Dossier revue
Changement climatique et risques

Nos forêts mises à l'épreuve

Apparus il y a près de 370 millions d’années, les écosystèmes forestiers ont toujours été confrontés à de nombreuses perturbations naturelles d’origine météorologique ou causées par des organismes vivants. Face à ces aléas, accentués par les activités anthropiques, la résilience des forêts est aujourd’hui mise à l’épreuve. Explications.

Publié le 21 juin 2022

Des arbres et toujours plus d'aléas

Depuis toujours, l’aléa fait partie du cycle de vie des forêts. Dans certains cas, comme l’incendie ou la tempête, l’aléa offre même une opportunité de renouvellement grâce à l’accès à la lumière des individus précédemment dominés par les grands arbres, la germination de graines présentes dans le sol ou encore la fertilisation par les cendres… Avec le changement climatique, la dynamique des perturbations évolue. Trop fréquents, trop intenses, les aléas pourraient bien perturber les capacités naturelles des forêts à s’acclimater et à s’adapter. Une inquiétude née des modélisations des premiers rapports du GIEC parus en 1988 et confortée aujourd’hui par l’observation des acteurs de terrain : propriétaires, gestionnaires et parfois simples citoyens.

Ce sapin pectiné desséché sur les pentes du mont Ventoux illustre la difficulté de certaines espèces à faire face à l’évolution rapide du climat méditerranéen, et des aléas qui en découlent (sécheresses récurrentes, gel après hivers doux, parasitisme, etc.).

Des observations manifestes

Été 2019, Lilian Duband, chargé de mission Changements climatiques, reconstitution et sylviculture à l’ONF, observe avec découragement la forêt de Verdun. « C’est l’hécatombe, en l’espace de 3 ans, la totalité des peuplements d’épicéas, soit un cinquième de la forêt, est morte sur pied après 80 ans de croissance sur des sols ayant pourtant souffert de bombardements. Outre la perte économique, c’est un vrai crève-cœur de voir du bois d’œuvre, qui aurait pu servir à construire des charpentes, tellement dégradé qu’il finit en palette. » Au total, 1 500 hectares à abattre, et de multiples questions pour la suite : que peut-on planter ou favoriser si personne n’est sûr du climat, ni des ennemis à venir ? Loin d’être isolé, le problème est général dans l’hémisphère nord, en Europe (Allemagne, Autriche, Pologne, Slovaquie, Tchéquie), en Russie comme au Canada et aux États-Unis. Aucune région n’est épargnée.

Sécheresses, maladies, dégâts d’insectes…

À qui la faute ? Les responsables de ces mortalités exceptionnelles semblent tout trouvés : des petits coléoptères qui se développent sous les écorces, les scolytes, dont les populations s’orientent périodiquement à la hausse en France… Sauf que si pullulation il y a, elle n’est que la face émergée de l’iceberg. En réalité, c’est à un ensemble de circonstances climatiques cumulées que l’on doit cette situation préoccupante. Lothar et Martin en 1999, Klaus en 2009… À chaque forte tempête qui s’abat sur les forêts européennes, les centaines de milliers d’hectares d’arbres cassés ou tombés offrent aux scolytes des habitats parfaits pour leur reproduction. Une température plus élevée stimule leur reproduction et accroît la durée de leur vie : « 1 degré de plus, c’est une génération de plus, soit 100 fois plus d’insectes », explique Hervé Jactel, entomologiste à l’UMR Biogeco à Bordeaux.

