Agroécologie Temps de lecture 3 min
Arguments de pois
Les légumineuses comme le pois et la féverole fournissent un capital de solutions pour les transitions alimentaire et agroécologique. Pour développer leur culture en France et en Europe, il faut disposer de variétés aptes à une production régulière et de qualité dans différentes conditions. Le projet PeaMUST, mené par INRAE, a construit les outils génomiques et prédictifs pour pouvoir sélectionner ces variétés.
Publié le 30 septembre 2020

Le saviez-vous ? Aujourd’hui les légumineuses à graines, soja compris, ne représentent que 3 % des terres arables européennes. L'Europe importe 70 % de sa consommation en protéines végétales.
Les légumineuses, pois et féverole en tête, sont l’un des piliers d’une agriculture plus agroécologique. Elles sont aussi de précieuses sources de protéines végétales pour l’alimentation humaine et animale. Leur extension en France et en Europe réduirait notre dépendance aux importations de soja, souvent cultivé sur des espaces conquis aux dépens de prairies ou forêts tropicales. Grâce à une association avec des bactéries du sol qui fixent l’azote de l’air, les légumineuses assurent leur alimentation azotée sans besoin d’engrais, et cet apport bénéficie également à la culture suivante. Ces avantages sont bien connus et exploités par les agriculteurs en bio. Autre intérêt à ne pas utiliser d’engrais azoté : les risques de fuites de nitrates, source de pollution, sont éliminés. Insérées en rotation avec d’autres cultures ou cultivées en association avec une céréale, les légumineuses réduisent la plupart du temps le développement des mauvaises herbes, et favorisent la régulation des maladies, ce qui réduit l’emploi de pesticides. Mais pour développer leur culture, il faudrait qu’elles puissent offrir une production plus régulière en étant plus robustes face aux stress climatiques comme le gel ou la sécheresse et plus résistantes aux agresseurs biologiques. Les plus dommageables d’entre eux sont, pour le pois, la pourriture racinaire précoce, due à l‘agent pathogène Aphanomyces euteiches, et l’ascochytose, maladie qui attaque les parties aériennes. Les dégâts d’insectes (sitones, puceron vert, thrips…) deviennent également de plus en plus préoccupants avec la réduction de l’usage des insecticides. Pour la féverole, l’ennemi numéro un est la bruche, un insecte qui consomme ses graines. Pendant 8 ans, le projet PeaMUST (2012-2020), conduit par INRAE et financé par le programme « Investissements d’avenir », a exploré avec des approches novatrices le potentiel d’amélioration génétique pour sélectionner des variétés de pois et de féveroles aux rendements plus stables.

Les légumineuses sont un levier majeur pour relever les défis du changement climatique et de la sécurité alimentaire mondiale. Sources végétales de protéines, elles sont au coeur de la transition agroécologique, soutenues par les stratégies nationale, européenne et internationales. Ces rencontres réunissent plus de 400 scientifiques, agriculteurs, entreprises et représentants politiques pour croiser les regards en vue d'amplifier la production et les usages des légumineuses.


