Dossier revue
Changement climatique et risques

Une recherche à multiples facettes

De l’échelle du micromètre à celle d’un massif montagneux, de l’observation à la modélisation, les chercheurs convoquent l’ensemble des techniques et technologies d’aujourd’hui, en nivologie et au-delà, pour connaître et anticiper ce phénomène complexe.

Publié le 30 janvier 2023

« La physique des avalanches reste une thématique-clé… Nous travaillons de l’échelle du grain de neige à celle du massif », explique Florence Naaïm, directrice de l’unité de recherche ETNA. En effet, lorsqu’on parle d’avalanches, « on ne peut pas comprendre le très grand sans connaître le tout petit ». Observation, expérimentation et modélisation constituent le triptyque des chercheurs permettant d’améliorer la connaissance pour mieux anticiper les phénomènes. 

Des observations grandeur nature pour alimenter les connaissances

Dispositif paravalanches de Taconnaz
Aperçu du dispositif de paravalanche de Taconnaz, dans le massif du Mont-Blanc.

Les chercheurs d’ETNA s’appuient sur plusieurs sites de terrain pour réaliser leurs observations. Pour comprendre la dynamique des avalanches, ils disposent depuis 1973 d’un lieu exceptionnel : le site expérimental du Lautaret, dans les Hautes-Alpes. Grâce à un exploseur au gaz, ils peuvent y déclencher des avalanches et les analyser sous toutes les coutures.

« On étudie leurs caractéristiques telles que la vitesse d’écoulement ou le volume de neige déplacé. Grâce à des systèmes d’imagerie, on peut filmer l’avalanche avec une caméra rapide ou en 3D, et mieux comprendre l’interaction entre l’avalanche et le terrain. Les capteurs posés sur un obstacle le long du parcours nous permettent de mesurer la pression qu’elle exerce », explique Emmanuel Thibert, chercheur à ETNA. « On a ainsi montré qu’une avalanche peut entraîner une grande quantité de neige allant jusqu’à 10 fois celle mobilisée dans la zone de départ, ou encore que le coefficient permettant de calculer la pression exercée sur un obstacle à partir de la vitesse de l’avalanche et de sa masse volumique était jusqu’alors très largement sous-estimé (d’un facteur 10) dans les zones de faible vitesse (zones d’arrêt) » détaille Florence Naaïm.

Au col du Lac-Blanc à 2 700 m, à proximité de la station de l’Alpe-d’Huez (Isère), les chercheurs étudient l’interaction entre la neige et le vent en collaboration avec leurs collègues du Centre d’étude de la neige du Centre national de recherches météorologiques (CNRM).

 

En effet, le vent est un élément central dans le déclenchement des avalanches. Celui-ci modifie les dépôts de neige et crée des corniches ou des accumulations qui, à tout moment, peuvent entraîner des avalanches. « Véritable soufflerie naturelle, instrumenté depuis 30 ans, notre site a permis d’éprouver de nouvelles techniques de mesure, et de créer une base de données climatologiques unique, attirant équipes scientifiques autrichiennes et japonaises. Ce sont, en effet, plusieurs centaines de tonnes de neige par mètre linéaire de crête que voient défiler nos capteurs chaque saison », précise Florence Naaïm.

 

Des expérimentations en laboratoire pour mieux comprendre

Mais étudier les avalanches « en vrai » ne suffit pas. Pour comprendre la façon dont chaque grain de neige roule sur les autres, accélère ou ralentit, d’autres méthodes sont nécessaires. C’est ainsi que les modèles réduits entrent en jeu. Ceux-ci permettent de réaliser des expériences sur la dynamique des écoulements neigeux. « Nous utilisons deux analogies », décrit Thierry Faug, chercheur et ingénieur de l’unité. « Pour les avalanches denses et sèches, on mime le comportement des grains de neige sèche, à savoir leur cohésion et leur frottement, en utilisant des billes de verre et de la poudre de PVC. Pour les avalanches en aérosol, nous faisons couler un fluide lourd, de l’eau salée par exemple, dans un fluide plus léger, de l’eau claire. Le fluide lourd permet d’imiter le mélange d’air et de particules de glace en suspension qui constitue ce type d’avalanches. »

Maquette modélisant une avalanche dense. Un procédé qui a permis le dimensionnement du paravalanche de Taconnaz (Massif du Mont Blanc).

Il faut cependant descendre à des échelles encore plus réduites pour connaître les lois qui régissent la déformation de la neige dans le manteau neigeux et son écoulement durant l’avalanche. « Les propriétés mécaniques de la neige dépendent de la microstructure du matériau », rappelle Guillaume Chambon, directeur de recherche adjoint de l’unité ETNA. Pour étudier cette microstructure, les chercheurs utilisent des tomographes à rayons X.

« Ces appareils nous permettent d’observer des détails de quelques micromètres. On peut ainsi étudier l’évolution de la neige en fonction de divers paramètres, comme la température ou la pression, et créer des modèles tridimensionnels pour explorer la réponse mécanique du matériau au moyen d’expériences numériques », ajoute le chercheur.