… des aléas qui se combinent et se renforcent

Ces aléas conjugués à la vulnérabilité des espèces affectent fortement la santé des forêts. « Habituellement, rappelle Nathalie Breda, écophysiologiste à l’UMR Silva à Nancy, l’arbre fixe le carbone de l’atmosphère lors de la photosynthèse et l’utilise pour son processus de croissance. ll arrive ainsi à ralentir le développement d’une galerie d’insectes, ou il peut émettre des molécules odorantes par ses feuilles qui repoussent les ravageurs », mais ces mécanismes de défense deviennent impossibles à activer pour les arbres déjà épuisés par trois périodes de sécheresse (2018, 2019 et 2020). « L’arbre, quelle que soit l’espèce, peut réguler ses pertes en eau via la transpiration de ses feuilles et survivre plusieurs semaines sans pluie, poursuit Nathalie Breda, mais cela limite sa photosynthèse et l’oblige donc à puiser dans ses réserves. » Lorsque la situation s’aggrave ou perdure plusieurs années, survient alors la mort de l’arbre jeune ou celle des feuilles et jeunes branches des arbres plus matures. D’autres organismes pathogènes endémiques profitent de cette situation. « Certains champignons comme l’armillaire, qui se nourrit de bois en décomposition, accélèrent l’affaiblissement des arbres, voire provoquent leur mort », explique Claude Husson, expert du département Santé des forêts au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Et c’est sans compter les pathogènes invasifs responsables de maladies contre lesquelles certaines espèces d’arbres autochtones ne savent pas se défendre, comme par exemple Hymenoscyphus fraxineus, champignon pathogène responsable de la chalarose du frêne.

Un risque d’incendie accru par le dépérissement

L’aléa ne doit donc plus être considéré comme unique, ponctuel, mais divers, répété, combiné, multiple.

Cette succession d’aléas stresse fortement les forêts et entraîne leur dépérissement. « On estime qu’en 25 ans, les dépérissements ont été multipliés par 5 dans le monde entier, c’est énorme », insiste Michel Vennetier, ingénieur forestier retraité, dans le cadre des recherches menées à l’UMR Recover, à Aix-en-Provence. Cela accroît le risque pour les zones sujettes aux incendies en raison de la masse accrue de combustible (bois mort…). Des zones à risque qui s’étendent également avec le réchauffement climatique. Comme l’explique Thomas Curt, modélisateur du risque incendie à l’UMR Recover, « l’arrière-pays provençal et les zones de moyenne montagne avoisinantes sont maintenant touchées. Les simulations montrent que l’Europe centrale et l’Europe de l’Est risquent de l’être de plus en plus ». Or, « lorsque la gétation, même vivante, est dans un tel état de dessèchement, le feu se propage de plus en plus vite et il est de plus en plus difficile de l’arrêter », poursuit Michel Vennetier. D’autre part, incendies et sécheresses répétés ne cumulent pas seulement leurs effets, ils les aggravent mutuellement, limitant la résilience des forêts. L’aléa ne doit donc plus être considéré comme unique, ponctuel, mais divers, répété, combiné, multiple.

Le brulage dirigé, encadré par l’État, consiste à détruire la végétation favorisant la propagation des incendies. Des lignes de mise à feu sont tracées, en descendant la pente et contre le vent. Le feu progresse par bandes montantes successives.

Le forestier Lilian Duband conclut : « Il faut faire le deuil de ce que pouvaient faire les forêts auparavant et diversifier les scénarios de gestion face aux futurs climats possibles. » Mélanger les espèces d’arbres, éclaircir ou rajeunir les peuplements, favoriser la diversité génétique, accélérer la migration naturelle, reboiser avec des essences adaptées… Des actions d’aménagement ont été mises au point (lire article suivant) et sont parfois appliquées depuis plusieurs années. Il faut maintenant les mettre en place à l’échelle du massif forestier en tenant compte de la vocation multifonctionnelle de chaque forêt.

Définition : le dépérissement forestier

Chercheurs et forestiers qualifient par ce terme l’affaiblissement progressif ou momentané d’une étendue boisée, pour laquelle ils observent un ensemble de symptômes de dégradation durable des arbres tels que le jaunissement des feuilles, la réduction de la croissance, le dessèchement ou des mortalités massives d’arbres, et qui ne peut être attribué à une seule cause.

