Biodiversité Temps de lecture 5 min
Quels sont les impacts des tirs sismiques sur les poissons en milieu lacustre ?
Les campagnes de tirs sismiques pour l’étude de la géothermie ont-elles eu un impact sur les populations de poissons du Léman ? Un projet porté par l’UMR CARRTEL (INRAE – USMB), en collaboration avec HEPIA HES-SO et l’UMR CEFREM (UPVD – CNRS), apporte des éléments de réponse.
Publié le 30 juillet 2025

En septembre 2021, des campagnes d'échantillonnages géophysiques ont été réalisées dans le sous-sol genevois pour le cartographier en vue d’exploiter sa géothermie. Dans la partie lacustre, ces mesures sont effectuées à l’aide de canons à air qui expulsent une bulle d'air compressée. L’explosion de cette bulle diffuse des ondes sonores dans le milieu qui sont susceptibles d’impacter les poissons.
Pour vérifier cet impact, l’UMR CARRTEL a piloté une étude(1) à plusieurs échelles biologiques, de l’individu à la communauté.

Les campagnes de tirs sismiques peuvent affecter les poissons de plusieurs manières. Elles peuvent induire un stress qui peut avoir des conséquences directes sur la croissance et la reproduction. Elles peuvent aussi provoquer des changements de comportement, avec des perturbations dans leur alimentation, des modifications de la structure des bancs de poissons (dispersion ou concentration) et des réactions de fuite.
Plusieurs méthodes ont été utilisées avant, pendant et après les campagnes de tirs sismiques pour mesurer les niveaux de stress et les changements de comportement.
Analyses au niveau individuel
Des poissons (jeunes gardons) ont été capturés à l’aide d’un chalut pélagique dans les zones où les tirs sismiques ont été réalisés. Cette méthode de capture est moins stressante pour le poisson que les captures au filet, elle permet de quantifier l’effort d'échantillonnage et de se limiter aux nombres de poissons nécessaires pour les analyses prévues. Les poissons ont ensuite été analysés au laboratoire pour quantifier les paramètres de stress et avec l’analyse de leur contenu stomacal, les modifications du comportement alimentaire.
La quantification du stress subi par les poissons s’effectue à plusieurs niveaux :
- sur le court terme via la mise en place de réactions moléculaires (marqueur de neurotoxicité acétyle choline estérase et l’activation des glucocorticoïdes, le cortisol)
- à moyen terme via l’étude du mécanisme de stress cellulaire oxydatif (CATalase, Super Oxyde Dismutase, Glutathion PeroXydase)
- à plus long terme avec l’altération du système auditif (ligne latérale, morphologie des cils) et de la vessie natatoire.
Une augmentation significative du niveau du cortisol a été observée chez les gardons pendant la période de tirs. De plus, une modification de la taille des cellules sensorielles a été identifiée. L’étude des contenus stomacaux a permis d’évaluer le volume de proies ingérées, montrant des modifications dans les comportements alimentaires des jeunes gardons.
Mesures du comportement
Trois approches ont été utilisées pour évaluer le comportement des poissons :
- la méthode hydroacoustique à partir d’une embarcation autonome de surface, le HARLE(2), afin d'analyser le comportement des bancs de poissons sur la zone de tirs, à l’échelle de la journée ;
- la méthode hydroacoustique, mise en œuvre depuis un bateau, pour analyser les comportements des poissons avant, pendant et après les tirs à des échelles spatiales étendues. Elle vise également à mesurer les densités de poissons dans cette partie du lac afin de déterminer si les poissons ont fui ou non la zone de tir ;
- la mesure de l’ADNe (ADN Environnementale(3)) dans les zones de bordure afin de déterminer si les poissons s'y sont réfugiés.




- Surface hachurée en bleu : zone des tirs sismiques
- Lignes pointillées noires : itinéraires des relevés hydroacoustiques en bateau
- Lignes vertes : itinéraires avec le HARLE
- Lignes violettes : emplacement des transects d'échantillonnage intégré d'ADNe
- Lignes orange : position des chaluts pélagiques
- Cercles verts : emplacements des hydrophones pour enregistrer le bruit ambiant
- Lignes grises : lignes bathymétriques (tous les 10 m).
Ces approches ont permis de mettre en évidence que, lors des tirs sismiques, des changements de la structure des bancs des poissons (densification) avaient lieu et qu’une proportion significative (> 30 %) de la population des poissons du Léman ont fui, sans qu’ils se soient réfugiés en bordure.
Résultat de l'étude
La pollution sonore, de plus en plus présente dans les milieux aquatiques, constitue un facteur de stress majeur pour les écosystèmes, en particulier pour les populations de poissons. Les lacs ne sont pas épargnés par cette pollution qui résulte de la multiplication des activités humaines. Les campagnes de tirs sismiques génèrent un bruit additionnel important qui se diffuse sur de longues distances.
"Les résultats obtenus dans le cadre de ce projet sont particulièrement originaux. En effet peu d'études ont été réalisées dans le milieu naturel sur ce sujet, et encore moins dans les milieux lacustres. De plus, ce projet se distingue par le déploiement d'un large éventail d’approches complémentaires".
Jean Guillard
Les bruits générés par les tirs de canons à air se propagent sur de très longues distances : le niveau de bruit ambiant dans l'eau est significativement plus élevé pendant les campagnes de tir qu'avant celles-ci, et ce même à plusieurs kilomètres de distance.
Aucun effet létal immédiat sur les poissons n'a été observé suite aux tirs : aucune mortalité n'a été constatée.
La pollution sonore due aux tirs sismiques affecte cependant les poissons à plusieurs niveaux : physiologiques, morphologiques et comportementaux.
A l'échelle individuelle, les juvéniles de gardon ont été négativement impactés par les tirs. Les niveaux de stress mesurés pendant les tirs sont significativement plus élevés que ceux enregistrés avant cette période. Ces stress pourraient avoir des impacts sur le long terme, mais ils sont difficilement mesurables dans un milieu naturel ouvert.
L'abondance des poissons dans cette partie du lac a fortement diminué après le début de la campagne de tir, les poissons ont fui, alors que les conditions environnementales étaient similaires. Ce résultat, obtenu par les mesures hydroacoustiques, a été confirmé par une approche complémentaire basée sur la mesure de l’ADNe. Pour de futures campagnes sismiques en milieu aquatique, il est essentiel de mesurer les impacts sur les populations de poissons conformément aux recommandations détaillées dans la publication scientifique.
Le projet IMPOPSIS a permis de mettre en évidence un continuum d'effets des tirs sismiques sur les poissons. Ces effets s'étendent de l'impact moléculaire, entraînant une réponse cellulaire, jusqu'à des impacts à l'échelle de l'individu, de la population et de la communauté.
(1) Projet IMPOPSIS : « Impact sur les populations de poissons du Léman des campagnes sismiques »
(2) HARLE : Hydracoustic Autonomous Boat for Remote Fish Detection in Lake
(3) ADN environnemental (ADNe) : technique de pointe qui permet d’identifier les espèces à partir de l'ADN qu'elles laissent dans leur environnement.
Références
Publication scientifique
Réalis-Doyelle, E., Goulon, C., Cattanéo, F., Di Iorio, L., Domaizon, I., Laurioux, A., Morati, R., Polblanc, A., Rautureau, C., Vautier, M., Guillard, J. The effect of seismic air gun shots on physiology and behaviour of fish lake communities. Sci Rep 15, 14648 (2025)
Restitution résumée du projet en vidéo