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OneWater : l’eau comme un bien commun

« L’eau est essentielle et doit être considérée dès lors comme un bien commun. » Lancé le 16 mars avec un budget de 53 millions d'euros, le PEPR exploratoire OneWater-Eau Bien Commun souhaite emmener l’eau vers un nouveau paradigme.

Publié le 15 mars 2022

illustration OneWater : l’eau comme un bien commun
© INRAE, Gilles Cattiau

Reconnaître l’eau « pour elle-même » et non plus comme étant « au service de ».

« L’objectif de ce programme est de reconnaître l’eau ‘pour elle-même’ et non plus comme étant ‘au service de’ », souligne Agathe Euzen, directrice du nouveau Programme et Équipement Prioritaire de Recherche (PEPR) exploratoire OneWater-Eau Bien Commun, responsable de la Cellule Eau du CNRS et directrice adjointe de l’Institut Écologie et Environnement de l’organisme (INEE). Copiloté par le CNRS, Thibault Datry pour INRAE et Dominique Darmendrail pour le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), ce PEPR exploratoire [1] intervient dans un contexte de changement global où les pressions physiques et anthropiques sont exacerbées et où l’eau douce continentale constitue l’un des défis majeurs du XXIe siècle.

Lancé officiellement le 16 mars notamment en présence d’Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, Claire Giry, directrice générale de la Recherche et de l’Innovation au ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Michèle Rousseau, présidente-directrice générale du BRGM, Philippe Mauguin, président-directeur général d'INRAE, OneWater-Eau Bien Commun est doté d’un budget de 53 millions d’euros et porte sur 6 défis scientifiques (voir encadré). « Et son nom n’est pas anodin », ponctue Agathe Euzen. « L’eau est un bien commun de par la diversité de ses états, ses fonctions, ses interactions avec les différents compartiments et les services essentiels qu’elle rend aux écosystèmes et aux humains. L’eau douce est vitale et doit être vue dès lors comme un bien commun à partager, et non comme un produit qui pourrait être soumis à la loi du marché. » Elle doit être appréhendée dans toutes ses dimensions, à toutes les échelles, de la molécule à l’atmosphère en passant par les bassins versants, les réseaux et les nappes, le continuum terre-mer..., à travers différentes approches et disciplines pour être pleinement considérée dans toute sa complexité. L’eau doit ainsi être considérée comme une et non plus de façon segmentée.

Conserver cette ressource tout en prenant en compte sa répartition inégale sur le territoire.

Ce PEPR exploratoire favorise une approche globale qui est de plus en plus partagée par l’ensemble des acteurs concernés par l’eau. Ceux-ci sont conscients de la nécessité de reconsidérer les valeurs culturelles, socioéconomiques, environnementales de l’eau – qu’elle soit pluviale, résidentielle, industrielle, agricole, usée, potable ou qu’elle coule dans les rivières ou alimente les nappes souterraines – et les différentes formes de gestion des ressources et leurs limites, afin de répondre aux besoins des sociétés humaines et des écosystèmes. La notion de ressources limitées est clé pour comprendre les enjeux de l’eau alors qu’elle fait face aux changements climatiques et à la dégradation des écosystèmes, mais également à l’impact des activités humaines sur les territoires. « La biodiversité des écosystèmes aquatiques est particulièrement vulnérables au changement global par exemple », note Thibault Datry, directeur de recherche au département AQUA d’INRAE, responsable de l’équipe EcoFlowS de l’unité Riverly – Fonctionnement des hydrosystèmes et copilote du PEPR exploratoire, expliquant que des changements de repères pourraient avoir une conséquence sur la disponibilité et la température de l’eau qui, à son tour, affecteraient les écosystèmes. Car l’eau est dynamique. Elle bouge. « Il nous faut impliquer la plus grande diversité de disciplines scientifiques pour parvenir à un appui à la gestion de l’eau afin de conserver cette ressource tout en prenant en compte sa répartition inégale sur le territoire. C’est une ambition majeure du PEPR. »

Le cycle de l’eau

Le cycle de l’eau est donc bien plus complexe qu’on ne le pense.

