Changement climatique et risques Temps de lecture 7 min
One Water Vision : une coopération internationale portée par l’innovation spatiale
One Water Vision est un programme international ambitieux qui vise à améliorer la gestion des ressources en eau à travers des outils innovants et une coopération scientifique mondiale. Les missions spatiales SWOT et TRISHNA, avec leurs données d’une précision inégalée, joueront un rôle central pour compléter les services existants et mieux comprendre les cycles de l’eau, y compris dans les régions les plus isolées.
Publié le 24 janvier 2025

La pression sur les ressources en eau atteint des niveaux critiques à l’échelle mondiale. Les sécheresses prolongées, la dégradation des écosystèmes aquatiques, l’augmentation de la variabilité des précipitations et la compétition croissante entre usages agricoles, industriels et urbains exigent une réponse coordonnée. C’est dans ce contexte qu’a été organisé le One Water Summit, le 3 décembre 2024 à Riyad, co-présidé par la France et le Kazakhstan, réunissant acteurs politiques et économiques, bailleurs de fonds, et scientifiques.
One Water Summit : une étape clef pour la gouvernance hydrique mondiale.
- Le One Water Summit s'inscrit dans la lignée des One Planet Summits lancés en 2017
- Le président français Emmanuel Macron y a souligné l’importance stratégique de la recherche scientifique, plaçant l’accès à des données fiables et régulières parmi les priorités françaises.
Cette vision trouve un écho dans l’annonce de l’initiative One Water Vision, un programme international de coopération scientifique qui regroupera 26 institutions de différents pays.
One Water Vision : un consortium de recherche né du One Water Summit
- « L’initiative One Water Vision réunit un consortium international de recherche avec l’Organisation météorologique mondiale (OMM), ainsi que le Réseau international des organismes de bassin (RIOB), grâce à un accord signé lors du One Water Summit » souligne Jean-François Soussana, vice-président International d’INRAE lors du lancement de l’initiative, et président du Haut Conseil pour le climat.
- L’IRC, dont le secrétariat sera assuré en France par INRAE, est né « de la mobilisation des institutions françaises (BRGM, CIRAD, CNES, CNRS, INRAE, IRD), en étroite collaboration avec le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et réunit une vingtaine d’institutions scientifiques internationales tels que des agences spatiales, organismes de recherche nationaux et universités », précise-t-il.
- One Water Vision vise à développer des outils innovants pour surveiller et gérer les ressources en eau, renforcer les systèmes d’alerte face aux sécheresses et inondations, et fournir des données fiables aux décideurs et utilisateurs locaux. « Dans un contexte de changement climatique et de raréfaction de l'eau disponible pour l'agriculture dans de nombreuses régions du monde, One Water Vision apportera des solutions permettant de contribuer à la sécurité alimentaire mondiale, et à la préservation des ressources en eau », appuie Jean-François Soussana.
One Water Vision se distingue d’autres programmes internationaux sur l’eau par l’accent mis sur l’observation de la Terre et sur les nouvelles missions spatiales, telles que SWOT et TRISHNA. Le programme intègrera également des services déjà existants pour fournir aux utilisateurs — agences de bassin, pays et agriculteurs — des outils pratiques et opérationnels.
Les technologies satellitaires au service du cycle de l’eau
La couverture exhaustive et la qualité des données sont des enjeux-clés pour comprendre et anticiper les dynamiques spatiales et temporelles de la ressource en eau. Dans ce cadre, les missions SWOT (Surface Water and Ocean Topography) et TRISHNA (Thermal infraRed Imaging Satellite for High-resolution Natural resource Assessment) jouent un rôle central. Ces satellites de nouvelle génération, issus de collaborations internationales, apportent une précision inédite dans l’analyse des cycles de l’eau, y compris dans des régions isolées ou peu instrumentées.
Deux satellites, deux fonctions
- SWOT permet d’analyser les eaux de surface en mesurant précisément les niveaux et variations des stocks hydriques, dans les lacs et réservoirs, ainsi que d’estimer les débits des rivières.
- TRISHNA offrira quant à lui des informations détaillées sur la consommation en eau des plantes et des sols, l’impact des sécheresses sur les cultures et les écosystèmes, ainsi que la répartition des ressources hydriques à l’échelle locale et régionale, grâce à l’observation de l’évapotranspiration des végétaux.