Des modèles numériques pour l’exploitation des données

Intégrer dans un même modèle des connaissances de l’échelle microscopique à celle d’un versant entier pour imaginer les avalanches du futur

Toutes ces observations et expériences ne pourraient cependant être exploitées, notamment pour la prévention, sans une autre méthode employée par l’unité : la modélisation numérique. Le but ? « Nous essayons d’intégrer dans un même modèle des connaissances qui vont de l’échelle microscopique à celle d’un versant entier », explique Guillaume Chambon. Ces modèles et simulations numériques permettent ensuite de déclencher des avalanches virtuelles en faisant varier les paramètres de départ. À partir de ces modèles croisés avec les scénarios climatiques du GIEC, il est alors possible d’imaginer à quoi ressembleront les avalanches du futur. La combinaison de ces méthodes a déjà porté ses fruits. Les modèles d’avalanches denses et en aérosol sont déjà très fiables, et permettent, par exemple, de faire des recommandations précises sur les structures paravalanches à mettre en place.

Le changement climatique invite cependant la recherche à poursuivre ses travaux pour mieux connaître les avalanches humides, dans lesquelles l’eau liquide et la glace se mêlent, et dont la dynamique n’est pas encore bien comprise. Pour cela, l’observation, l’expérimentation et la modélisation seront sans doute encore une fois la combinaison gagnante pour perfectionner la connaissance d’un phénomène complexe et optimiser les outils de prévention. 

Climat : Les avalanches humides, un risque émergent

L’une des évolutions majeures provoquées par le changement climatique est l’augmentation de la fréquence des avalanches humides. Ces avalanches constituent un risque émergent vis-à-vis duquel certains sites ne sont pas bien préparés.

Les écoulements dus aux avalanches humides, lorsqu’ils surviennent plus tôt dans la saison hivernale, sont capables de mobiliser de gros volumes de neige et d’eau, et d’exercer des pressions élevées de l’ordre de 10 t/m2, malgré leur faible vitesse, et causer d’importants dégâts. Dans certains cas extrêmes, lorsque la proportion d’eau est très élevée, ces écoulements peuvent parcourir des distances étonnamment longues allant de plusieurs centaines de mètres au kilomètre, dépassant les périmètres habituels. Autre problème : la dynamique des avalanches humides n’est pas encore bien connue. « Nous sommes là à la limite de nos connaissances sur ce phénomène. Nous ne savons pas encore bien modéliser leur compơrtement », admet Thierry Faug, chercheur à l’unité ETNA. Or, dans beaucoup de sites de montagne, les dispositifs paravalanches sont dimensionnés pour protéger contre un scénario d’avalanche de neige froide et sèche. Face à une avalanche humide de fortes dimensions, ces protections pourraient, dans certains cas, ne pas suffire.

Dégâts sur un téléphérique en région montagneuse.

Revoir les dispositifs de protection

Ainsi, les dispositifs de défense active, faits de râteliers, filets, claies ou vire-vent pour empêcher le déclenchement des avalanches en haut des pentes, pourraient être emportés ou s’avérer inopérants. En effet, avec le réchauffement, le comportement de la neige en reptation change du fait de son humidification. « La présence d’eau en plus grande quantité alourdit la neige et entraîne plus de glissements du manteau neigeux et ceci amplifie les forces sur les ouvrages », explique Thierry Faug. Aussi, ils devront être conçus pour résister à des pressions désormais plus fortes en raison de l’évolution du manteau neigeux et des conditions de départ des avalanches. Ils devront également être envisagés dans de nouveaux sites, où le glissement à la base était peu actif jusque-là. La défense passive pourrait elle aussi souffrir de cette évolution.

Ce type de stratégie vise à freiner, dévier ou stopper l’avalanche à l’aide de tas freineurs, de digues d’arrêt ou de digues de déviation. Mais, sur certains sites, la marge de ces structures de protection par rapport aux aléas n’est pas très grande. Or, l’avalanche humide ne suit pas toujours la trajectoire attendue suivant la plus grande pente. Une avalanche humide de grand volume, du fait de ses trajectoires difficiles à prédire, pourrait alors déborder ces protections et causer des dégâts. L’heure n’est pas à la panique mais à la prudence. « Il n’y a pas à réinventer les stratégies paravalanches », tempère Thierry Faug. « Néanmoins, il y a des endroits ơù il faudra optimiser les dispositifs afin de réduire la vulnérabilité, notamment en envisageant un scénario neige humide en plus de, ou à la place, du scénario neige sèche. » Pour ce faire, les chercheurs continuent de collaborer avec les acteurs de la montagne pour une adaptation au plus juste.

  • Sebastiàn Escalon & l'unité ETNA

    Rédacteurs

  • Thierry Caquet, Mohamed Naaïm & Patrick Flammarion

    Pilotage scientifique

  • Lou Rihn

    Illustratrice

Les départements