Dossier revue
Changement climatique et risques

La collaboration au cœur de la prévention

Fortement impacté par le changement climatique, le risque Avalanche évolue rapidement. Entre recherche et expertise, la collaboration entre les scientifiques et les multiples acteurs de la prévention est la clé de la connaissance et de l’anticipation des risques actuels et émergents.

Publié le 30 janvier 2023

 Avec des températures et des précipitations en grande évolution, les territoires de montagne sont amenés à rapidement s’adapter pour assurer aux habitants une activité économique d’avenir et préserver une activité touristique majeure en France, le tout dans la plus grande sécurité. Pour cela, ils déploient des stratégies locales d’adaptation élaborées en cohérence avec la politique nationale de prévention des risques portée par le ministère de la Transition écologique (MTE), en particulier la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), et nourries, en premier lieu, par les travaux de la recherche d’INRAE et du Centre national de recherches météorologiques (CNRM).

Une prévention des risques collective pour une meilleure efficacité

Classé dans la catégorie des risques majeurs de la politique nationale de prévention, le risque lié aux avalanches est pris en charge par une multitude d’acteurs. Porté par l’État, il est confié aux services Restauration des terrains de montagnes (RTM) de l’Office national des forêts (ONF). Ceux-ci sont amenés à caractériser le risque qui doit être pris en compte dans la planification et l’aménagement du territoire, en particulier via les Plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), qui s’imposent aux plans d’occupation des sols. Les communes, en charge de la sécurité publique, de la prévention et l’organisation des secours contre les catastrophes, les départements et les régions mobilisés pour la sécurité du réseau routier, l’aménagement du territoire et l’information préventive, et les citoyens, premiers concernés et bénéficiaires de cette prévention, complètent le dispositif de prévention des risques et de protection des bâtiments et infrastructures.

 


Expertise scientifique et prévention, un dialogue fructueux

Si le développement des connaissances et les nouvelles données jouent un rôle essentiel dans l’élaboration des plans de prévention et les prescriptions pour l’ensemble des actions (conception de dispositifs de défense active et passive, localisation et construction des routes de montagne, plantation de forêts de protection, édification de refuges…), les scientifiques peuvent également être missionnés comme experts en matière de protection paravalanche auprès des collectivités locales, des bureaux d’études et des communes. « Nous n’intervenons que dans les cas complexes, lorsque l’utilisation des derniers résultats de la recherche est requise et/ou que les enjeux sont tels que le commanditaire de l’expertise se tourne exclusivement vers nous », explique Florence Naaïm, directrice de l’unité de recherche ETNA. « INRAE a d’ailleurs reçu pour la première fois, en janvier dernier, la certification ISO 9001 pour l’ensemble de son système qualité d’expertise ayant trait à la gestion des risques gravitaires en montage, dont les avalanches ». Sur ce sujet, comme sur d’autres traités par les équipes d’INRAE, recherche et expertise sont en dialogue permanent. Les résultats de la recherche sont mobilisés pour accompagner les porteurs de politiques publiques. En retour, le dialogue avec ces acteurs nourrit la recherche uia l’émergence de nouvelles questions et contribue à lui donner du sens.

Les scientifiques interprètent des photographies aériennes pour réaliser la Cartes des localisations des phénomènes d'avalanches (CPLA).

Données et modélisation à la rescousse

Le dialogue avec les porteurs de politiques publiques nourrit la recherche via l'émergence de nouvelles questions et contribue à lui donner du sens.

Ainsi les chercheurs d’ETNA ont, par exemple, participé à la conception de la digue de Taconnaz (en association avec le bureau d’études Ingerop pour le compte de la Communauté de communes de la vallée de Chamonix–Mont-Blanc), un ouvrage massif de 25 m de haut, placé au pied du plus long couloir d’avalanches des Alpes dans le massif du Mont-Blanc. « Notre tâche a été de dire quelle taille, quelle position et quelle forme devaient avoir la digue et les autres dispositifs de défense passive », explique Thierry Faug, chercheur de l’unité. La combinaison des données historiques issues de l’enquête permanente sur les avalanches (EPA) et des modèles numériques de propagation a permis de déterminer les événements centennaux de référence (définis par le volume et l’énergie de l’avalanche).

