Alimentation, santé globale 6 min

À la vigie des épidémies et des risques sanitaires

Surveiller pour anticiper les risques et les prévenir... Certains analysent des données, d’autres s’intéressent à des molécules ou observent des êtres vivants. Mais tous les acteurs impliqués dans les projets One Health partagent leurs travaux, leurs ressources, leurs questionnements, dans le but d’apporter des éléments de réponse concrets aux problèmes de santé présents et à venir.

Publié le 08 juillet 2020 (mis à jour : 26 octobre 2023)

illustration À la vigie des épidémies et des risques sanitaires
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Épidémiosurveillance : un pour tous & tous pour un

La pandémie de Covid-19 nous l’a rappelé de la manière la plus brutale qui soit : la surveillance épidémiologique est essentielle pour prévenir et maîtriser les risques sanitaires. C’est pour la renforcer que le ministère de l’Agriculture a lancé, dès 2010, la Plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA), chargée de surveiller tout danger sanitaire ayant ou pouvant avoir un impact sur la santé animale et/ou la santé publique. Sa particularité est de réunir un ensemble pluridisciplinaire d’acteurs publics et privés, autour des questions de sécurité sanitaire. Mais sa plus grande force réside dans l’engagement de ses membres autour du partage des données dont ils disposent, permettant non seulement d’améliorer les connaissances sur la thématique choisie, mais aussi de détecter rapidement un « trou dans la raquette », autrement dit une faille éventuelle dans le dispositif d’épidémiosurveillance. En 2018, 2 autres plateformes ont été créées sur le même modèle.

Un état des lieux de la surveillance du cadmium en France

La plateforme ESV est en charge de l’épidémiosurveillance en santé végétale, tandis que la plateforme SCA se consacre à la surveillance de la chaîne alimentaire. Cette dernière, dont les activités relatives aux dangers chimiques sont coordonnées par INRAE, compte 14 partenaires publics et privés ; elle s’est attelée d’emblée au dossier sensible du cadmium. Cet élément-trace métallique est utilisé dans l’industrie et présent naturellement dans les engrais. Se retrouvant dans les couches superficielles du sol, il peut être transféré dans les végétaux et ainsi passer dans l’ensemble de la chaîne alimentaire. Classé cancérogène, le cadmium se rencontre à tous les niveaux de la chaîne alimentaire. Copiloté par INRAE et l’ACTA, un groupe de travail associant des opérateurs publics et privés a été mis en place en 2020 afin de réaliser un état des lieux de la surveillance du cadmium en France. En 2023, le groupe de travail a rendu ses conclusions à travers un rapport. La plateforme SCA a permis aux organismes concernés par la surveillance du cadmium de mener une réflexion commune sur cette problématique à tous les maillons de la chaîne alimentaire et dans les différentes filières afin d’identifier des mesures visant à mieux surveiller la contamination des denrées, et de permettre une meilleure collaboration des dispositifs de surveillance. Le groupe de travail a ainsi proposé 18 recommandations à destination de l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire. De plus, la mutualisation des données a permis d’obtenir une base recensant près de 75 000 résultats d’analyse qui ont été exploités afin de préciser le niveau de qualité des données de surveillance d’une part, et d'autre part d’analyser les niveaux de concentration du cadmium dans diverses matrices ainsi que leur évolution temporelle sur un pas de temps de 10 ans (2010-2019). 

 

À la manière d'un lanceur d'alerte

À la manière d’un « lanceur d’alerte », la plateforme SCA peut aussi faire remonter au comité de pilotage les préoccupations des partenaires sur une thématique donnée. Ainsi, elle a rédigé une note d’information soulignant l’urgence de financer des recherches sur les huiles minérales MOSH (hydrocarbures saturés d’huile minérale) et MOAH (hydrocarbures aromatiques d’huiles minérales), pointant le manque de connaissances sur le sujet mais aussi l’absence remarquée de méthodes d’analyse fiables permettant de relever de manière incontestable leur occurrence dans les denrées alimentaires. Enfin, la plateforme SCA publie tous les 15 jours un bulletin de veille, qui fait état des risques biologiques et chimiques identifiés au niveau mondial.

Donnez des données aux biostatisticiens !

