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Esther Dzalé, ouvrir les sciences pour un monde meilleur
Spécialiste de la gestion des données scientifiques, Esther Dzalé met ses compétences en informatique au service du partage de la science. Responsable du pôle Numérique pour la science à la Direction pour la science ouverte d’INRAE, son parcours et son investissement sont aujourd’hui récompensés par le Laurier 2021 Appui à la recherche.
Publié le 29 novembre 2021
Rendre accessibles et réutilisables les résultats de la recherche, c’est faire avancer la science, plus vite, plus loin, pour tous
Petite, elle rêvait de sauver le monde. Aujourd’hui, elle est fière d’appartenir à un collectif dont le travail contribue incontestablement à un monde meilleur. Pour elle, rendre accessibles et réutilisables les résultats de la recherche, c’est faire avancer la science, plus vite, plus loin, pour tous : « Travailler pour les sciences ouvertes, c’est faire en sorte que les connaissances scientifiques soient disponibles et accessibles au-delà des frontières linguistiques, organisationnelles et disciplinaires, c’est quelque chose de très fort et qui me plait. » Elle, c’est Esther Dzalé, calme et ambitieuse, à l’écoute et curieuse, passionnée par son travail et en totale adéquation avec les valeurs qu’il porte.
Citoyenne du monde
Esther est née au Burkina Faso, dans une famille modeste. L’opportunité d’une bourse d’étude la mène au Gabon dans l’école interafricaine d’informatique. Elle y rencontre son mari… camerounais ! Si elle ne se prédestinait pas à travailler dans l’informatique, ce domaine lui convient très bien : « Cela fait appel à la logique mais aussi à la créativité car on conçoit des choses qui n’existent pas encore. Et c’est aussi une façon de rendre service aux gens en répondant à leurs besoins. » Elle part ensuite en France faire un stage au CNRS où elle découvre l’univers bouillonnant de la recherche, avec le sentiment très agréable d’être en permanence stimulée intellectuellement. L’idée de faire une thèse et de poursuivre dans la recherche lui traverse l’esprit, mais son besoin d’opérationnel et de concret l’oriente vers l’Irisa où elle contribue aux premiers pas de la plateforme bio-informatique de Biogenouest. En 2005, elle réussit un concours d’ingénieure à l’Inra et posera définitivement ses valises en France avec toujours l’âme d’une citoyenne du monde : « Grâce à mon travail, je collabore avec des gens partout le monde, jusqu’en Nouvelle-Zélande ! »
Un travail d’endurance
J’aime finir ce que j’ai commencé, voir le résultat des projets que je conçois.
En 2014, Esther se lance un défi. Faire la marche « Pаrіs - Mаntеs-la-Jolie ». 54 km à pied… de nuit ! Preuve de sa persévérance et de sa motivation dans tout ce qu’elle entreprend, il est aisé de faire le parallèle entre cette marche de longue haleine et son engagement sans faille dans ses projets professionnels : « Au début, on est dans une phase d’enthousiasme et d’euphorie, c’est nouveau, tout le monde est motivé. Puis on rencontre rapidement des problèmes. Il y a ceux qui abandonnent mais moi j’aime finir ce que j’ai commencé, voir le résultat des projets que je conçois. Les derniers kilomètres, on les finit au mental, on a les jambes lourdes, mal aux pieds, mais une fois arrivée, quelle fierté ! » Des projets de longue haleine, Esther en a menés plusieurs à INRAE. Le premier, c’était l’appui à la création d’une archive ouverte, ProdInra, sur laquelle on retrouve l’ensemble des publications (articles, rapports, communications) des scientifiques de l’Institut : « Quand je suis arrivée à l’Inra, c’était le début du mouvement de l’Open Access, avec la création de ProdInra, nous étions précurseurs. » Elle développe ensuite l’application d’aide à l’analyse bibliométrique, Noria, qui permet d’analyser la notoriété des revues scientifiques et ainsi d’aider les scientifiques dans leur stratégie de publication. A partir de 2011, elle se prend de passion pour le web sémantique sur lequel elle a mené plusieurs projets exploratoires. L’idée ? Tisser des liens entre des connaissances issues de différents domaines de compétences ou disciplines et ainsi favoriser leur réutilisation par d’autres. Il s’agit de produire des descriptions contextualisées et le moins ambiguës possible des connaissances, avec un vocabulaire partagé à défaut d’être standard, pour permettre de faire le lien entre elles et ainsi les enrichir mutuellement.
