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Blé tendre et sécheresse : de nouvelles variétés à venir

Grâce à un programme national conduit sur 10 ans, les bases génétiques de la tolérance à la sécheresse chez le blé tendre cultivé en Europe commencent à être caractérisées. Plus de vingt régions chromosomiques sont impliquées, suivant le type de scénario de stress hydrique. Résultats d'un long travail de sélection, les premières variétés présentant une tolérance pourraient voir le jour d’ici quelques années.

Publié le 27 août 2020

illustration Blé tendre et sécheresse : de nouvelles variétés à venir
© INRAE D. Cormier

Le blé tendre est la céréale la plus cultivée dans le monde et une des principales productions de l’agriculture française. Cependant, on observe en France depuis les années 90 une stagnation des rendements du blé. Le climat en serait responsable pour 30 à 70%, l’autre grande cause étant une baisse de la fourniture d’azote, liée aux économies d’intrants et à la diminution des légumineuses en tant que précédent cultural (1).

Evolution au cours du temps du rendement du blé en France
Evolution au cours du temps du rendement du blé en France (Données FAOStat).

 

En amont de la sélection, la recherche développe des outils et des connaissances pour faciliter l’obtention de variétés de blé tolérantes à différents stress, en particulier au stress hydrique. C’est ainsi que le projet de recherche BreedWheat (2) a permis des avancées significatives dont les sélectionneurs se sont d’ores et déjà saisis.

De nombreuses régions du génome sont impliquées dans la tolérance à la sécheresse

La tolérance à la sécheresse est un caractère complexe, car elle sollicite plusieurs fonctions chez la plante, et donc potentiellement de nombreux gènes : modification de l’enracinement, modification de la surface foliaire, modification de l’ouverture stomatique, etc. L’identification des régions du génome impliquées repose sur le principe de la « génétique d’association », qui consiste à associer statistiquement le degré de tolérance à la sécheresse et des variations au niveau du génome, et ce, pour un grand nombre d’individus.  On est ainsi capable de déterminer un ensemble de « marqueurs » génétiques associés à la tolérance à la sécheresse : ce sont de petites séquences de l’ADN qui sont identiques chez les individus tolérants à la sécheresse (3).

L’identification de ces marqueurs clés est d’un très grand intérêt en amélioration génétique, pour deux applications. Premièrement, ils permettent de conduire les plans de croisements, en suivant la transmission du caractère : si on retrouve les « bons » marqueurs dans un descendant, c’est que le caractère de tolérance a bien été transmis chez ce descendant. Deuxièmement, ils ont une valeur prédictive : leur présence dans le génome permet de prédire la tolérance à la sécheresse d’une lignée ou d’une variété.

Cette méthodologie a été utilisée pour analyser 220 variétés élites (4) de blé tendre d’hiver. Ces variétés ont été évaluées pour leur tolérance à la sécheresse pendant 3 ans en champ dans 12 lieux répartis en France. Elles ont été aussi évaluées dans des plateformes (5) où les conditions de sécheresse sont mieux contrôlées grâce à des abris roulants qui empêchent la pluie d’atteindre les parcelles.

Plateforme Phéno3C
Test de la tolérance à la sécheresse sur la plateforme Phéno3C, INRAE Clermont-Ferrand

 

La caractérisation du génome de ces variétés a été réalisée grâce à des « puces » de génotypage permettant de tester une très grande densité de marqueurs couvrant l’ensemble du génome.

Cette étude a montré que plus de vingt régions chromosomiques du blé interviennent dans la tolérance de la sécheresse, avec des effets graduels et, éventuellement, cumulatifs.

Il y a plusieurs types de sécheresse mettant en jeu des régions chromosomiques différentes

 « Là où les choses se compliquent, explique Jacques Le Gouis, coordinateur du projet BreedWheat, c’est qu’il y a plusieurs types de sécheresses, qui mettent en jeu des régions différentes du génome. » Un travail de doctorat (6) a en effet permis de distinguer principalement trois scénarios de stress hydriques présents en France et activant l’expression de différentes parties du génome :

  • stress continu pendant tout le cycle de la culture
  • stress tardif arrivant plutôt après la floraison
  • stress plus précoce, vers le mois de mars, pouvant être suivi par des pluies

Les régions chromosomiques identifiées concernent la tolérance à un ou plusieurs de ces stress. En sélectionnant certaines de ces régions, il devrait être possible d’obtenir un meilleur comportement pour chacun de ces scenarios de sécheresse.

Ce travail a aussi montré que les variétés récentes sont en moyenne plus performantes en situation de stress hydrique continu que les variétés plus anciennes.  « C’est un résultat intéressant, note Jaques Le Gouis, car il montre que, même sans être ciblée sur la tolérance à la sécheresse, la sélection variétale a amélioré ce caractère en sélectionnant les variétés les plus performantes dans les réseaux d’expérimentation habituels ».

 De manière générale, il faut s’attacher à cumuler, dans les variétés, des résistances à plusieurs types de stress. L’objectif ambitieux d’un nouveau programme européen (7) est d’associer les résistances à deux types de stress : la sécheresse et la carence en azote, d’autant que leurs mécanismes de réponse peuvent être liés : par exemple un système racinaire développé pourrait permettre à la fois une meilleure absorption d’azote et d’eau.

