Agroécologie 10 min
Quelles nouvelles pistes pour faciliter la sortie des pesticides ?
Se passer des pesticides est une demande pressante d’une part importante de la société et un objectif fort des politiques publiques. Les agriculteurs, conscients des risques pour la santé et l’environnement, sont sensibilisés sur le sujet ; pour autant les pratiques peinent à évoluer rapidement. Dans le cadre du plan Ecophyto 2+, INRAE initie deux expertises scientifiques collectives pour faire une synthèse actualisée des connaissances scientifiques disponibles. La première sur les pesticides et leurs impacts sur la biodiversité, en collaboration avec l’Ifremer et, la deuxième sur l’utilisation de la diversité végétale pour une gestion agroécologique des ravageurs et maladies des cultures.
Publié le 30 novembre 2020
Pesticide ou produit phytopharmaceutique ? Le mot pesticide nous est familier, bien plus que celui de produit phytopharmaceutique, terme qui figure dans la réglementation. Ils désignent les mêmes substances chimiques, employées pour réguler les agresseurs des cultures que sont les insectes ravageurs s’attaquant aux cultures, les champignons et bactéries pathogènes et les mauvaises herbes, aussi appelées adventices. Leur emploi vise à éviter des pertes de récolte ou de qualité des produits trop dommageables et à entretenir les espaces verts. Le terme « pesticide » nous vient de l’anglais et rappelle leur mode d’action « qui tue les ‘pestes’ » (autrement dit en français les bioagresseurs). La notion de « produit phytopharmaceutique » rappelle à la fois leur visée – le traitement pour soigner les plantes - et le fait qu’on parle de substances dont l’usage est strictement réglementé, que ce soit pour leurs utilisations agricoles, en espaces verts ou chez les particuliers.
De nombreuses recherches ont montré que l’usage massif de pesticides en vue de sécuriser la production agricole et entretenir les espaces végétalisés avait des effets non seulement sur les organismes agresseurs ciblés mais aussi sur beaucoup d’autres espèces affectées par les utilisations de ces produits, leur transfert vers d’autres milieux (air, eaux, sol), leur dégradation en sous-produits ou leur persistance dans ces milieux. En 2005, l’Inra et Irstea (aujourd’hui réunis au sein d’INRAE) publiaient les résultats d’une expertise scientifique collective établissant le bilan des connaissances scientifiques internationales sur « Pesticides, agriculture et environnement ». Le même type d’exercice était réalisé par l’Inra en 2008 sur les liens entre « Biodiversité et agriculture », faisant l’état des lieux des pratiques agricoles dommageables et des synergies possibles, puis en 2010, sur l’intérêt agroécologique de la diversification des cultures.. Commanditées par les ministères en charge de l’Agriculture et de l’Environnement, ces différentes expertises ont à la fois répondu à des demandes d’éclairage des politiques publiques et pointé les besoins des recherches qui ont également nourri les orientations scientifiques de l’établissement.
Dans les 10 dernières années, l’institut a renforcé ses travaux en agroécologie et mobilisé des recherches interdisciplinaires afin d’identifier des pistes nouvelles pour la gestion intégrée de la santé des plantes, et la préservation des services rendus par les écosystèmes. Ces travaux ont mis en lumière l’importance de la diversité des cultures et des paysages pour favoriser les régulations naturelles bénéfiques à la santé des plantes(*). Ils se sont intéressés à de nombreuses fonctions essentielles assurées par la biodiversité comme la fourniture d’éléments nutritifs aux cultures, le stockage du carbone dans les sols ou la pollinisation. Les connaissances sur ces différentes questions ont également beaucoup progressé au niveau mondial, faisant l’objet de nombreuses publications.
En pratique, la sortie de l’usage des pesticides est un objectif des politiques publiques qui a encore beaucoup de mal à être atteint, même si des efforts importants ont été faits en ce sens. Cela reste un objectif prioritaire, matérialisé en France avec le plan Ecophyto 2+, et pour l’Union européenne avec le pacte vert (Green Deal). C’est dans ce contexte que les Ministères de l’Agriculture, de l’Environnement et de la Recherche ont a confié à INRAE la conduite de deux nouvelles expertises scientifiques collectives :
- la première, co-conduite avec l’Ifremer, sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité continentale, terrestre et aquatique, et marine, et les services écosystémiques associés ;
Lire les conclusions de cette expertise.
- la seconde sur l’utilisation de la diversité végétale pour réguler bioagresseurs et protéger les cultures.
Note :
(*) En complémentarité des travaux de recherche, une étude a évalué les services rendus par les écosystèmes agricoles pour mieux les gérer
Une expertise scientifique collective fait la synthèse des connaissances scientifiques internationales disponibles pour analyser une problématique d’ordre sociétal. Elle pointe aussi les controverses existantes au sein de la communauté scientifique, les lacunes du savoir et les besoins de recherche. Elle est réalisée à la demande d’un ou plusieurs acteurs publics, et ses résultats sont utilisés pour éclairer la prise de décision publique. Un collectif d’experts scientifiques, pluridisciplinaire et international, est mobilisé pour travailler sur le sujet et est piloté par la Direction à l’Expertise scientifique collective, à la Prospective et aux Études (DEPE). Un chef ou une cheffe de projet DEPE coordonne le travail dans le respect de principes de travail garantissant la robustesse méthodologique de la synthèse bibliographique. Un ou plusieurs pilotes scientifiques donnent les orientations scientifiques du travail. Pour tous les scientifiques participant, c’est aussi l’occasion d’une réflexion pluridisciplinaire qui, le plus souvent, enrichit durablement leur démarche scientifique et leurs recherches.
En parallèle de ces deux expertises, INRAE a été saisi par le Programme Prioritaire de Recherche (PPR), Protéger et cultiver autrement, pour conduire une prospective sur une agriculture européenne sans pesticides. Si la diversification des parcelles et des paysages est un levier majeur pour supprimer les pesticides, ce n’est pas le seul. Conduite à l’échelle de l’Europe, la prospective s’appuiera sur le consortium Towards chemical pesticide-free agriculture, avec un triple objectif :
- Bâtir plusieurs scénarios décrivant des agricultures européennes sans pesticide (et les enjeux qu’ils posent), tenant compte de l’évolution du climat et ses impacts sur les bio-agresseurs et sur les plantes cultivées, mais aussi des régimes alimentaires, et de la demande non alimentaire (bioénergie notamment),
- Identifier les transitions à mettre en œuvre pour chaque scénario sur la base d’innovations techniques et organisationnelles au sens large, de reconfiguration des chaines de valeur et de régulations politiques.
- Simuler l’impact des différents scénarios d’une agriculture sans pesticides sur l’usage des terres, la production agricole et l’environnement ( biodiversité, gaz à effet de serre) .