Partager les données, faire avancer la science
Un domaine central dans la carrière d’Esther : la gestion des données de la recherche. Ce qui la motive, c’est leur partage. Cela va au-delà du simple intérêt, c’est une conviction : « Rendre accessible, de manière ouverte, les données et les publications des chercheurs et des chercheuses peut faciliter et accélérer la résolution des crises. Le travail rapide des scientifiques autour de la crise de la Covid a été permis grâce à ce partage. » Elle s’investit dès 2013 dans une réflexion interne sur la gestion et le partage des données. Faut-il partager les données de la recherche ? Quand ? Comment ? A quelles conditions ? Comment augmenter leur potentiel de (bonne) réutilisation par d’autres ? Cette réflexion a conduit à réaliser un site web d’échanges de bonnes pratiques, Data Partage, ainsi qu’au portail Data INRAE avec un double objectif : offrir, en complément des entrepôts thématiques de référence, un lieu de dépôt et de partage des données scientifiques de l’établissement et proposer un catalogue pour les données de l’Institut. A travers Data INRAE, Esther et ses équipes ont mis à disposition un outil qui contribue à rendre les données partagées plus faciles d’accès, interopérables et réutilisables. Esther participe également aux réflexions à l’international au sein de la Research data alliance, une initiative réunissant plus de 7 100 membres, scientifiques, professionnels des données de la recherche, de 137 pays, pour mettre en œuvre des infrastructures communes de partage de données. Véritable leader dans ce domaine, Esther fait bouger les lignes. Les lignes opérationnelles, en pilotant par exemple la mise en œuvre des DOI (numéro d’identification d’une ressource) au sein de l’Institut et en généralisant leur usage pour identifier les jeux de données, ce qui permet de les rendre citables au même titre que les autres productions scientifiques (article, ouvrage…). Et les lignes stratégiques, en nourrissant la politique de gestion des données de l’Institut. Reconnue comme experte dans le partage des données scientifiques, Esther et ses équipes se voient confier la gestion du projet national et ambitieux de développer un entrepôt de données scientifiques à l’échelle de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Sortie prévue au printemps 2022 !
L’échange comme carburant
En 2017, Esther devient directrice de l’unité Délégation à l’information scientifique et technique (DIST) de l’Inra, puis avec la fusion de l’Inra et d’Irstea en 2020, prend la responsabilité du pôle Numérique pour la science d’INRAE, qui compte 23 permanents. Passionnée par les sujets sur lesquels elle travaille, elle nourrit et se nourrit des échanges avec les autres. : « Avoir un seul point de vue sur un sujet, c’est problématique. Plus on est impliqué dans la stratégie, plus c’est important de croiser les points de vue. » Et c’est ce qu’elle fait ! Elle est en constante interaction avec ses collègues de l’information scientifique et technique, les scientifiques ou les acteurs stratégiques des sciences ouvertes. « C’est un enrichissement personnel constant… et pas seulement pour le travail. »
Pour elle : « INRAE c’est plus qu’un travail, c’est aussi une famille et ça offre beaucoup d’opportunités de changer d’activité, de se former, j’ai l’impression d’avoir eu plusieurs carrières en restant toujours au même endroit ! »
Et après ?
Esther continue de s’investir dans de nombreux projets, tels que EOSC-Pillar, un projet européen au sein duquel elle est responsable d’une étude de cas dont l’objectif est d’expérimenter l’intégration des ressources (données, infrastructures) de l’Institut dans le Cloud européen dédié à la science ouverte. A INRAE, elle contribue avec ses équipes et la Direction des systèmes d’information à la construction d’un nouveau service à la demande. Il s’agit d’offrir des ressources d’infrastructures mutualisés (réseaux, puissance de calcul, espaces de stockage) pour augmenter la flexibilité, l’efficacité et la valeur stratégique des équipes de recherche.
Enfin, elle apporte son appui à la création d’un réseau de référents sur les données à l’échelle de l’Institut afin de constituer une communauté de pratiques autour des données : « L’objectif est de monter en compétence sur ces sujets et de disposer de lieux et d’outils communs qui facilitent le support des scientifiques en proximité. »

Un laurier, entre reconnaissance et fierté
Elle confie : « Recevoir un laurier, c’est très gratifiant. C’est aussi une reconnaissance institutionnelle à la fois de mes travaux et de tout le travail invisible que nous menons au quotidien avec mes collègues. Sans mon équipe, je ne pourrais pas mener à bien tous ces projets ». Mais assurément, sans la vision stratégique, l’ambition et la persévérance d’Esther, ces projets n’auraient sans doute pas la même portée.
Mini CV
48 ans, mariée et mère de 2 enfants
- Parcours professionnel
2020 : Responsable du pôle Numérique pour la science de la Direction pour la science ouverte (DipSO) d’INRAE
2017 - 2019 : Directrice de l’unité Délégation à l’information scientifique et technique (DIST)
2016-2017 : Executive certificate Big data pour l’entreprise, Centrale Supelec, Paris
2012-2017 : Cheffe de projet / assistance à Maîtrise d’ouvrage et animatrice d’un pôle de compétence sur les données de la recherche, DIST
2005-2011 : Ingénieure en développement et déploiement d’applications, DIST, INRAE
2002-2005 : Ingénieure expert bases de données pour le compte de la plateforme informatique Biogenouest, Irisa - Formation
2002 : Diplôme universitaire (DU) Spécialisation par la recherche, systèmes d’information et de communication, option informatique décisionnelle, Isima, Clermont-Ferrand
2000 : Diplôme d’ingénieure informatique, Institut africain d’informatique (IAI).
1996 : Diplôme d’analyste programmeur, IAI - Loisirs : marche