Crédits carbone : mieux mesurer les impacts pour plus de crédibilité

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - La crédibilité du système de crédits carbone est régulièrement mise en doute par la communauté scientifique, qui montre notamment des failles méthodologiques dans l’évaluation des scénarios de référence. Une équipe internationale de recherche coordonnée par INRAE et impliquant la Toulouse School of Economics, l’Université Paris Dauphine PSL et l’Institut Agro, propose notamment d’effectuer une évaluation systématique et rigoureuse des impacts de ces crédits. Une étude publiée dans Nature Sustainability.

Publié le 02 juillet 2025

© Pixabay/Gerd Altmann

Considérés comme un levier d’action contre le dérèglement climatique, les crédits carbone sont utilisés par les entreprises qui souhaitent compenser une partie de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) en investissant dans des projets réduisant les émissions ou les séquestrant. Applicables dans de nombreux secteurs où la transition écologique nécessite des financements importants (forêt, agriculture, transport, bâtiment, déchets, etc.), leur crédibilité est souvent remise en cause par l’évaluation des scénarios de référence incertains de ces projets et de leur impact.

Pour quantifier les crédits carbone qu’un projet peut générer, les certificateurs se basent sur une situation de référence, c’est-à-dire celle qui aurait existé sans le projet. Dans le cas de la réduction de la déforestation, il s’agit de montrer que le projet permet effectivement de la limiter, et que, sans ce projet, la déforestation aurait été nettement plus importante. Pour un projet d’énergie renouvelable, il s’agit de montrer que, sans lui, les besoins en électricité auraient été couverts par des énergies fossiles.

Cependant, les évaluations scientifiques menées après la mise en œuvre des projets documentent fréquemment une surestimation des réductions réelles d’émissions attribuées aux crédits carbone. Le risque ? Un emploi massif de cette stratégie de compensation carbone par les entreprises privées, sans effet réel sur le climat.

Face à ce problème, une équipe internationale de recherche coordonnée par INRAE, impliquant la Toulouse School of Economics, l’Université Paris Dauphine PSL et l’Institut Agro, propose de généraliser l’usage des méthodes validées par la recherche académique, plus fiables, pour estimer les impacts attendus des projets.

Ces méthodes, dites quasi expérimentales, comparent la zone traitée par le projet et une zone témoin, sélectionnée sur des critères de ressemblance. Il s’agit par exemple de comparer à partir des données satellitaires, l'évolution de la déforestation dans les zones traitées avant et après la mise en œuvre d’un projet, à l'évolution de la déforestation dans des zones de contrôle similaires et sur la même période, isolant ainsi l'effet causal de la politique sur la réduction de la déforestation. Cette augmentation de l’exigence méthodologique sur l’évaluation des projets pourrait réduire l’offre de crédits carbone, mais pour un gain qualitatif quant aux résultats, en garantissant une réelle réduction des émissions de GES.

L’un des freins à la généralisation de cette méthode réside dans l’incertitude secondaire induite pour le porteur de projet. En effet, avec une telle méthode, celui-ci ne peut savoir à l’avance combien de crédits lui seront alloués, ce qui constitue un risque. Pour y remédier, les scientifiques proposent l’utilisation de mécanismes assurantiels, avec par exemple le partage des risques tout au long de la chaîne de valeur. Ainsi, les entreprises pourraient contribuer dès le départ au financement des projets, sous forme de contributions climatiques qui n’entreraient pas dans leurs stratégies climatiques mais permettraient de garantir un financement initial aux développeurs de projets. Ensuite, si une évaluation post-projet démontre l’impact réel du projet, un paiement complémentaire pourrait s’opérer, permettant aux entreprises d’intégrer ces crédits dans leur stratégie climatique et leurs allégations environnementales, augmentant ainsi le financement des projets dont l’efficacité est désormais prouvée.

À l’approche de la COP30 qui se déroulera en novembre au Brésil, durant laquelle la régulation des crédits carbone sera discutée, cette contribution souligne qu’il est possible d’élever le niveau d’exigence dans l’utilisation de cet outil. 

Référence

Delacote P., Chabé-Ferret S., Creti Anna. et al. (2025). Restoring credibility in carbon offsets through systematic ex-post evaluation. Nature Sustainability, DOI : https://doi.org/10.1038/s41893-025-01589-7  

CP_credits_carbone_VFpdf - 558.31 KB

Contact scientifique

Philippe Delacote

Unité mixte de recherche Bureau d'économie théorique et appliquée (Université de Strasbourg, CNRS, Université de Lorraine, INRAE, AgroParisTech)

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