Car la gestion de l’eau en France sera clé pour l’avenir alors que les prédictions climatiques annoncent des grandes disparités de sa distribution sur le territoire. « Le cycle de l’eau est encore mal connu, même si nous savons depuis longtemps qu’elle passe de nombreuses fois de la surface de la Terre jusqu’à la mer pour s’évaporer et retomber sur Terre ou qu’elle s’infiltre vers les eaux souterraines. Celles-ci peuvent alimenter les eaux de surface, notamment en été. Le tout avec des transferts en eau aux temporalités différentes », explique Dominique Darmendrail, directrice du programme Water and Global Changes au BRGM et copilote du PEPR. « Le cycle de l’eau est donc bien plus complexe qu’on ne le pense. D’autant qu’il est modifié par la façon dont on l’utilise », ajoute Thibault Datry, précisant que le PEPR a également pour ambition de développer des connaissances fondamentales au cœur du programme.

Répartition des ressources en eaux, fonctionnement du cycle de l’eau, gestion de l’eau, grands cycles biogéochimiques, état et suivi de la biodiversité aquatique, beaucoup de réponses sont encore à trouver et c’est là que la recherche peut intervenir au travers du PEPR exploratoire qui se concentre sur le territoire national français. Car les recherches du programme se poseront en appui pour la transition de la gestion de l’eau en France alors qu’il reste beaucoup de connaissances à acquérir sur le fonctionnement des écosystèmes et leurs temps de réponse, ce qui nécessite des suivis à long terme sur l’évolution de la disponibilité des ressources en eaux. « Nous avons également des connaissances à acquérir à propos de la qualité de l’eau en développant des recherches pointues. Cela nous permettra par exemple de pouvoir anticiper l’évolution des stocks d’eau disponibles, de suivre la qualité de l’eau pour en limiter les risques de pollutions tout en tenant compte des représentations que chacun a de cette ressource précieuse. Voilà des exemples de problématiques qui seront traitées par le PEPR exploratoire et qui se retrouvent au cœur des 6 défis », précise Agathe Euzen. « Il nous faut également ‘décompartimenter’ les approches et associer des problématiques – qu’elles concernent le débit, la toxicologie, la saisonnalité, les usages – qui n’ont pas l’habitude de dialoguer. Ainsi, il nous faut retracer les cycles comme le long du continuum terre-eau douce-mer, c’est-à-dire l’ensemble du cycle de l’eau pour étudier les impacts ou analyser l’efficacité des solutions apportées », ajoute Dominique Darmendrail.

Vers un nouveau paradigme de l’eau 

Un usage plus sobre et raisonné de la ressource.

Si depuis les années 60, la gestion de l’eau en France s’organise par grands bassins versants, il s’agit de la faire évoluer face aux pressions dues au changement climatique, au développement de la demande et la pression sur la qualité de l’eau avec la concentration de la population dans les zones urbaines, ou à l’aménagement du territoire qui modifie notamment les circuits naturels de l’eau. Toutes ces données et leurs impacts directs impliquent un usage plus sobre et raisonné de la ressource et cela nécessite de changer de paradigme pour préserver l’eau de manière durable et au bénéfice de tous. Une notion qui sera largement portée par le PEPR exploratoire OneWater. L’eau est aussi une « molécule clé » pour la santé publique, la transition énergétique ou digitale, tout comme la sécurité alimentaire. Tous ces impacts ne sont pas encore appréhendés. « Le PEPR souhaite aussi soulever les contradictions qui existent aujourd’hui entre différents usages et apporter des connaissances pour mieux évaluer, sur le long terme, la diversité des enjeux, des impacts et des bénéfices écologique et énergétiques par exemple, mais aussi socio-culturels, socio-économiques… », détaille Agathe Euzen.

Favoriser les interactions entre acteurs socio-économiques et scientifiques afin d’accompagner les transitions.

OneWater vise aussi à renforcer le leadership de la France au niveau économique alors qu’aujourd’hui la filière Eau représente 500 entreprises, 125 000 emplois directs et 22 milliards d'euros de chiffre d’affaires. « Et cela ne représente que les emplois directs. Imaginez les chiffres si on comptait les secteurs étroitement dépendants des ressources en eau comme l’agroalimentaire ou encore l’énergie », note Dominique Darmendrail. En Europe, les emplois en lien avec l’environnement représentent le deuxième poste d’emplois en développement. « En mettant en évidence de nouveaux enjeux, nous allons aussi développer de nouvelles compétences en matière de gestion de l’eau avec par exemple le développement de l’IA et celui de nouveaux capteurs. Une de nos ambitions est d’accompagner le monde socio-économique dans l’identification des connaissances à acquérir et à intégrer dans les formations pour répondre aux enjeux qui seront exacerbés demain », observe Agathe Euzen. Et cela implique de favoriser et connecter les étudiants qui travaillent sur ces thématiques – d’être en capacité de former des chercheurs, des ingénieurs et des gestionnaires pour créer une communauté « eau » qui tiendra compte de la complexité et de la globalité des enjeux. « Cette communauté scientifique doit être en lien avec les usagers afin que l’on trouve des solutions ensemble. C’est pourquoi nous avons souhaité créer et intégrer un think tank OneWater pour favoriser les interactions entre acteurs socioéconomiques et scientifiques afin d’accompagner les transitions », pointe Dominique Darmendrail.