Les différentes stratégies de protection, conçues pour arrêter les avalanches denses, ont alors été testées par modélisation physique au laboratoire (billes de verre et PVC), puis mises à l’épreuve de la modélisation numérique sur topographie réelle, le risque résiduel lié à la partie poudreuse de l’écoulement ayant été estimé à partir de la mo délisation physique (eau salée dans l’eau). « Et comme l’expert garde son ADN de chercheur, nous avons profité de la construction des dispositifs paravalanches pour y inclure des capteurs automatiques de vitesse et de pression, afin de nous permettre d’évaluer l’efficacité des dispositifs paravalanches et de mieux comprendre leur influence sur l’écoulement », poursuit Thierry Faug. Des pressions d’impact allant jusqu’à 95 t/m² ont ainsi pu être enregistrées, en accord avec la prédiction des modèles. Un contrôle qualité, en quelque sorte…

Diffuser les connaissances

En parallèle, afin d’aider les bureaux d’études et les maîtrises d’œuvres à réduire la vulnérabilité des zones habitées, des guides techniques sur les dispositifs de protection sont rédigés. Ainsi, un guide européen de référence pour la construction de digues paravalanches d’arrêt et de déviation a pu être réalisé en 2009 à partir des travaux d’équipes de recherche européennes dont ETNA. D’autres objets de diffusion des connaissances sont régulièrement élaborés. L’impact rapide du changement climatique, en particulier sur l’occurrence et la nature des avalanches, impose le maintien de recherches sur l’aléa, le risque et la mise à jour des données, mais c’est surtout grâce à une collaboration continue avec les acteurs nationaux et locaux qu’une prévention adaptée et efficace sera possible. 

Changement climatique - Que dit le GIEC sur les avalanches ?

Connu pour ses synthèses internationales de référence (6e rapport publié le 9 août 2021) le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) produit également des « rapports spéciaux ». Celui dédié aux océans et à la cryosphère (Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate – SROCC), en 2019, a été le premier comportant un chapitre spécifique sur les zones de montagne.

« Alors que les rapports du GIEC font traditionnellement la part belle aux glaciers et aux milieux polaires, ils ne disaient jusqu’ici presque rien de l’évolution des avalanches et du risque associé en raison d’un manque de résultats disponibles dû à la complexité du problème », expose Nicolas Eckert, chercheur de l’unité ETNA. En effet, pour détecter des changements passés, il est nécessaire de disposer de séries d’observations longues et homogènes, et de les exploiter avec un arsenal statistique relativement avancé. De même, pour appréhender les évolutions futures de l’activité avalancheuse, il faut convertir les scénarios d’évolution globaux du climat en scénarios locaux d’évolution de la météorologie et de l’enneigement. Cela nécessite d’utiliser des techniques complexes de changement d’échelle et de correction de biais : forçage des modèles régionaux de circulation (CRM) par les modèles généraux (CGM), adaptation à la topographie de montagne, modélisations de l’enneigement à l’aide de modèles physiques corrigés par l’observation. Il est alors possible d’alimenter des relations empiriques entre enneigement et activité avalancheuse établies sur le passé.

Ce rapport, auquel INRAE a contribué, conclut avec un niveau de confiance élevé que les aléas naturels en montagne, dont les avalanches spontanées, se produiront dans le futur dans des lieux et/ou à des saisons où ils ne se produisaient pas jusqu’alors. Cette formulation, fruit d’un compromis scientifique et politique, sans nier la possible réduction locale de l’aléa avec l’enneigement, met l’accent sur les problèmes potentiellement posés par l’évolution rapide dans la localisation spatiale et temporelle des phénomènes dangereux. Ainsi, on s’attend à davantage d’avalanches de neige humide aux altitudes élevées et au cœur de l’hiver, où l’enneigement est pour l’instant préservé. Cette évolution doit être prise en compte, par exemple, pour adapter les dimensionnements des remontées mécaniques qui pourraient être touchées par des avalanches exerçant potentiellement de fortes pressions en pleine saison touristique.

Télécharger le résumé du rapport (version française)

  • Sebastiàn Escalon & l'unité ETNA

    Rédacteurs

  • Thierry Caquet, Mohamed Naaïm & Patrick Flammarion

    Pilotage scientifique

  • Lou Rihn

    Illustratrice

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