Alimentation, santé globale 4 min
Comprendre et gérer les épidémies dans les élevages
Le virus du Covid 19 semble s’être transmis directement de la faune sauvage vers l’Homme. Mais dans d’autres cas, comme par exemple, la grippe aviaire, les animaux d’élevage peuvent être un relai entre cette faune sauvage et l’Homme. En outre, même quand il ne s’agit pas de maladies dangereuses pour l’homme, de nombreuses maladies peuvent affecter la santé des animaux d’élevage et compromettre dans le même temps la production alimentaire. Comment mieux comprendre et gérer les épidémies dans les élevages ? Questions à Christian Ducrot, spécialiste en épidémiologie à INRAE.
Publié le 30 avril 2020
Comment anticiper la survenue d’épidémies dans les élevages ?
Christian Ducrot : Dans le cas des maladies connues, nous avons des dispositifs de surveillance à l’échelle nationale, européenne et mondiale. La plateforme ESA, dispositif national, à laquelle participe INRAE depuis 2018 (1) surveille une vingtaine de dangers sanitaires dans les élevages et la faune sauvage. Au niveau international, plusieurs maladies sont suivies en continu, comme les virus IAHP (2), la peste porcine africaine, la fièvre catarrhale ovine. Des cartes interactives montrent la localisation des foyers dans les différents pays et leur évolution dans le temps (3). Cette surveillance a fait la preuve de son efficacité en détectant précocement l’arrivée brutale en France du virus de Schmallenberg en 2012 ou les épisodes de fièvre catarrhale ovine en 2006, puis en 2015.
Il y a aussi des maladies qui sont sous contrôle mais qui restent présentes à l’état endémique et qui continuent d’être surveillées. C’est le cas par exemple de la tuberculose bovine (4), pour laquelle la France a été déclarée indemne en 2001 par l’Union Européenne (5), mais pour laquelle on observe une recrudescence depuis 2004 dans certaines régions, la Dordogne en particulier. Plusieurs espèces d’animaux sauvages : renard, cerf, sanglier, blaireau, peuvent servir de réservoirs pour la bactérie pathogène. C’est pourquoi on surveille la présence de cette bactérie non seulement dans les élevages et à l’abattoir, mais aussi sur les sites de rencontre avec la faune sauvage (zones d’abreuvement ou de nourrissage), afin de sécuriser les pâtures à risque.
Le dispositif ESA permet donc non seulement de détecter l’arrivée des épidémies aux frontières, mais aussi de coordonner des dispositifs de surveillance et de protection sur le territoire national.
Autre point crucial : établir des stratégies de recherche pour anticiper les crises sanitaires, car la recherche a besoin de temps. C’est le rôle du réseau RFSA, qui coordonne les acteurs de la santé animale (6) pour prioriser les actions : recherche, médicaments, tests et vaccins. Ce réseau a par exemple géré les appels d’offre de recherche sur fonds publics pour la fièvre catarrhale ovine.
Une fois qu’une épidémie a été détectée, que peut-on faire ?
C. D. : Quand on dispose de suffisamment de données sur l’agent pathogène responsable de la maladie : ses hôtes, son mode de transmission, sa virulence, il est possible d’établir des modèles. Les recherches sont très actives dans ce domaine à INRAE et nous disposons de plusieurs types de modèles puissants pour différentes utilisations. A quoi servent ces modèles ? En premier lieu, ils permettent de tester des scénarios pour comprendre et maîtriser l’épidémie. Ainsi, un modèle développé à INRAE donne des pistes de gestion dans le cas de la paratuberculose bovine (7). Il montre l’importance de contrôler l’introduction de nouveaux animaux dans un troupeau : en effet, il suffit d’un seul animal infecté pour avoir, dans 40% des cas, une infection persistante dans le troupeau pendant plus de 20 ans. Le modèle montre aussi que les veaux se contaminent principalement par les excréments des adultes, les autres modes de transmission (in utero, lait) étant d’importance moindre. D’où une stratégie basée sur le contrôle des introductions et sur l’isolement des veaux sur des pâtures réservées. Pour chaque maladie, les modèles permettent d’identifier les leviers principaux pour définir les stratégies de gestion les plus adaptées.
Autre application des modèles : analyser les évènements a posteriori, ce qui peut être riche d’enseignements. Par exemple, dans le cas de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), c’est grâce à la modélisation que nous avons pu reconstruire les périodes d’infection et estimer la valeur du R0 (nombre d’animaux infectés, en moyenne, à partir d’un animal malade) en fonction du temps. Nous avons pu aussi expliquer l’origine des cas NAIF, qui étaient incompréhensibles puisqu’il s’agissait d’animaux contaminés par l’ESB alors qu’ils étaient nés après l’interdiction des farines animales pour les bovins, le vecteur de la diffusion de la maladie (8). Nous avions plusieurs hypothèses : contamination des veaux in utero ? Contamination par des graisses alimentaires provenant d’animaux infectés ? En fait, l’explication était autre : les animaux étaient infectés par présence dans leur alimentation d’aliments destinés aux porcs ou volailles, qui contenaient des résidus de farines animales. C’est la corrélation spatiale entre les cas NAIF et la densité de porcs et volailles qui nous a amenés à cette conclusion, confirmée par les études cas-témoins focalisées sur l’alimentation de ces animaux tout au long de leur vie.
Comment diminuer les risques d’épidémies dans les élevages ?