SWOT : une révolution pour l’hydrologie continentale
Jusqu’à présent, les satellites altimétriques étaient majoritairement dédiés à l’océanographie, offrant une précision insuffisante pour cartographier les cours d’eau ou les petits lacs. Lancé en 2022, SWOT est le premier satellite conçu principalement pour l’hydrologie continentale. « C’est une mission révolutionnaire, à la fois par sa nature et par ses capacités techniques » souligne Pierre-Olivier Malaterre, chercheur INRAE et spécialiste en hydraulique. SWOT fournit en effet une couverture 2D complète des hauteurs d’eau à l’échelle mondiale avec une précision sans égale.
« Les données télétranmises par SWOT sont d’une qualité remarquable et dépassent nos meilleures prévisions. Elles permettront aux scientifiques de nourrir leurs recherches pendant 10 à 20 ans », se félicite le chercheur. En orbite à 891 km d’altitude, le satellite utilise des ondes radar, traversant les nuages et surpassant les techniques optiques. Il cartographie plus de 6 millions de lacs et réservoirs à chaque passage, avec une précision d’environ 10 cm sur les hauteurs d’eau.
Ces données ouvrent de nouvelles perspectives pour :
- accompagner les usages anthropiques : irrigation, eau potable, réservoirs industriels, production hydroélectrique, navigation ;
- protéger les zones humides et écosystèmes sensibles ;
- analyser l’évolution du cycle hydrologique face aux sécheresses et crues.
Bien qu’il ne soit pas exclusivement dédié à l’océanographie, le satellite SWOT représente une avancée majeure dans ce domaine. « Nous sommes capables de mesurer la hauteur des océans avec une précision au centimètre près », note Pierre-Olivier Malaterre. Ces données sont déjà intégrées dans des applications variées, notamment dans le calcul des courants marins, la prévision de la hauteur des vagues et leur intégration dans des modèles de prévisions météorologiques avancés, contribuant ainsi à une meilleure compréhension et anticipation des dynamiques océaniques.
Une collaboration au meilleur niveau international
Résultat d’une coopération franco-américaine entre le CNES et la NASA, le développement de SWOT s’appuie sur une forte collaboration entre partenaires scientifiques. INRAE, grâce à son expertise en hydrologie et en hydraulique, participe à ce projet :
- Une expertise reconnue : INRAE collabore avec le CNES depuis une dizaine d’années sur ce projet, grâce aux connaissances en hydrologie et en hydraulique de ses chercheurs. INRAE assure désormais un rôle clé dans l’équipe scientifique de la mission SWOT : la chercheuse INRAE Hind Oubanas, devient responsable du pilotage de la partie hydraulique de la mission, après avoir passé 2 ans comme détachée auprès de la NASA.
- Calcul des débits fluviaux : SWOT mesure la présence d’eau, les hauteurs, largeurs et pentes de l’eau, mais ne fournit pas directement les débits correspondants dans les rivières observées. Pierre-Olivier Malaterre pilote avec ses homologues américains un des aspects de la mission : calculer le débit des fleuves, à partir des données observées par le satellite. Les scientifiques ont élaboré des algorithmes pour permettre le calcul des débits en fonction des données transmises par le satellite. 6 algorithmes ont été validés par l’équipe scientifique pour calculer ces débits, dont 2 mis au point par les Français.
Un exemple concret : le bassin du Congo

Le bassin du Congo, le deuxième plus grand bassin fluvial du monde, illustre bien le potentiel de SWOT pour améliorer la gestion des ressources en eau dans les régions transfrontalières. Avec seulement 2 ou 3 stations de mesure in situ pour un bassin couvrant 9 pays, les données sur les niveaux d’eau et les débits sont extrêmement limitées. SWOT comble cette lacune en fournissant une cartographie régulière des hauteurs d’eau des fleuves et des lacs, accessible librement à tous les pays concernés. Ces informations permettent de mieux anticiper les risques de crues ou de sécheresses et de favoriser une gestion collaborative entre les États riverains.
Un autre atout majeur des missions satellitaires réside dans la libre accessibilité et la gratuité des données. Cette ouverture peut faciliter la coopération transfrontalière et l’intégration des informations; avec à la clé une aide précieuse pour la gestion des ressources et la prévention des risques.
TRISHNA : observer les dynamiques thermiques et hydriques des écosystèmes
Développé conjointement par le CNES (France) et l’ISRO (Inde), TRISHNA sera lancé en 2026. Doté d’un capteur infrarouge thermique de haute précision, développé par les équipes françaises, TRISHNA enregistre la température de surface à une résolution spatiale de 60 mètres, avec une revisite de 2 à 3 jours.