Les tolérances aux stress dépendent de plusieurs caractères
Résister aux gels hivernaux et esquiver les sécheresses
Les pois ont leurs saisons… Le pois d’hiver, semé en automne et récolté au début de l’été, ne représente actuellement que 30 % des surfaces implantées en pois, un chiffre qui progresse cependant régulièrement. Car, grâce à une période de développement plus longue, son rendement potentiel est plus important que celui du pois de printemps, implanté en début du printemps pour une récolte en fin d’été. Le cycle du pois d’hiver classique lui permet également d’échapper assez bien aux sécheresses et aux fortes températures estivales, contrairement au pois de printemps. Parmi les nouvelles variétés de pois d’hiver, certaines diffèrent du type classique en étant très réactives à la durée du jour (photopériode). Plus tardives, elles sont, comme les pois de printemps, assez exposées aux stress estivaux, mais cette dépendance diminue grâce aux progrès de la sélection. Pour étendre encore les cultures de pois d’hiver, classiques ou non, il est nécessaire de développer des variétés qui résistent mieux aux gels hivernaux. Des expérimentations menées sur une quinzaine de sites complétées par des travaux de modélisation ont permis d’évaluer différentes variétés de pois et de féverole pour leur résistance à la sécheresse, au gel et aux maladies. Elles ont permis de mieux comprendre les liens entre leur sensibilité à la photopériode, qui contrôle la date de leur initiation florale, et leur tolérance au gel.
Qu’en est-il de la sécheresse ? Ces travaux montrent qu’un manque d’eau au printemps affecte la floraison des pois d’hiver. Or, pas de fleur, pas de graines… les rendements peuvent ainsi diminuer : jusqu’à 15 quintaux par hectare, estimés sur le réseau PeaMUST. Le pois de printemps est lui-aussi pénalisé par une sécheresse dès le début du cycle mais plus encore au moment du remplissage des graines. Combinés, ces facteurs peuvent causer également jusqu’à 15 q/ha de pertes. En outre, le manque d’eau peut induire une carence en azote.
Les dégâts de gel sont moins fréquents que ceux de la sécheresse mais peuvent avoir des conséquences très sévères, en particulier sur les fleurs sensibles à des températures faiblement négatives. Pour évaluer la résistance au gel hivernal (avant floraison), les travaux s’intéressent à deux critères : le seuil de résistance et la vitesse d’endurcissement. Les variétés disponibles résistent seulement à - 3 / - 5 ° C quand elles ne sont pas endurcies. Après une phase d’endurcissement* induite par un froid progressif, certaines peuvent résister à - 23 °C. Ces deux critères sont majeurs dans le cadre de l’adaptation au changement climatique et les chercheurs ont développé un modèle de prédiction permettant de simuler le comportement des variétés selon l’évolution du climat.
Sélectionner plus efficacement des résistances
Sur le terrain, les stress climatiques se combinent à des agressions biologiques. Ainsi, Aphanomyces euteiches s’attaque aux racines et réduit leur capacité d’approvisionnement en eau et en éléments nutritifs, accentuant les difficultés en période de sécheresse de fin de cycle. Face à l’agent pathogène, aucun traitement chimique n’est disponible et il n’existe pas à ce jour de solution de biocontrôle**. La voie génétique est explorée depuis 25 ans pour créer des variétés résistantes et elle a débouché sur la découverte à INRAE de plusieurs résistances à effets modérés, qui ont été combinées par croisement dans des lignées améliorées. Ces lignées ont permis de sélectionner de nouvelles variétés présentant ce caractère, disponibles pour les agriculteurs.
Le temps de sélection de variétés combinant tous les atouts devrait être réduit d’un tiers
En 8 ans, les travaux de PEAMUST ont permis d’aller plus loin grâce au phénotypage et au génotypage de larges panels de variétés et ressources génétiques de pois et de féverole. Ils ont permis de localiser avec précision les régions du génome impliquées dans la résistance aux stress climatiques et biologiques et d’évaluer comment les combiner. Bonne nouvelle : aucun effet antagoniste entre ces différents gènes n’a été mis en évidence à ce jour. Les recherches se poursuivent pour le confirmer. La sélection génomique, fondée sur une lecture complète du génome permet d’avancer beaucoup plus vite pour identifier les individus réunissant les gènes intéressants. Parmi eux, les gènes qui contrôlent l’architecture de la plante, la tolérance à la sécheresse, au gel, la résistance à la pourriture racinaire et aux pucerons chez le pois, ainsi que la résistanceà la bruche chez la féverole. Le temps de sélection pour obtenir de nouvelles variétés les intégrant devrait être ainsi réduit d’un tiers.
Les chercheurs comparent le pois et la féverole pour identifier les régions génomiques qui pourraient être similaires entre les deux espèces. En particulier, la féverole est résistante à Aphanomyces euteiches et sa culture est recommandée en alternance à celle du pois, sachant qu’il faut environ 6- 8 ans sans pois pour limiter le potentiel infectieux d’une parcelle contaminée par ce parasite. Avec l’aide d’outils bioinformatiques, les chercheurs veulent développer une nouvelle méthode pour cumuler les gènes d’intérêt dans un processus de sélection basé sur des marqueurs. Leur but : créer de nouveaux géniteurs combinant les résistances à des stress multiples, adaptés à des systèmes de cultures agroécologiques.
Par ailleurs une thèse est en cours sur les associations avec les céréales : il s’agit d’identifier les meilleurs partenaires et d’explorer la variabilité génétique sur ce critère chez le pois. Le travail porte sur les types variétaux et les caractéristiques agronomiques favorables. D’ores et déjà, on sait que le pois d’hiver "classique", plus précoce, se synchronise mieux avec l’orge, le pois d’hiver réactif à la photopériode avec le blé, tandis que la féverole, bien que plus tardive, a une hauteur qui s’accorde mieux avec le triticale. Ces associations permettent d’obtenir un taux de protéines plus élevé dans la céréale associée.
* Endurcissement : pour résister aux températures gélives, certaines plantes modifient leurs caractéristiques physico-chimiques afin de maintenir le fonctionnement cellulaire et d’abaisser la température à laquelle l’eau de leurs cellules se transforme en glace. Ce processus exige cependant une exposition préalable assez longue à de faibles températures positives.
** Biocontrole : ensemble de méthodes de protection des cultures basées sur l’utilisation d’organismes vivants ou de substances naturelles.