Agroécologie Temps de lecture 3 min
Réorienter les aides de la Politique agricole commune pour accélérer la transition écologique
Les aides de la PAC en faveur de l’agriculture biologique et des mesures agroenvironnementales restent insuffisantes pour transformer durablement les pratiques agricoles. Une étude sur données françaises montre qu’un transfert budgétaire, sans augmenter l’enveloppe globale, pourrait doubler le taux d’adoption de ces contrats verts.
Publié le 15 septembre 2025

Depuis les années 1990, la Politique agricole commune (PAC) soutient les pratiques agricoles favorables à l’environnement par deux principaux leviers : les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les aides à l’agriculture biologique. Mais ces dispositifs verts peinent à transformer massivement les modes de production, car les moyens restent très déséquilibrés entre les deux piliers de la PAC. Le premier verse des paiements directs à l’hectare, indépendamment des pratiques agricoles, tandis que le second, plus ciblé, finance notamment les MAEC et le soutien au bio, mesures qui reposent sur un engagement volontaire des exploitants. En 2019, 69 % du budget de la PAC étaient alloués aux aides directes, contre seulement 8,6 % pour l’ensemble constitué des MAEC, du soutien au bio et des sites Natura 2000. En 2020, seulement 13 % de la surface agricole utile (SAU) européenne était couverte par une MAEC, et 6 % bénéficiait d’un soutien à l’agriculture biologique.
Or, dans un contexte de dégradation des habitats naturels, de perte de biodiversité et d’objectif de 25 % de surfaces agricoles en bio d’ici 2030 fixé par le Pacte vert européen, cette situation interroge. Faut-il davantage financer ces contrats environnementaux ou simplement mieux répartir les fonds existants ? C’est cette seconde option qu’a explorée une équipe de recherche à partir des données du réseau d’information comptable agricole français (RICA).
Les chercheurs ont simulé l’effet d’un transfert progressif d’une partie des aides du premier pilier vers le second. L’étude s’appuie sur un modèle de comportement des exploitations agricoles, qui estime leur propension à s’engager dans un contrat environnemental en fonction de leurs caractéristiques économiques et des aides proposées. Ce type de modélisation permet d’évaluer l’impact de différents scénarios budgétaires sur les décisions réelles des agriculteurs.
Un transfert de 15 % des aides directes permettrait de doubler le taux d’adoption des contrats environnementaux.
Les résultats sont parlants : transférer 15 % du budget des aides directes — le maximum autorisé par les règles actuelles — ferait passer la participation aux MAEC de 11 % à 23 % des exploitations et le recours au soutien au bio de 7 % à 15 %. Un transfert de 23 % permettrait même d’atteindre l’objectif de 25 % de surface en bio d’ici 2030, fixé par le Pacte vert européen.
En parallèle, en modifiant l’équilibre économique entre aides directes et incitations environnementales, le transfert budgétaire rend ces dernières plus attractives. Les montants considérés comme acceptables par les agriculteurs pour s’engager dans un contrat environnemental diminuent, ce qui montre que la baisse des aides directes modifie aussi les arbitrages économiques.
L’effet varie selon les productions : les élevages herbagers sont les plus enclins à contractualiser des MAEC, tandis que les céréaliers, arboriculteurs, éleveurs de porcs et de volailles ou exploitants en polyculture-élevage seraient davantage susceptibles de se convertir au bio.
Ces résultats montrent qu’une meilleure allocation des fonds existants, sans augmenter l’enveloppe globale, peut produire un effet levier significatif pour orienter les pratiques agricoles vers des systèmes plus durables et renforcer l’impact environnemental de la PAC.
Référence
Le Gloux, F., & Dupraz, P. (2024). Upscaling environmental incentives in the Common Agricultural Policy: an assessment of the potential of transfers from the first to second pillar. Bio-based and Applied Economics Journal, 13(1), 27-48. DOI: https://doi.org/10.36253/bae-14414
Cet article scientifique a reçu le BAE Best Paper Award 2024, décerné par l’AIEAA (Italian Association of Agricultural and Applied Economics) à l’occasion de sa 14ème conférence annuelle qui s’est tenue à Pise du 18 au 20 juin 2025. Il a été sélectionné parmi six publications finalistes par un vote des membres de l’association et du comité éditorial international.
Les auteurs
Fanny Le Gloux est économiste agricole, docteure en sciences économiques. Elle a réalisé sa thèse sur l’analyse économique des paiements pour services environnementaux à l’UMR SMART dans le cadre du projet européen CONSOLE. Depuis 2023 elle occupe le poste de Research Programme Officer à la DG AGRI de la Commission européenne.
Pierre Dupraz est directeur de recherche INRAE, docteur en sciences économiques. Il est spécialisé en microéconomie appliquée et en économie de l’environnement. Son principal domaine d’expertise est l’analyse des politiques agricoles et environnementales.