C. D. : Une première cause d’extension des épidémies est la densité des animaux. Dans les formes d’organisation de l’élevage comme il en existe en Asie du Sud-Est ou en Chine, il s’y ajoute les contacts entre les espèces, volailles et porcs par exemple, ainsi que leur proximité avec l’Homme. Les échanges de virus entre les espèces peuvent en effet conduire à des réarrangements viraux et à l’émergence de souches dangereuses pour l’Homme. En cas d’épidémie, les grands élevages peuvent être touchés, avec des dommages très importants, mais les petits élevages familiaux aussi. Nous avons fait une étude a posteriori sur le cas de la grippe aviaire H5N1 en Thaïlande, qui a touché environ 1700 petits élevages de basse-cour thaïlandais et 25 personnes. Alors que l’on pensait aux oiseaux migrateurs ou aux combats de coqs, nos travaux ont montré que la maladie se maintenait localement par le biais des collecteurs de poulets qui passent de ferme en ferme pour les amener à l’abattoir local. Dans ce cas, les élevages industriels ont été moins touchés que les élevages de basse-cour et ont continué leurs exportations, parce qu’ils ont eu les moyens d’appliquer des mesures de confinement draconiennes, et parce qu’ils disposent de dispositifs de ramassage structurés pour éviter la transmission de la maladie. Cette analyse a amené les services vétérinaires de Thaïlande à réfléchir à de nouveaux plans de contrôle des risques H5N1, en privilégiant les actions de sensibilisation des différents acteurs.
Comme on l’a vu dans le cas de H5N1, les mouvements d’animaux constituent l’autre grande cause de propagation des épidémies. L’intensification de l’élevage accentue fortement ce risque par une organisation segmentée des filières qui occasionne des transferts massifs d’animaux : par exemple, les veaux qui naissent en France et sont engraissés en Italie, ou dans la filière des volailles, la segmentation entre couvaison des œufs et élevage des poussins.
Une fois les grandes causes identifiées, que peut-on faire ? A titre préventif, on peut encourager la formation des éleveurs aux mesures de biosécurité : respect des conditions de quarantaine lors d’achats d’animaux, double clôture entre les pâturages, hygiène des visiteurs, désinfection des bâtiments et des appareils d’épandage des effluents, etc. La vaccination est aussi une mesure préventive très efficace, quand elle est possible. Enfin, il est primordial de surveiller les foyers infectieux en temps réel pour les circonscrire rapidement, en limitant les mouvements d’animaux par exemple. Récolter une information épidémiologique précoce et fiable est crucial pour mettre en place des mesures sanitaires adaptées.
- Lire l’article.
- IAHP : influenza aviaire hautement pathogène : virus de types H5 et H7 connus actuellement.
- La veille sanitaire internationale est gérée par le Cirad et l’Anses.
- La tuberculose bovine est une maladie dangereuse pour l’homme (moins de 1% des cas de tuberculose en France mais 10% dans certains pays, source OIE). Difficile à diagnostiquer, elle touche une centaine d’élevages par an en France. Elle fait partie des maladies pour lesquelles l’Etat subventionne un système permanent de surveillance et de lutte.
- Moins de 0,1 % des troupeaux touchés pendant six ans.
- Le réseau RFSA : réseau français de santé animale rassemble l’Anses, le ministère en charge de la Recherche, des instituts de recherche, les écoles vétérinaires, le syndicat du médicament etc.
- La paratuberculose bovine est une des maladies infectieuses à impact économique le plus important chez les bovins laitiers, elle infecte les veaux jusqu’à 1 an, in utero, par le lait, ou par des déjections contaminés dans les aliments. Les symptômes peuvent mettre jusqu’à 15 ans pour apparaître.
- En France, des centaines de cas d'ESB ont été détectés sur des animaux nés après l'interdiction des farines animales pour les bovins en 1990 (= NAIF).
A écouter :
Daniel Marc (vétérinaire et virologiste Inrae/Université de Tours) donne des éléments de compréhension sur les risques d'épidémies dans les élevages, en revenant notamment sur la propagation de la peste porcine africaine dans les années 2000 en Europe et en Asie. Enregistrement réalisé pour The Conversation le 11 février 2021.
L’intensification est une notion à définir et à maîtriser. Elle est liée à la notion de productivité : la quantité de viande, lait, œufs, produite par animal, ou par hectare, ou par heure de travail. Les leviers principaux de l’intensification en élevage sont la sélection génétique, l’alimentation des animaux, la concentration des animaux et l’automatisation du travail. L’hyper-sélection des animaux pour leurs seules performances de production peut augmenter leur sensibilité aux maladies en général, parce qu’elle conduit à négliger d’autres qualités, dont la robustesse et la résistance aux infections. Conséquence de cette fragilité des animaux et de leur concentration, un usage important d’antibiotiques conduit à l’apparition de bactéries résistantes (1), ce qui peut affecter aussi la santé humaine.
Ayant perçu les limites de cette intensification, un mouvement inverse s’amorce depuis plusieurs années dans nos sociétés. Nous travaillons à INRAE sur des modèles agroécologiques d’agriculture et d’élevage qui prennent en compte les équilibres des écosystèmes (2). De même, le plan national sur l’usage des antibiotiques lancé en 2012 a permis une réduction de leur usage de plus de 30% dans les élevages en France.
(1) D’autant que cet usage des antibiotiques en élevage se cumule avec leur utilisation en médecine humaine.
(2) Pour l’élevage : élargir les critères de sélection des animaux, privilégier l’élevage à l’herbe pour les ruminants et l’utilisation des coproduits de cultures locales pour les porcs et volailles, encourager les systèmes de polyculture-élevage, tendre vers l’autonomie protéique des élevages pour limiter les importations.