Dossier revue
Société et territoiresUne agriculture essentielle à la ville durable ?
L’agriculture en ville ne se contente pas de nourrir, elle porte d’autres enjeux, sociaux et environnementaux, tout aussi importants, et s’avère être un pilier incontournable de la ville durable.
Publié le 24 juillet 2024
Aujourd’hui, alors que 55 % de la population mondiale réside dans des zones urbaines et que cette proportion atteindra probablement 70 % en 2050, impossible de raisonner la ville sans agriculture. Aussi bien pour des raisons alimentaires qu’environnementales et sociales. Les politiques locales mais aussi internationales s’en saisissent. La FAO a lancé en 2020 son initiative « villes vertes » qui énonce 5 solutions pour des villes durables dont le développement de l’agriculture urbaine et le rétablissement du lien entre villes et zones rurales environnantes, notamment pour l’approvisionnement alimentaire. Objectif : 1 000 « villes vertes » d’ici 2030. Le pacte de Milan, signé en 2015, rallie aujourd’hui 200 villes dans le monde autour d’engagements communs : préserver les terres agricoles, favoriser les circuits de proximité et ne pas gaspiller l’alimentation.
Des services environnementaux
On retrouve 8 fois plus de collemboles dans les jardins potagers qu'en milieu agricole
La ville et ses infrastructures altèrent l’environnement : fragmentation des habitats naturels, pollution, imperméabilisation des sols. L’agriculture en ville peut contribuer à atténuer les effets négatifs de l’urbanisation.
Biodiversité
Y en a-t-il sur les toits cultivés ? Oui ! Sophie Joimel, chercheuse AgroParisTech à l’unité ÉcoSys, montre dans ses travaux que beaucoup d’organismes, et en particulier les plus petits, sont capables de coloniser les toitures. Parmi eux, les collemboles, des arthropodes jouant un rôle majeur dans la fertilité des sols et qui arrivent sur nos toits portés par les vents et via les composts. Moins facile pour les vers de terre, plus gros, qui doivent être introduits dans les bacs. Quant aux jardins potagers, les résultats du projet JASSUR cassent les a priori et montrent que le milieu urbain n’est pas moins favorable à la biodiversité. Le projet met toutefois en lumière une homogénéisation des espèces végétales entre les villes, mais aussi une grande diversité des organismes du sol.
Régulation thermique

À cause de l’artificialisation et de l’imperméabilisation des milieux urbains, il fait plus chaud en ville qu’à la campagne. C’est ce que l’on appelle l’îlot de chaleur urbain. Son intensité varie de 0,6 °C à 10 °C en fonction des saisons, de la géographie et de la structure de la ville. L’agriculture, via la végétalisation des espaces, permet de réduire cet îlot de chaleur en absorbant une partie du rayonnement solaire, en apportant de l’ombrage et grâce à l’évapotranspiration. Lorsque l’agriculture est sur les toits ou sur les façades, elle participe également à l’isolation thermique des bâtiments. « Cela ne remplace pas une bonne isolation des bâtiments mais l’impact n’est pas négligeable », explique Christine Aubry avant d’ajouter : « Les arbres en ville contribuent aussi beaucoup à la régulation thermique des villes, un rôle qui pourrait être joué par des vergers urbains ! »
Limitation du risque d’inondation
En ville, l’imperméabilisation des sols due aux constructions ou autres infrastructures empêche l’eau de pluie de s’infiltrer dans le sol et implique un plus grand risque d’inondation. « À New York, pour limiter le risque d’inondations dues aux pluies torrentielles, la ville finance les projets d’agriculture urbaine uniquement pour sa fonction de rétention d’eau et pour ne pas avoir à augmenter la taille des tuyaux du réseau de récupération des eaux pluviales », explique Christine Aubry. Au Canada, les serres sur les toits réutilisent l’eau de pluie collectée par la toiture pour irriguer les plantations. L’agriculture en périphérie de la ville a également ce rôle de rétention de l’eau en amont de la ville pour limiter le risque inondation.
Et bien d’autres services
Parmi les autres services rendus par l’agriculture urbaine, nous pouvons ajouter la régulation du climat via le stockage du carbone dans les sols, l’amélioration (assez faible) de la qualité de l’air, l’atténuation du bruit en ville par la végétalisation et enfin des services esthétiques. Les épisodes de confinement liés au Covid-19 ont d’ailleurs montré combien la proximité d’espaces de nature était indispensable aux citadins.
Un rôle social revendiqué : à la reconquête des « communs »
Le premier jardin communautaire est né en 1973 à New York, sur un terrain vague à Manhattan, occupé dans un premier temps illégalement pour y faire un jardin géré par les habitants et militants revendiquant un besoin d’espaces verts, mais aussi pour protester contre l’inaction politique face à l’augmentation d’espaces en déshérence, de friches, de squats et des activités illicites qui s’y développaient. Le mouvement s’étend en parallèle au Canada et en Angleterre. « Dans mes travaux, j’ai observé l’émergence de ces dynamiques-là à Sao Paolo dans les années 2010 quand deux journalistes ont initié ce mouvement par la création de jardins partagés au centre-ville et dans toute la métropole », raconte Giulia Giacchè. L’objectif de ce mouvement était de produire ses propres aliments tout en s’appropriant l’espace public, avoir plus d’espaces verts, mais c’était aussi un moyen pour militer pour une agriculture agroécologique et sans pesticide. « Les militants en ont fait un véritable objet politique en se structurant en réseau et cela leur a permis de participer à des discussions politiques pour préserver les terres agricoles, renforcer les circuits courts, et promouvoir une agriculture durable », précise Giulia Giacchè.
Justice sociale, justice alimentaire
Si ce mouvement des community gardens est né de la désobéissance civile, il a évolué pour devenir le fer de lance de la justice alimentaire. « La justice alimentaire cherche à apporter une sécurité alimentaire aux populations pauvres et aux minorités ethniques des quartiers défavorisés », explique Christophe Soulard. Mais cela va au-delà : l’agriculture urbaine peut être un levier d’accès à la nourriture mais elle peut aussi offrir aux personnes défavorisées des opportunités de se former, d’avoir un emploi ou encore de développer un certain statut social auquel elles ont difficilement accès. C’est alors que l’agriculture urbaine apparaît comme un outil de justice sociale, spatiale et environnementale dans les enjeux alimentaires des villes.
L’agriculture en ville, moteur d’une économie circulaire ?