La température mesurée est un indicateur clé pour cartographier l’évapotranspiration des couverts végétaux sur toute la surface du globe. L’évapotranspiration assure un rôle majeur dans le cycle hydrique. Il s’agit de l’eau qui retourne directement vers l’atmosphère, sans alimenter les nappes phréatiques ni les cours d’eau.
- Plus l’évapotranspiration est élevée, plus la surface terrestre se refroidit, car l’eau qui s’évapore dissipe de la chaleur.
- En cas de stress hydrique, les plantes réduisent leur transpiration, ce qui fait augmenter la température de surface.
« L’information sur l’évapotranspiration que nous allons rendre disponible est une véritable plus-value pour la gestion hydrique. Elle n’existait pas auparavant », souligne le chercheur INRAE Albert Olioso, spécialiste de la télédétection et des ressources en eau, qui a élaboré des modèles mathématiques pour calculer le lien entre la température mesurée par TRISHNA et l’évapotranspiration.
Les satellites actuels ne permettent en effet pas encore un suivi précis et régulier de l’évapotranspiration. TRISHNA, grâce à sa fréquence de passage élevée et sa haute résolution, viendra combler cette lacune. « Pour les usages agronomiques, disposer de ces données sur l’évapotranspiration offrira la possibilité de mieux anticiper et optimiser la gestion de l’irrigation », explique Albert Olioso.
Plusieurs projets satellitaires ont tenté d’intégrer ces dimensions, mais sans succès. En 2008, le CNES a relancé cette ambition en s’appuyant sur les expertises conjuguées d'INRAE et de l’IRD. Pendant plusieurs années, Jean-Pierre Lagouarde (INRAE) a joué un rôle déterminant dans un groupe de travail mis en place par le CNES. Aujourd’hui, Albert Olioso participe quant à lui au groupe international de conseil de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) dédié au développement de la mission satellitaire LSTM (Land Surface Temperature Monitoring), veillant à sa complémentarité avec TRISHNA et d’autres missions satellitaires, telles que SBG, fruit d’une collaboration entre les États-Unis et l’Italie.
Une mission aux applications multiples
Au-delà de l’évapotranspiration, TRISHNA fournira des données essentielles pour d’autres enjeux environnementaux :
- suivi des eaux continentales et côtières : analyse des températures et des variations hydriques des lacs, rivières et littoraux ;
- surveillance des écosystèmes terrestres : détection des stress hydriques dans les forêts et zones naturelles ;
- étude des zones urbaines : observation des îlots de chaleur pour comprendre les impacts des aménagements urbains ;
- observation de la cryosphère : suivi des zones enneigées et glaciaires pour évaluer les évolutions des masses de neige et de glace.
Un appui stratégique pour la gestion de l’eau et des risques
Les données produites par TRISHNA permettront ainsi :
- d’optimiser l’irrigation agricole : ajuster précisément les besoins en eau selon les besoins des cultures ;
- d’anticiper les risques environnementaux : surveiller les signes précurseurs de sécheresses ou d’incendies, souvent liés à une évapotranspiration réduite ;
- de modéliser les impacts climatiques : intégrer des données thermiques et hydriques pour affiner les prévisions météorologiques et climatiques ;
- d’étudier les dynamiques des eaux : améliorer la gestion des ressources dans les lacs, rivières et zones littorales.
Les missions SWOT et TRISHNA représentent une avancée sans précédent dans l’observation et la gestion des dynamiques hydriques mondiales. Avec l’initiative One Water Vision, l’analyse de ces données permettra de transformer les observations en actions concrètes pour répondre à des enjeux stratégiques :
- Renforcer la coopération transfrontalière en fournissant des données certifiées, accessibles à toutes les parties prenantes, pour une gestion équitable des ressources partagées dans les bassins internationaux.
- Développer des systèmes d’alerte précoce capables d’identifier avec précision les signaux de sécheresses, de crues ou de stress hydrique, en temps quasi réel, grâce à des outils basés sur la télédétection et l’intelligence artificielle.
- Adapter les pratiques locales aux besoins globaux, en impliquant les agriculteurs et gestionnaires des terres dans la co-conception de solutions adaptées, telles que l’optimisation de l’irrigation et la gestion des cultures dans les régions sujettes aux sécheresses.