La question du renouvellement des forêts

Les forêts se renouvellent spontanément ou par plantation. L’installation de jeunes semis ou plants peut cependant être menacée par la présence en trop grand nombre d’ongulés (cerfs, chevreuils, sangliers). Particulièrement friands des jeunes pousses, feuilles et bourgeons ou de l’écorce, cerfs et chevreuils exercent une forte pression de sélection sur les essences qu’ils apprécient (merisier, chêne, érable, tilleul, douglas…), mettant à mal l’adaptation de ces arbres au changement climatique. En fouillant le sol à la recherche de nourriture, les sangliers déterrent les jeunes semis, compromettant les opérations de plantations de production ou l’installation des espèces.

 En France, les régions du Grand Est, des Hauts-de-France et de Bourgogne-Franche-Comté sont les plus concernées par ces surpopulations. Le retour au bon équilibre « végétation-grande faune » à l’aide d’actions telles que le suivi des populations, l’aménagement forestier, la mise en place de protection ou la chasse, est un prérequis pour la réussite des solutions d’adaptation pour les massifs concernés.

Un cumul d'aléas

Les insectes, ravageurs forestiers

D’une taille de 2 à 7 mm, les scolytes creusent des galeries larvaires sous l’écorce. Ces coléoptères sont naturellement présents dans toutes les forêts du monde. Beaucoup d’espèces sont spécifiques d’une essence.

Les ravageurs forestiers  attaquent les arbres en mangeant feuilles, racines et graines ou en se nourrissant sous l’écorce, perturbant ainsi la capacité des arbres à assimiler des nutriments, à assurer la photosynthèse ou à se reproduire. Ces attaques font partie d’interactions plantes-insectes courantes dans les écosystèmes et généralement tolérées par l’arbre. La mortalité survient après des attaques répétées de populations d’insectes dépassant un seuil d’équilibre, concomitantes à d’autres facteurs de stress comme les sécheresses ou quand ces insectes véhiculent des pathogènes (champignons, nématodes). Or, avec le réchauffement climatique, l’aire de répartition de certains ravageurs augmente et la fréquence et l’intensité des pullulations d’espèces indigènes mais aussi d’espèces exotiques envahissantes s’accroissent. Sur les 20 dernières années, 6 espèces d’insectes ravageurs1 forestiers exotiques ont ainsi été introduites en moyenne par an, le plus souvent en lien avec les échanges commerciaux internationaux.

1.  Roques A et al. 2020. Are invasive patterns of non-active insects related to woody plants differing between Europe and China? Frontiers in Forests and Gobal Change, 91.

Champignon Hymenoscyphus fraxineus responsable de la chalarose du frêne
Hymenoscyphus fraxineus, champignon responsable de la chalarose du frêne.

Les maladies

Causées par des microorganismes pathogènes, en particulier les champignons, les maladies peuvent affecter l’ensemble de l’arbre. Au fil de millénaires de coexistence et grâce au processus de coévolution, un équilibre s’est instauré entre les pathogènes indigènes et leurs hôtes, limitant les impacts des maladies. Mais face à l’affaiblissement de certains arbres, les pathogènes peuvent prendre le dessus et entraîner leur mort. Les agents pathogènes exotiques sont les plus à craindre. Leur introduction, favorisée notamment par le commerce mondial, peut entraîner une mort rapide des arbres qui n’ont pas eu le temps de développer les mécanismes de défense appropriés.

Sur les pentes du mont Ventoux on peut observer aisément ces différents stades de dépérissement provoqué par les bouleversements climatiques (sécheresse, hausse des température, canicule...).

La canicule

La transpiration des feuilles via les stomates (leurs pores)  permet  de les maintenir à quelques degrés en dessous de la température de l’air. En l’absence de ce phénomène, elles s’échauffent. Quand les températures deviennent caniculaires, soit une température supérieure à 30-35 °C le jour et 18-20 °C la nuit, la température des feuilles monte. À partir de 45 °C, parfois moins pour certaines espèces, elles « grillent ». Une température atteinte et dépassée durant l’été 2019 en Occitanie, et ailleurs en Europe.

