Dossier revue

Société et territoires

Foncier agricole : a-t-on la place de développer l’agriculture en ville ?

Au-delà de sa fonction alimentaire, l’agriculture urbaine et périurbaine s’avère un pilier indispensable de la ville durable. Mais face à l’augmentation
de la population citadine et donc du besoin de foncier pour l’habitat et les infrastructures, est-il encore possible de la développer en ville ?

Publié le 24 juillet 2024

« Les documents d’urbanisme ont un rôle crucial pour préserver les espaces agricoles mais ils ne sont pas toujours suffisants pour empêcher la poursuite de l’artificialisation », explique Coline Perrin, chercheuse à l’unité Innovation. « Les villes où l’espace agricole a réussi à être préservé sont celles où il y a conjointement une volonté politique forte couplée à la présence de filières agricoles dynamiques et rentables. » Depuis une vingtaine d’années, de plus en plus de communes ont cette volonté de préserver l’espace agricole, pour des raisons paysagères, d’approvisionnement local de l’alimentation mais aussi pour des raisons environnementales de préservation de la biodiversité et de gestion de l’eau. Se développe alors une diversité de politiques publiques, souvent au moyen de projets alimentaires territoriaux.
Des collectivités cherchent à remobiliser des friches, à convaincre certains propriétaires de louer leurs terres ou simplement recensent leur propre foncier pour mieux le mobiliser. Ces initiatives sont recensées dans une plateforme web, Récolte, développée par l’association Terre de Liens et INRAE. La plateforme compte aujourd’hui plus de 80 initiatives portées ou soutenues par les collectivités, visant à préserver le foncier agricole et à installer des agriculteurs en agroécologie. La moitié de ces initiatives sont situées en périurbain.

La loi zéro artificialisation nette (ZAN), votée en 2023, vise à limiter à l’horizon 2050 l’artificialisation ou à la compenser par des surfaces de sol renaturé. Va-t-elle permettre le développement de l’agriculture urbaine ?

La loi zéro artificialisation nette (ZAN), votée en 2023, vise à limiter à l’horizon 2050 l’artificialisation ou à la compenser par des surfaces de sol renaturé. Va-t-elle permettre le développement de l’agriculture urbaine ? « Pas sûr », répond Coline Perrin : « cette loi aura peut-être un effet inattendu, celui d’encourager la densification de la ville avec pour potentielle conséquence de supprimer les derniers espaces agricoles interstitiels au sein des villes. » Cela pose une nouvelle question : la ville durable doit-elle faire de la place à l’agriculture en son sein, la développer davantage en périphérie… ou les deux ? Dans tous les cas, il reste indispensable de protéger à long terme les terres agricoles, et c’est le choix fait par certaines municipalités via un zonage plus pérenne (zone agricole protégée et PPAEN (Périmètre de protection et de valorisation des espaces agricoles et naturels périurbains) qui perdure au-delà du plan local d’urbanisme. À La Roquebrussanne, en Provence, la ZAP a permis en 10 ans 11 installations d’agriculteurs et viticulteurs davantage enclins à investir du fait que les terres sont assurées de ne pas devenir constructibles.
 

Destisol’AU : le bon sol pour le bon usage

Si artificialisation il doit y avoir, autant le faire sur un sol pollué ou dégradé plutôt que sur un sol fertile. Voilà l’idée de l’outil d’aide à la décision Destisol’AU qui permet de guider les urbanistes et aménageurs sur le choix des sols à privilégier pour développer de l’agriculture urbaine. « L’outil va même plus loin, il permet à partir de données de caractérisation des sols de déterminer quelles espèces maraîchères seraient à cultiver prioritairement sur une parcelle », explique Christophe Schwartz, directeur du centre INRAE Nancy et ancien directeur du laboratoire Sol et environnement de l’université de Lorraine.

L’agriculture dans mon HLM

Pourquoi les bailleurs sociaux s’intéressent-ils à l’agriculture urbaine ? « On a montré comment l’agriculture urbaine peut être à la fois un outil pédagogique, de lien social et d’économie circulaire », explique Giulia Giacchè qui a mené un état des lieux des projets portés par les bailleurs sociaux en collaboration avec l’AFAUP, le CSTB et l’USH 1. Pour les habitants, cela permet de créer du lien social et de réduire l’isolement en disposant d’espaces de partage et d’entraide. Cela leur permet de renouer avec la nature, de mieux appréhender les liens entre production et alimentation, et in fine de mieux s’alimenter. Pour les bailleurs, cela leur permet de réduire les coûts d’entretien des espaces verts (ou de mettre ces coûts à profit de la gestion des jardins) et d’améliorer les rapports entre les locataires et les personnels de proximité. Toutefois, plusieurs difficultés ont été rencontrées, parmi lesquelles le manque de ressources humaines et de financements lors des phases de montage, puis de mobilisation des habitants dans la durée, de gestion des ressources, et de conflits d’usages une fois les projets lancés.

1. AFAUP : Association française d’agriculture urbaine professionnelle ; CSTB : Centre scientifique et technique du bâtiment ; USH : Union sociale pour l’habitat.
 

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