplin pour mettre des protéines végétales dans l’assiette ?
Avec 80 000 restaurants collectifs en France (scolaires, universitaires, de santé, d’entreprises) et 3 milliards de repas servis par an, la restauration collective est un levier important pour opérer une diversification des sources de protéines. C’est ce que la loi Egalim expérimente en demandant aux restaurations collectives qui servent plus de 200 couverts par jour de réaliser un Plan pluriannuel de diversification des sources de protéines. Aussi, à l’école, depuis novembre 2019, les cantines doivent proposer au moins un menu végétarien par semaine. Un enjeu important car, on le sait, les habitudes alimentaires se construisent dès le plus jeune âge. Les travaux INRAE montrent que l’on change un comportement alimentaire par « exposition répétée » à un nouvel aliment. Plus on est exposé à un aliment, qui est au départ nouveau, inconnu, et de ce fait plutôt rejeté a priori, plus il est proposé dans un contexte familier et chaleureux, plus il a de chance d’être accepté : « c’est par exemple le cas du café, pourtant très amer, mais auquel on est exposé régulièrement, au travail lors de la pause-café, dans la sphère familiale. On y est exposé dans un contexte positif, qui amène à goûter cet aliment et à recommencer malgré un goût pas toujours apprécié au début ». Proposer des plats à base de protéines végétales à la cantine peut ainsi aider à faire apprécier ces produits aux enfants, mais à la seule condition que ce soit dans un environnement positif. Un enjeu fort apparait alors : la formation des personnels des cantines pour proposer aux enfants des nouveaux aliments de façon plus positive.
La restauration collective en France est un pilier de la transition agroécologique. Marie-Benoit Magrini et Hugo Fernandez-Inigo, chercheurs au laboratoire Agroécologie innovation et territoires au centre INRAE Occitanie-Toulouse ont mené une enquête inédite pour mieux comprendre les pratiques, contraintes et leviers concernant l’utilisation des légumineuses en cuisine, leur place au sein des menus et les circuits d’approvisionnement. Découvrez les résultats et analyses !
Le territoire, moteur des transitions vers plus de protéines végétales
En parallèle des politiques nationales, émergent de nombreux projets à l’échelle territoriale qui embarquent l’ensemble de la filière, producteurs, transformateurs et consommateurs autour du développement des protéines végétales aussi bien aux champs que dans l’assiette. C’est le cas, par exemple, du territoire d’innovation Dijon alimentation durable 2030 dont l’un des volets est de développer une filière légumineuse locale.
Les Territoires d’Innovation (TI) sont un nouveau modèle de recherche, développement et innovation encouragé par le gouvernement à la faveur du Programme d’investissement d’avenir en 2019. Ils visent à accélérer les transitions grâce à une plus grande coopération des différents acteurs au plus près des territoires et de leurs attentes.
Le leitmotiv de la Métropole dijonnaise et des chercheurs et chercheuses qui l’accompagnent : « Mieux manger stimule des pratiques de production plus vertueuses, et mieux produire permet de mieux manger ! ».
Pour développer sa filière légumineuse locale, le territoire d’innovation agit à tous les niveaux : accompagnement des agriculteurs pour la culture des légumineuses, développement avec les industriels de nouveaux process pour une offre alimentaire avec plus de protéines végétales produites localement, amélioration de la qualité nutritionnelle des repas servis en restauration collective en assurant notamment un approvisionnement local de légumineuses, sensibilisation des « convives » à l’importance des choix alimentaires sur la durabilité de l’alimentation ainsi que la formation des personnels pour proposer des menus avec davantage de protéines végétales.
Développer une filière légumineuse locale, c’est aussi l’ambition de la région Occitanie. Accompagnée par des scientifiques INRAE, la région a initié en 2017, le projet Fileg qui rassemble les acteurs de la région (producteurs, transformateurs, experts, techniciens, institutionnels, chercheurs...). Sa finalité est d’accompagner les changements de pratiques de production pour un modèle agricole rentable, durable et responsable. Marie-Benoît Magrini, économiste à INRAE, a accompagné ce collectif dans la réalisation d’un guide pour aider à la contractualisation entre producteurs et opérateurs de la filière. Un livrable pour l’instant réservé aux opérateurs de l’Occitanie mais dont l’interprofession s’inspire.
Focus sur : le groupe protéines et nutrition
Le groupe Protéines et nutrition (GPN) est une association loi 1901 rassemblant chercheurs et industriels fédérés autour d’un même sujet : les protéines végétales et la nutrition. Crée fin 2019, ce groupe, présidé par Jean-Michel Chardigny, directeur de recherche INRAE, est un espace de discussion inédit entre le monde académique et industriel. Il favorise les échanges multidisciplinaires et permet ainsi une approche intégrée et complète du sujet.
Le groupe organise régulièrement des échanges autour de diverses problématiques relatives aux protéines végétales dont les vidéos sont à retrouver sur leur chaîne Youtube.
Site web du groupe Protéines et nutrition
Rédaction du dossier : Elodie Regnier, Nicole Ladet
Pilote scientifique : Monique Axelos, directrice scientifique Alimentation et bioéconomie
Contacts scientifiques : Jean-Michel Chardigny, directeur de recherche INRAE
Octobre 2021