Une gestion du risque qui s’appuie sur la science
Entretien avec Véronique Lehideux, cheffe du service Risques naturels et hydrauliques au ministère de la Transition écologique, en charge d’élaborer et d’animer la politique nationale de prévention des risques naturels et de coordonner les actions de prévention des risques majeurs. Éclairage en 5 questions.
Publié le 30 janvier 2023
Face à l’évolution du climat et de l’urbanisme, comment s’assurer que les procédures d’évaluation et de prévention du risque Avalanche ne deviennent pas obsolètes ?
Véronique Lehideux : La prévention des risques naturels s’appuie en premier lieu sur les Plans de prévention des risques naturels (PPRN). Ils visent à la prise en compte des aléas dans l’urbanisme, en empêchant la densification et l’augmentation de vulnérabilité dans les zones les plus exposées, et en la réduisant en prescrivant des mesures dans les autres zones. Leur élaboration s’appuie sur l’événement le plus grave connu ou sur une référence propre à l’aléa – la centennale pour la crue et l’avalanche par exemple. Pour l’avalanche, la référence tri-centennale a été ajoutée pour délimiter les zones d’aléas de référence exceptionnelle (zones jaunes). L’amélioration des connaissances de l’impact du changement climatique sur les aléas pourra poser, à terme, la question de l’évolution des seuils de référence, comme cela a été fait sur le risque de submersion marine. Il faut pour cela que cet impact soit aussi très bien documenté. Pour les avalanches, un autre paramètre d’évolution à prendre en compte est la nature de la neige. Son contenu devient plus riche en eau. Afin de mieux connaître les changements de comportement induits, la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) missionne INRAE depuis plusieurs années pour étudier et modéliser les avalanches humides. Concernant les risques en montagne, le ministère a initié un travail sur les risques d’origine glaciaire et/ou périglaciaire avec l’appui d’INRAE. Il est aujourd’hui piloté par l’ONF avec une implication toujours très forte d’INRAE.
Quel est l’objectif de ce travail sur les risques d’origine glaciaire ?
L'enjeu ? Anticiper les risques nouveaux : dégel du pergélisol ou effondrement de glacier.
L’objectif est d’anticiper ces risques nouveaux : dégel du pergélisol ou effondrement de glacier. Sur ce dernier, INRAE porte avec l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE) une action d’appui sur le suivi et le devenir du glacier de Taconnaz, qui tend à devenir tempéré. Des laboratoires de l’Observatoire des sciences de l’univers de Grenoble (ETNA, IGE, Isterre) se sont mobilisés en appui à la préfecture et la mairie de Saint-Gervais sur l’étude des poches d’eau dans le glacier de Tête-Rousse. INRAE a également contribué à la vidange du lac du glacier d’Arsine en 1986. Ce sont des exemples concrets de recours aux dernières avancées de la recherche afin de diagnostiquer et de proposer des solutions que les bureaux d’études ne seraient pas en mesure de gérer. La DGPR soutient ces actions afin de faire progresser la connaissance et de caractériser les bassins de risques.
Comment la prévention des risques naturels intègre-t-elle les éléments de contexte économique et social des zones concernées ?
Véronique Lehideux : La prévention des risques naturels a pour objectif premier la préservation des vies humaines et la réduction des dommages. Elle est priorisée sur les zones de fort croisement entre aléas et enjeux et, dans ces zones, est proportionnée à l’importance des risques. Interdire qu’il y ait davantage de constructions dans les zones les plus exposées à certains risques naturels contribue à préserver le tissu économique et social, et à assurer la soutenabilité du dispositif de solidarité nationale qu’est le régime « Catnat ». La prévention des risques naturels est une composante à part entière du développement durable des territoires et de l’adaptation au changement climatique. Le juste émoi qui suit des catastrophes naturelles rappelle qu’il est responsable de ne pas construire en zone fortement exposée aux risques naturels.
Dans un contexte transfrontalier, comment la France gère-t-elle les liens entre recherche, expertise et appui aux politiques publiques, pour le risque avalanche ?
Véronique Lehideux : La France est membre de la convention alpine qu’elle a présidée en 2019 et 2020. Elle assure également la présidence de la stratégie de l’Union européenne pour la région alpine (SUERA) depuis 2020, et a accepté de prolonger cette présidence d’un an du fait du contexte sanitaire. Ces deux instances permettent de mettre en relation des chercheurs, des universitaires, des associations, des gestionnaires, des décideurs en matière de politiques publiques de l’ensemble des pays alpins. Les groupes de travail sont l’occasion de partager et de développer des connaissances, des bonnes pratiques tout en les adaptant au contexte spécifique de chaque pays en termes de gouvernance et de transcription dans la réglementation. On peut citer, à titre d’exemple, les projets européens Interreg. Les échanges transfrontaliers sont très importants pour maintenir une certaine harmonisation et sont en accord avec les attentes des élus locaux.
Pouvez-vous donner un exemple de travaux réalisés en coopération avec nos pays voisins ?
Véronique Lehideux : Certaines études réalisées en coopération avec les experts italiens, suisses et français, ont permis d’établir les contours des zones rouges et bleues du PPR avalanche sur les couloirs les plus sensibles de la vallée de Chamonix, en confrontant les méthodes, modèles et pratiques. Par ailleurs, côté pyrénéen, la cartographie des extensions maximales des avalanches de Catalogne en Espagne a été réalisée à partir de la méthodologie développée en France par INRAE.
-
Sebastiàn Escalon & l'unité ETNA
Rédacteurs
-
Thierry Caquet, Mohamed Naaïm & Patrick Flammarion
Pilotage scientifique
-
Lou Rihn
Illustratrice