Explorer la diversité génétique mondiale du blé

Parallèlement à l’étude des 220 variétés élites, la méthodologie de la génétique d’association est actuellement appliquée sur 450 lignées, choisies parmi les 12 000 lignées de blés tendres du Centre de ressources biologiques de Clermont-Ferrand, véritable réservoir de la biodiversité mondiale du blé tendre. Ces lignées ont été choisies pour leur performance agronomique, mais aussi de manière à représenter la plus grande diversité au niveau de leur génome. Cette diversité est loin d’avoir été explorée, car la sélection variétale moderne, qui a débuté vers la fin du XIX siècle, a utilisé essentiellement des populations d’Europe. L’analyse de populations originaires d’Inde ou de Chine par exemple pourrait révéler de nouvelles combinaisons de gènes pour faire face au stress hydrique.

Un nouvel outil : la sélection phénomique

La spectrométrie dans le proche Infra-rouge (NIRS) pourrait à l’avenir remplacer pour certaines applications l’analyse des génotypes par les marqueurs moléculaires. Cette technique, qui consiste à « éclairer » l’échantillon de plante avec des longueurs d’onde différentes, génère des spectres aussi caractéristiques et individualisés que le sont les profils de marqueurs moléculaires. On pourra donc associer statistiquement des particularités du spectre NIRS à des caractères de tolérance au stress. Cette méthodologie est appelée « sélection phénomique » (8). Comme pour la sélection génomique (3), on est dans une logique de « boîte noire » : on ne sait pas quel gène ou quelle fonction sont impliqués, l’objectif étant de prédire, et non pas de déterminer, les processus responsables de la tolérance.

Cette technique pourra être utilisée pour cribler des collections de blé, ou pour identifier des variétés intéressantes dans les programmes de sélection. Elle est moins coûteuse que les puces ADN et couramment utilisées par les sélectionneurs pour prédire la concentration en protéines du grain par exemple.

Huit à dix ans entre la recherche et la commercialisation des variétés

« Les résultats de nos recherches sont partagés au fur et à mesure avec les semenciers. Mais, une fois identifié, il faut encore environ huit à dix ans pour introduire un caractère dans une variété », résume Jacques Le Gouis. Surtout si le caractère introduit provient d’une variété d’une autre région du monde peu adaptée à nos conditions. Plusieurs générations de croisements et d’autofécondations sont alors nécessaires pour obtenir les lignées pures requises pour l’inscription au catalogue et la commercialisation. Il faut aussi compter le temps des tests d’inscription, sur deux ans, qui ne comprennent pas aujourd’hui de protocole pour quantifier de manière objective la tolérance à la sécheresse. « Ce critère n’est pas encore inclus dans l’évaluation pré-inscription, au contraire de la résistance aux maladies ou à la carence en azote. Mais c’est une des priorités identifiées au niveau des pouvoirs publics pour faire évoluer la réglementation (9) » conclut Jacques Le Gouis.

Dès le début du programme BreedWheat, et avant les études de génétique d’association, plusieurs croisements entre des variétés élites et des variétés présumées tolérantes à la sécheresse ont généré des descendances qui sont déjà exploités dans les programmes d’amélioration des compagnies semencières. Des retombées en termes de variétés devraient voir bientôt le jour.

Enfin, au niveau de la recherche, INRAE participe à la mise en place d’un programme international pour mieux coordonner les recherches sur cet enjeu mondial que constitue la tolérance à la sécheresse (10).

 

  1. Brisson N et al. 2010. Why are wheat yields stagnating in Europe? A comprehensive data analysis for France. Field Crops Res 119:201-212
  2. Breedwheat (2011-2019) est un projet du PIA (Programme Investissement d’Avenir, ANR-10-BTBR-03), associant la recherche publique (INRAE, Limos, Geves), INRAE Transfert, Arvalis-Institut-du-végétal, le pôle de compétitivité Végépolys valley et 10 industriels.
  3. Voir l’encadré 2. Sur la sélection génomique, lire aussi l’article dans le domaine animal pionnier.
  4. Variété élite : variété inscrite au catalogue et commercialisée en Europe du Nord
  5. Plateforme Phéno3C, INRAE Clermont-Ferrand et plateforme Phenofield, Arvalis-Institut du végétal Ouzouer-le-Marché développées dans le cadre du projet PIA (Programme Investissement d’Avenir, ANR-11-INBS-03) Phenone-Emphasis, associant INRAE, Arvalis-Institut-du-végétal et Terres Inovia.
  6. Doctorat réalisé en collaboration avec Biogemma et Arvalis-Institut-du-végétal
  7. Programme européen SolACE, coordinateur : Philippe Hinsinger, INRAE.
  8. Rincent R et al. 2018. Phenomic selection: a low-cost and high-throughput method based on indirect predictions. Proof of concept on wheat and poplar. G3 8:3961-3972
  9. Nouveau plan SPAD (semences et plants pour une agriculture durable) en discussion au niveau du ministère de l’Agriculture, en concertation avec le CTPS (Comité Technique Permanent de la Sélection).
  10. Projet AHEAD : Alliance for Wheat Adaptation to Heat and Drought. Jean-François Soussana, INRAE, est le représentant français dans le comité stratégique.

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Pascale MollierRédactrice

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