Identifier les signaux faibles de l’émergence d’un nouvel agent pathogène

Traditionnellement, l’épidémiosurveillance s’appuie sur les observations réalisées sur le terrain, par des experts de la discipline concernée. Les procédures se révèlent assez semblables, qu’il s’agisse de veiller à la santé animale, végétale ou humaine. Bien que très efficace, cette méthode est toutefois limitée par les ressources, notamment humaines, que l’on peut y consacrer. C’est pourquoi les chercheurs s’emploient désormais à exploiter, en plus des données d’observation directes, celles provenant de sources plus nombreuses et facilement accessibles, à défaut d’être aussi précises. Il peut s’agir aussi bien de données satellites, que de traces laissées par les utilisateurs d’Internet et des réseaux sociaux. Ces données, bien que très hétérogènes, peuvent par exemple servir à identifier les signaux faibles de l’émergence d’un nouvel agent pathogène. Pour preuve, des chercheurs ont déterminé, a posteriori, la date d’apparition de la maladie Covid-19, uniquement en examinant les requêtes formulées sur Google et les moteurs de recherche chinois ! Plus on dispose de données, et à condition de les employer à bon escient, plus il est possible d’affiner les outils de surveillance épidémiologique. Ça, c’est le travail des biostatisticiens, qui tirent parti des progrès réalisés en statistique et en intelligence artificielle pour concevoir des modèles informatiques capables de traiter de gigantesques variables de données hétérogènes et de lever le voile sur des quantités non observables. Ils emploient notamment des approches mécanistico-statistiques, qui permettent de faire le lien entre les données récoltées sur le terrain, celles provenant de sources indirectes et les processus épidémiques étudiés. Un modèle a ainsi permis d’estimer, en Corse, la population totale de végétaux infectés par la redoutable bactérie Xylella fastidiosa et de prédire les risques de propagation à d’autres régions. Ce qui aurait été impossible en se basant sur une démarche seulement exploratoire des observations directes.

Ce cadre de modélisation, adapté à la Covid-19, a permis récemment aux chercheurs de calculer le taux de létalité réel de la maladie en France (0,5 % sur la base des données hospitalières, et 0,8 % en intégrant les données des Ehpad), en reconstruisant le nombre total de cas. Dans ces deux situations, les modèles utilisés pourraient être implémentés dans une plateforme en ligne alimentée jour après jour avec de nouvelles données et fournissant, en temps réel, des estimations des grandeurs épidémiologiques non observables et des prédictions de l’état sanitaire futur de la population touchée : une plateforme pour informer et appuyer la prise de décision.

La modélisation s'attaque à l'attila des pins

C’est une terrifiante épée de Damoclès qui est suspendue au-dessus des Landes de Gascogne et autres forêts de pins. Bursaphelenchus xylophilus, le nématode du pin, est un ver microscopique qui s’attaque aux pins et cause leur mort en quelques semaines dans les cas les plus sévères. Originaire d’Amérique du Nord, il a décimé des millions de pins au Japon depuis sa détection en 1905, puis en Chine à partir de 1982, avant d’investir la Corée du Sud et Taiwan. Détecté près de Lisbonne en 1999, il s’est répandu rapidement sur l’ensemble du Portugal. Pour se propager, le nématode a besoin d’un insecte vecteur.
En Europe, il s’agit de Monochamus galloprovincialis. Si cet élégant coléoptère xylophage cause assez peu de dégâts aux arbres, il en va tout autrement du ver qu’il transporte d’arbre en arbre. Et qui raffole du pin maritime qui compose la majeure partie des forêts landaises. La menace est telle que l’Union européenne impose d’effectuer une coupe rase de 500 m autour d’un arbre contaminé ! Une mesure extrême, qui a conduit les modélisateurs d’INRAE à développer un modèle de prédiction, pour en évaluer l’efficacité. Ils l’ont notamment alimenté avec des données provenant de mesures réalisées sur manège de vol (un dispositif sur lequel on fixe un insecte pour estimer ses capacités de dispersion). D’autres coléoptères, marqués, lâchés dans la nature puis récupérés, ont apporté des informations complémentaires. Patatras ! Le modèle de prévision a montré que pour être efficace, ça n’est pas un cercle d’un rayon de 500 m qu’il faudrait raser dans une forêt de pins non fragmentée, mais un cercle de 14 à 38 km de rayon ! Impensable, évidemment. Les chercheurs préconisent donc de réduire ce rayon et en contrepartie de renforcer la surveillance. Notamment en installant plus de pièges, et en augmentant les prélèvements sur les arbres, afin de repérer au plus tôt un début d’invasion. Car il n’existe à l’heure actuelle aucun moyen efficace de lutter contre le nématode du pin. Et que se passe-t-il dans les forêts fragmentées ? C’est ce qu’ambitionnent de découvrir les chercheurs, grâce à de nouveaux modèles. Ils envisagent aussi de déterminer la répartition optimale des pièges à coléoptères, en fonction de l’environnement, pour détecter au plus tôt l’arrivée du ravageur.

 

Cadmium : élément chimique utilisé dans l’industrie, présent naturellement à l’état de traces dans les engrais phosphatés, notamment ceux produits à partir des roches phosphatées qui proviennent d’Europe, du Maroc ou d’Algérie.

Voir la rubrique "One Health, une seule santé"

Philippe FontaineRédacteur

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Bruno Le BizecLaboratoire d'étude des Résidus et Contaminants dans les Aliments

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Depuis la découverte des premiers foyers de Xylella fastidiosa en Corse en 2015, l’Inra a axé ses recherches sur le développement de technologies pour accélérer la détection et l’identification de la bactérie sur le territoire. Les avancées scientifiques sur les insectes vecteurs et leurs interactions avec le milieu marquent une autre phase des travaux. Modèles et outils de détection sont communiqués aux gestionnaires des crises sanitaires, DGAL et Anses, pour améliorer les actions de prévention et adapter les analyses et mesures prophylactiques.

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