Agroécologie Temps de lecture 4 min
Dominance-récessivité des gènes, épisode 3 : retour à l’évolution
A partir de l’hypothèse du contrôle de la dominance entre allèles par un système petit ARN-cible, les chercheurs ont démontré la cohérence de ce modèle dans un système pluri-allélique et reconstitué l’histoire évolutive ayant abouti à la mise en place de ce système.
Publié le 17 décembre 2014

Une hiérarchie linéaire dans la dominance
Les chercheurs ont tout d'abord sélectionné six allèles chez une Brassicacée modèle, Arabidopsis halleri. Puis, ils ont effectué des centaines de croisements contrôlés de manière à obtenir un grand nombre de combinaisons de couples d’allèles et déterminer leurs phénotypes, ce qui permet d’identifier l’allèle dominant dans chaque couple. Ces croisements ont montré qu’il existe une hiérarchie linéaire dans les relations de dominance : un allèle est dominant sur tous les autres, un deuxième est dominant sur tous les autres sauf le premier, jusqu'au dernier allèle qui est récessif vis-à-vis de tous les autres.

Puis, par des méthodes de bioinformatique, les auteurs ont cherché des petits ARN et leurs cibles potentielles sur les six allèles sélectionnés. Ils ont montré que dans plus de 90% des relations de dominance observées, il existe un petit ARN produit par l'allèle dominant, qui cible spécifiquement l'allèle récessif. Le système petit ARN-cible fournit donc une explication cohérente à la grande majorité des phénotypes observés. Il est robuste pour expliquer les relations de dominance en situation multiallélique.
Preuve expérimentale
Les chercheurs ont achevé leur démonstration en établissant la preuve expérimentale de l’implication du système petit ARN-cible dans l’établissement de la dominance génétique. Parmi tous les couples petit ARN-cible détectés in silico, ils en ont choisi un en particulier et ont réalisé des transformations génétiques chez Arabidopsis thaliana, qui est une plante autogame, donc dépourvu de système d’auto-incompatibilité. En important dans cette plante les éléments du système d’auto-incompatibilité d’Arabidopsis halleri, les chercheurs ont montré que la présence du petit ARN et de sa cible est nécessaire pour qu'une relation de dominance se mette en place.
Mise en place du système au cours de l’évolution
Enfin, les auteurs ont étendu leur analyse à un plus grand nombre d'allèles. Ils ont prédit in silico les séquences des petits ARN et de leurs cibles et en reconstruisant leur histoire évolutive, ils ont montré que des processus de duplication, délétion et diversification des petits ARNs et de leurs cibles pouvaient expliquer la mise en place d'un tel réseau de dominance. Au final, il est clair que, comme attendu par la théorie, des éléments génétiques se sont accumulés dans différentes lignées alléliques. Certains allèles sont ainsi devenus dominants par l'acquisition de petits ARN, d'autres récessifs par l'acquisition de cibles, comme par une sorte de consentement mutuel : il est en effet aussi « avantageux » d'être récessif que dominant, ce qui importe, c’est d’aboutir à ce qu'un seul allèle soit exprimé chez les hétérozygotes.
Le succès de la convergence disciplinaire
Débats passionnés, modèles mathématiques et prédictions théoriques, mesures génétiques et phénotypiques, validations fonctionnelles et reconstruction historique : tout cela est classique en biologie. Mais il est exceptionnel que toutes ces approches soient combinées simultanément sur un même objet biologique. Apporter une explication complète en biologie le nécessite pourtant, comme l'avait énoncé Dobzhanski en 1973 : "Rien n'a de sens en biologie si ce n'est à la lumière de l'évolution".