Les sécheresses édaphiques

Face au déficit prolongé de précipitations, les arbres sont capables de mobiliser par leurs racines l’eau disponible à de grandes profondeurs dans le sol. Lorsque celle-ci s’épuise (on parle alors de sécheresse édaphique), les arbres activent des mécanismes de régulation (fermeture des stomates) qui réduisent leur consommation en eau mais aussi leur photosynthèse et donc leur croissance. La récurrence de cet aléa plus tôt au printemps ou plus tard durant l’arrière-saison impacte la physiologie des arbres et l’état sanitaire des forêts.

 

 

Dégâts et dévastation de la foret landaise, près du domaine de Pierroton, après la tempête Lothar de décembre 1999.

Le vent & la tempête

Les épisodes de tempête en Europe sont trop rares pour qu’une tendance à la hausse ou à la baisse de leur récurrence ou de leur intensité à mesure que les températures se réchauffent soit décelable aujourd’hui. Si les tempêtes sont des chocs aux effets dévastateurs, le vent est lui un élément structurant pour l’arbre car il renforce son ancrage et stimule sa croissance. Jusqu’à un certain point : en prenant de l’âge et de la hauteur, les arbres deviennent plus sensibles à la force des vents et donc plus vulnérables aux tempêtes.

 

 

L’engorgement

L’hiver, les sols se rechargent en eau. Au printemps, après des épisodes de fortes pluies, une nappe d’eau temporaire peut se former sur certains sols. Ceci réduit la disponibilité en oxygène pour les racines : on parle alors d’engorgement temporaire du sol, qui provoque l’anoxie des racines. Selon les espèces, l’intensité et la durée de cet aléa, la physiologie des arbres peut en être affectée. D’après les scénarios du GIEC, certaines régions d’Europe connaîtront un engorgement de leurs sols en raison d’hivers de plus en plus humides ou d’épisodes de pluies intenses, et ce en dépit des épisodes de sécheresses estivales.

La course à l’adaptation

Pour faire face aux changements environnementaux qui ont jalonné l’histoire de la Terre, les espèces forestières ont emprunté deux voies non exclusives : l’adaptation aux nouvelles conditions locales et la migration vers des milieux plus propices.

Un bois fossilisé découvert dans l’étang de Thau (Sète). Le carottage et l’analyse de ce type de « macrorestes fossiles » participent à l’étude des migrations passées des arbres.

Migrer…

Repliés en Espagne, en Italie et dans les Balkans lors du dernier pic glaciaire il y a 18 000 ans, les chênes blancs ont reconquis le nord de l’Europe, tout en se maintenant au sud 1. « S’adapter ou coloniser leur aire de répartition actuelle par dispersion naturelle des graines leur aura pris plusieurs siècles à raison de 400 m par an », précise Antoine Kremer, généticien de l’UMR Biogeco à Pierroton. Ce rappel historique interroge : les arbres peuvent-ils migrer suffisamment vite pour suivre le changement climatique anticipé par les scénarios du GIEC ? Selon les modélisations du scenario « optimiste » (réchauffement de + 2 °C d’ici 2100), le chêne sessile aurait à se déplacer de 200 à 500 km vers l’est pour suivre son climat de prédilection. Or, parmi les rares exemples de migration contemporaine observés 2, l’aire du chêne vert s’est agrandie d’une dizaine de mètres depuis la côte atlantique vers les terres au cours du dernier siècle. « Si l’on considère ces données, les différences de grandeur sont telles que l’on peut dire que les espèces actuelles ne pourront pas suivre par migration naturelle la vitesse du changement du climat », souligne le généticien.

…ou évoluer

Qu’en est-il de la vitesse d’adaptation alors ? Les résultats d’une analyse du génome de chênes sessiles de trois forêts françaises, âgés de 12 à 300 ans et plus, montrent cependant que ceux-ci ont évolué rapidement, s’adaptant aux changements climatiques passés dans un temps relativement court… Par ailleurs, des phénomènes d’hybridation ont pu être observés en France, entre le chêne pédonculé et son cousin sessile, permettant à ce dernier de supporter un climat plus froid. L’enjeu deviendrait alors, pour assurer la pérennité de ces forêts de chênes par exemple, de les aider à s’acclimater avec une sylviculture favorisant la régénération naturelle et les contacts entre espèces tempérées et méditerranéennes.