Dossier revue

Société et territoires

L’agriculture urbaine en France

Ces dernières années, les projets d’agriculture urbaine ont connu un essor dans l’Hexagone, encouragés par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, ce sont les collectivités territoriales qui s’en saisissent et intègrent l’agriculture dans leur politique alimentaire et d’urbanisme.

Publié le 22 juillet 2024

Ferme maraîchère des Petits Champs à Marseille. Elle produit des espèces variées en association brocolis-haricots verts-fraises, labellisée bio et destinée à la vente en circuits courts.

Vous aimeriez connaître le nombre de projets d’agriculture urbaine en France ? Sachez que ce chiffre n’existe pas ! « On recense aujourd’hui 4 000 projets d’agriculture urbaine mais ce n’est pas exhaustif, nous avons lancé en 2023 l’Observatoire de l’agriculture urbaine et des jardins collectifs qui devrait nous permettre d’ici 2 ans de répertorier l’ensemble des projets français », explique Anne-Cécile Daniel, directrice de l’AFAUP (Association française d’agriculture urbaine professionnelle). La tendance ces dernières années était à l’augmentation, due à des programmes phares tels que Les quartiers fertiles, portés par l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) et soutenus par France Relance, qui a permis le financement en 2022 de 98 fermes urbaines et projets de jardins collectifs dans 140 quartiers prioritaires. L’objectif ? Favoriser l’accès pour tous à des produits sains et locaux, créer du lien social et développer l’activité économique. « On constate que le nombre de projets est assez stable mais on manque aujourd’hui de financements et de politiques dédiés à l’agriculture urbaine », précise Anne-Cécile Daniel. Quant aux agriculteurs et agricultrices urbains, « ils ont des profils extrêmement variés ! », explique la directrice de l’AFAUP. Des jeunes en sortie d’écoles de commerce, de communication ou d’agronomie, des personnes en reconversion professionnelle, des travailleurs sociaux et parfois des fils ou filles d’agriculteurs. Leurs points communs ? Des citadins en quête de sens au travail avec une forte volonté d’agir pour la transition agricole et alimentaire. « On constate beaucoup de dynamisme et d’enthousiasme chez les porteurs de projets que l’on accompagne. »

Comment les villes font place à l’agriculture urbaine ?

« L’agriculture urbaine est perçue par les municipalités comme faisant partie des solutions pour leur approvisionnement alimentaire, en particulier en produits frais et locaux, mais c’est loin d’être la seule solution », explique Isabelle Duvernoy, chercheuse à l’unité Agir. Si la relocalisation de l’alimentation est une préoccupation grandissante des villes, elle se formalise en France depuis 2014 à travers les projets alimentaires territoriaux (PAT), qui permettent d’intégrer l’alimentation au cœur de leur politique et d’impliquer, voire de coordonner, une multitude d’acteurs : associations, citoyens, professionnels agricoles, transformateurs, distributeurs, urbanistes, etc. C’est le cas de la ville d’Albi, dont le PAT a été labellisé en 2020. « Avec ce type de projet, ce sont toutes les composantes du système alimentaire qui sont encouragées à évoluer en même temps et dans le même sens », explique Isabelle Duvernoy. 

Le modèle albigeois

Comme d’autres communes, la ville d’Albi, dans les années 2010, a choisi de racheter des terres agricoles, à la fois pour contrôler le foncier mais aussi pour le réorganiser et développer une agriculture de proximité pour ses habitants. Cet engagement pour une alimentation de proximité a permis d’installer de nouveaux maraîchers sur la commune, de promouvoir l’autoconsommation des habitants avec le développement de jardins partagés, d’encourager le retour à l’emploi avec des jardins d’insertion et enfin de créer un marché de producteurs. La restauration scolaire a été un levier fondamental de l’action alimentaire de la ville. Celle-ci a créé une nouvelle cuisine centrale approvisionnée en partie en produits locaux, et développé des actions pour lutter contre le gaspillage alimentaire et la valorisation des déchets. Cette cuisine centrale, qui élabore en moyenne 3 500 repas par jour, a été conçue pour l’utilisation de produits frais locaux avec des espaces de stockage et une légumerie. Résultat : la production de légumes en circuit ultra court sur les terres de la commune mais aussi un approvisionnement par des agriculteurs de tout le département. 

