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Développement d’un modèle mécanistico-statistique pour calculer le taux de létalité réel du COVID-19
COMMUNIQUE DE PRESSE - Dès fin mars, une équipe INRAE a pu calculer le taux de létalité lié au COVID-19 pour la première fois au monde dans un pays autre que la Chine. Ils ont obtenu un taux de 0,5% sur la base des données hospitalières françaises, et de 0,8% en intégrant les données issues des EHPAD. Leurs résultats sont confirmés fin avril par les calculs de l’Institut Pasteur et une étude menée à New York. Leur étude vient d’être publiée le 8 mai 2020 dans la revue MDPI Biology.
Publié le 12 mai 2020
L’évolution d’une épidémie est toujours difficile à évaluer car elle dépend de processus latents que les chercheurs et médecins ne peuvent pas observer directement comme le processus de contagion du virus. Il est pourtant crucial de connaître au plus tôt le taux de létalité du virus et d’avoir une estimation du nombre de personnes infectées pour gérer au mieux une crise sanitaire. Au début d’une épidémie, le taux de létalité apparent (CFR, pour case fatality rate), correspondant au nombre de décès imputables à la maladie divisé par le nombre de cas connus, ne donne que peu d’information sur le risque associé à l’épidémie, car il est très dépendant du taux de dépistage. Par exemple, ce taux de létalité apparent est de 19,0% en France au 10 mai mais ne correspond pas à la réalité de l’épidémie. C’est donc le taux de létalité réel (IFR, pour infection fatality rate) correspondant au nombre de décès imputables au COVID-19 divisé par le nombre de cas réels, qu’il convient d’estimer. Au mois de mars, le calcul du taux de létalité réel du COVID-19 se basait uniquement sur les données issues de deux populations : les personnes rapatriées de Wuhan et les passagers du bateau de croisière Diamond Princess. Deux populations très spécifiques qui ne sont pas des échantillons représentatifs de la population globale.
En épidémiologie, il existe deux approches que les chercheurs peuvent utiliser pour calculer le taux de létalité, mais qui présentent chacune des inconvénients :
- L’approche statistique (data-driven) qui se base sur les données rassemblées et analysées par les chercheurs (nombre de personnes testées positives, nombre de décès…) mais qui ne prend pas en compte les mécanismes propres de l’épidémie (mode de contagion du virus, contacts entre les personnes…).
- L’approche mécanistique qui se base sur ces mécanismes, mais dont les sorties sont difficilement comparables aux données de terrain car celles-ci dépendent fortement de la façon de collecter les données (biais d’échantillonnage, erreurs d’observation, …). Les données correspondent de fait à une observation très indirecte du processus, c’est pour cela qu’on parle de processus latent (ou caché).
Des chercheurs INRAE des départements scientifiques NUMM et SPE développent depuis plusieurs années des approches mécanistico-statistiques pour construire des modèles couplant les deux approches précédentes. S’ils travaillent essentiellement sur des épidémies végétales et des invasions biologiques, les principes développés restent les mêmes pour les épidémies animales et humaines. Ces méthodes sont particulièrement utiles lorsque l’observation (ici le nombre de cas testés positifs) ne correspond pas au processus lui-même, mais dépend indirectement de ce processus latent.
Développement du modèle
Les approches mécanistico-statistiques sont particulièrement pertinentes pour l’épidémie de COVID-19 : si l’on dispose d’un grand nombre de données de terrain, celles-ci sont sujettes à de nombreux biais. Ici le processus latent est décrit grâce à un modèle épidémiologique standard qui prend en compte les caractéristiques propres au virus, et certains paramètres à estimer (dont le fameux R0). Un modèle probabiliste est utilisé pour faire le lien entre les données observées (nombre de cas connus, nombre de tests effectués, nombre de décès) et ce modèle épidémiologique. Ce modèle probabiliste d’observation comporte lui aussi un paramètre qui sera estimé : la probabilité relative de subir un test pour un individu « sain » vs un individu infecté par le SARS-CoV-2 (COVID-19).
Ces méthodes ont permis aux chercheurs de calculer, dès le mois de mars 2020, le taux de létalité lié à l’épidémie de COVID-19 pour la première fois dans un pays autre que la Chine, la France. Ils ont calculé un taux de létalité de 0,5% en se basant sur les données hospitalières et un taux de 0,8% en intégrant les données issues des EHPAD. Simultanément, ils ont calculé un taux de reproduction de base R0 de 3,2. Leurs résultats sont confirmés fin avril par les calculs de l’Institut Pasteur, qui trouve également un taux de 0,5% sur la base des données hospitalières françaises et par une étude sérologique menée à New-York où un taux de 0,6% est obtenu. Ces approches mécanistico-statistiques présentent un grand intérêt en épidémiologie car elles permettent de calculer très tôt dans l’avancée de l’épidémie des paramètres cruciaux comme le taux de létalité.
Références
Roques, L.; Klein, E.K.; Papaïx, J.; Sar, A.; Soubeyrand, S. Using Early Data to Estimate the Actual Infection Fatality Ratio from COVID-19 in France. MDPI Biology Mai 2020, 9, 97. https://doi.org/10.3390/biology9050097
Blog de l'équipe de recherche BioSP : https://informatique-mia.inra.fr/biosp/COVID-19