La ville produit une quantité énorme de déchets… et si on les valorisait dans les systèmes agricoles dans et autour de la ville ? C’est bel et bien à l’agenda, puisque la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) de 2020 généralise, depuis le 1er janvier 2024, le tri à la source des biodéchets pour les particuliers et les professionnels. Mais la tâche est difficile : « Il y a une telle quantité de déchets qu’on ne peut pas imaginer que les espaces en ville les absorbent, aussi parce que cela risquerait de les polluer. Un levier important pour réduire les quantités de biodéchets est de réduire les pertes et gaspillages alimentaires », nuance Barbara Redlingshöfer, ingénieure de recherche à l’unité Sadapt. Plusieurs pistes sont toutefois développées. Le projet Décisive, porté par INRAE, a permis de développer des technologies de microméthanisation permettant de transformer les biodéchets solides en biogaz. Le digestat, riche en azote, qui résulte de cette opération peut ensuite servir de fertilisant pour l’agriculture. Un microméthaniseur pouvant valoriser au minimum 50 tonnes de biodéchets par an a été expérimenté dans l’agglomération de Lyon de 2019 à 2021. Le biogaz produit était converti en chaleur et en électricité avec un rendement pouvant atteindre au maximum 20 % d’électricité et 80 % de chaleur. La production de chaleur couvrait les besoins de chauffage du digesteur et de l’hygiénisation des déchets et l’électricité aurait pu à terme être utilisée pour alimenter de petits équipements électriques (pompes) de la ferme urbaine.
Le cas du compostage

Autre voie de réutilisation des déchets par l’agriculture urbaine : le compostage individuel ou collectif. Mais, là aussi, la réalité se heurte à quelques problèmes. Sanitaires d’abord, car il faut s’assurer que le compost produit ne contient pas de pathogènes. Puis techniques, car le compostage est un processus spécifique supposant une montée en température pouvant aller jusqu’à 70 °C pendant plusieurs jours. Aussi, le compost est très variable, car il dépend de ce que les utilisateurs du composteur mangent et donc des saisons. De ce fait, il est difficile en milieu urbain de trouver des moyens de gestion homogènes. Des freins réglementaires s’ajoutent à cela : impossible de mettre sur le marché le compost issu des composteurs collectifs ou alors il faut le faire tester par des organismes agréés pour vérifier que les normes sanitaires ont bien été respectées. Aujourd’hui, le compost produit collectivement ne peut être redistribué qu’à ceux qui y ont contribué, c’est le cas par exemple dans les jardins collectifs de certains immeubles.
Nos urines comme fertilisant
Dans les urines, il y a beaucoup d’azote et de phosphore, très utiles pour la fertilisation. Pourquoi ne pas les collecter pour les utiliser et en même temps limiter le traitement des eaux usées, qui est à la fois coûteux et énergivore ? C’est ce qu’ont testé les scientifiques de Toulouse Mairie Métropole dans le cadre du projet Tevalu. Ils se sont interrogés sur la quantité d’urine collectable à l’échelle de la Métropole (850 000 habitants), dans les universités, les aéroports, etc. au regard des besoins en fertilisation sur le territoire (pépinières, golf, agriculture urbaine et périurbaine). Résultat : on pourrait récupérer 21 tonnes d’azote par an avec le seul aéroport de Toulouse Blagnac, ce qui permettrait de couvrir tous les besoins en fertilisation de l’agriculture urbaine du territoire !
La performance environnementale en question
Impossible de répondre simplement à la question de la performance environnementale de l’agriculture urbaine compte tenu de
la diversité des formes que celle-ci peut prendre. Dans sa thèse menée à INRAE, Erica Dorr souligne le manque cruel de données
et de méthodes pour évaluer l’impact environnemental de l’agriculture urbaine. Néanmoins, elle montre que les systèmes plus professionnels, commerciaux et de moyenne technologie ont tendance à avoir des impacts plus faibles par kilogramme, mais plus élevés par mètre carré, que les systèmes à faible technologie. Les systèmes high-tech, avec des intrants importants mais aussi des rendements élevés, ont encore des impacts importants par kilogramme. Concernant les systèmes en intérieur, l’utilisation de l’énergie est souvent plus importante que pour les autres systèmes ; quant aux serres, c’est leur structure qui pèse davantage sur leur impact environnemental.
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Élodie Regnier
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Rédactrice
Direction de la communication