« La ville d’Albi a réussi à créer un circuit hyper court. Les salades qui
approvisionnent la cuisine centrale parcourent moins de 2 km dans la matinée. »
Isabelle Duvernoy

« La ville a réussi à créer un circuit hyper court. En 2020, lors de notre étude, les salades qui approvisionnaient la cuisine centrale d’Albi avaient parcouru moins de 2 km dans la matinée. Mais la production urbaine ne peut être qu’une part de l’approvisionnement des cantines et doit souvent être soutenue et facilitée par les municipalités. Pour beaucoup de producteurs, il n’y a pas un intérêt commercial à approvisionner des petites structures », explique Isabelle Duvernoy. 

Développer un cercle vertueux

À Romainville, la Cité Maraîchère s’appuie sur l’agriculture urbaine pour développer un cercle vertueux autour de l’alimentation : après plusieurs années de réflexion, la municipalité a inauguré en 2020 une serre verticale de maraîchage cultivée par des agriculteurs salariés de la ville et n’utilisant aucun pesticide. Les légumes récoltés sont vendus aux habitants avec des tarifs adaptés à leur quotient familial. Mais ils ne s’arrêtent pas là ! La Cité Maraîchère est aussi et d’abord un espace pédagogique auquel tous les scolaires de la ville, de la maternelle au lycée, ont accès et bénéficient d’ateliers sur le temps scolaire ou périscolaire. Un café solidaire propose aussi des repas cuisinés à partir des légumes en partie produits sur place et à des tarifs accessibles au plus grand nombre. « Un projet qui a un coût et qui résulte d’une volonté politique forte mais qui fonctionne très bien », conclut Agnès Lelièvre, enseignante-chercheuse à AgroParisTech. Les municipalités mobilisent un autre outil : les régies agricoles, structures mises en place pour gérer et exploiter des terres agricoles. En 2005, la ville de Mouans-Sartoux rachète des terres agricoles et salarie un agriculteur pour cultiver des légumes en agriculture biologique. Aujourd’hui, cette production couvre 85 % des besoins annuels en légumes des cantines scolaires de la ville. 

Meth’Expau® : une méthode pour accompagner les projets sur le territoire

De nombreux acteurs de l’aménagement urbain – collectivités territoriales, établissements publics, bailleurs, promoteurs – souhaitent mettre en place des projets d’agriculture urbaine mais se posent des questions de faisabilité. La méthode Meth’Expau ® développée par le bureau de prestation de recherches Exp’AU, créé au sein d’AgroParisTech innovation en 2015 par l’équipe Agricultures urbaines de l’unité Sadapt d’INRAE, répond à ce besoin d’accompagnement. Elle s’articule autour d’un guide d’accompagnement en trois actes et de formations associées :

1. Un diagnostic territorial : il permet d’identifier les ressources matérielles et immatérielles disponibles (foncier, besoin des habitants, insertion du projet dans le quartier). Il s’accompagne d’un diagnostic technique et agronomique ainsi que d’un état des lieux des acteurs du territoire. Il est conseillé de réaliser un atelier multiacteurs pour valider collectivement les enjeux et avoir des objectifs partagés.

2.  La définition d’une gamme des possibles : il s’agit de propositions des projets les plus pertinents et adaptés au territoire en adéquation avec le diagnostic territorial.

3. La mise en œuvre des projets : des fiches opérationnelles sont produites pour aider à la réalisation des projets d’agriculture urbaine, en fonction de la forme choisie : contractualisation pour la mise à disposition du foncier ou rédaction des documents de cadrage de jardins collectifs par exemple. « Le message que l’on essaye de faire passer avec cette méthode : avant de lancer un projet, réfléchissez bien ! Est-ce que votre territoire a les espaces disponibles ? Quelles fonctions voulez-vous donner à l’agriculture ? Quelles sont les attentes et les craintes des habitants ? » souligne Giulia Giacchè, chercheuse à l’unité Sadapt et ancienne coordinatrice d’Exp’AU. Entre 2015 et 2022, 37 études ont été réalisées selon cette méthode, dont 21 commanditées par des collectivités territoriales.

Le département