Une eau, une communauté

« Il existe déjà une communauté composée d’une grande diversité de personnes, de compétences, d’infrastructures qui ont compris qu’il fallait travailler ensemble et se réunir autour d’enjeux communs. Le PEPR OneWater est le fruit de cette maturité qui s’appuie aussi sur les travaux réalisés dans les zones ateliers, l’observatoire OZCAR, des sites expérimentaux et des infrastructures comme les écotrons2 et bien plus encore. L’ensemble de ces dispositifs vont être la base de test et d’expérimentations et l’objectif est de produire de nouvelles connaissances en s’appuyant sur ce terreau », précise Agathe Euzen. Pour mettre en œuvre son action, le PEPR s’appuiera sur une panoplie d’outils tels que des appels à projets, des projets ciblés, des rencontres et des échanges autour des défis portés par OneWater en lien avec les chercheurs, les étudiants, les acteurs socioéconomiques et les territoires. L’ensemble des actions viendront en appui aux équipements et dispositifs existants et contribueront à la création d’une plateforme virtuelle OneWater pour répondre aux nouveaux enjeux, et à des actions d’éducation par la recherche avec la formation d’une génération d’étudiants OneWater, et des actions aux échelles nationale, européenne et internationale. « Tous ces outils sont liés et s’alimenteront les uns les autres », pointe Thibault Datry.

La journée du 16 mars dévoilera le lancement du premier appel à projets du PEPR exploratoire OneWater qui se déclinera sous la forme d’un appel à manifestation d’intérêt pour répondre aux 6 défis du programme. « Quant aux projets ciblés, ils sont en cours de finalisation pour une mise en œuvre cette année. Le conseil scientifique international sera prochainement mobilisé tout comme le think tank… Nous mettons tout en œuvre pour que toute une communauté se mobilise autour de OneWater pour apporter des réponses aux enjeux liés à une eau qui doit être envisagée comme un bien commun. Tel est l’un de nos messages au Forum mondial de l’eau qui se tiendra la semaine prochaine à Dakar », conclut Agathe Euzen.

LES SIX DEFIS SCIENTIFIQUES DU PEPR EXPLORATOIRE ONEWATER

Défi 1 - Anticiper l’évolution de la ressource en eau pour permettre l’adaptation des territoires à leurs singularités.
Défi 2 - Développer une « empreinte eau » des processus environnementaux et des activités humaines, en considérant non seulement les transferts d’eau mais aussi sa qualité.
Défi 3 - Utiliser l’eau comme sentinelle de la santé de l’environnement et des sociétés humaines le long du continuum terre-mer.
Défi 4 - Proposer des solutions pour promouvoir l’adaptabilité et la résilience des sociohydrosystèmes face aux changements globaux, et favoriser des approches et des usages plus raisonnés et intégrés.

Défi 5 transverse - Accompagner la transition socioécologique vers une nouvelle gouvernance des ressources, pour une société durable et résiliente.
Défi 6 transverse - Partager, rendre accessible et compréhensible par tous  les données sur l’eau pour la connaissance et l’action.

1. Les PEPR ont vocation à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques considérés comme prioritaires aux niveaux national ou européen et liés à une transformation de grande ampleur. Les PEPR exploratoires visent des secteurs en émergence avec des travaux de recherche dont les domaines d'application peuvent relever encore d'hypothèses de travail. Il s'agit d'explorer des champs scientifiques dont les retombées espérées peuvent être multiples.

2. Le principe d’un écotron est d’étudier des organismes et/ou des écosystèmes placés dans des enceintes totalement ou partiellement étanches afin de permettre une régulation précise de leur environnement en même temps qu’un suivi en continu des échanges de matière et d'énergie entre les compartiments de l'écosystème et entre organismes.

 

Contacts

Agathe EuzenCNRS, co-pilote du PEPR OneWater

Thibault DatryINRAE, co-pilote du PEPR OneWater

Dominique DarmendrailBRGM, co-pilote du PEPR OneWater

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