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Vingt ans de recherches participatives pour la diversité des céréales et des filières

Sélectionner des variétés de céréales adaptées à l’AB à même d‘être transformées en farines, semoules, pâtes ou pains bio et susciter des filières locales de valorisation, tels sont les éléments moteurs des projets de recherches participatives portées par Dominique Desclaux, Yuna Chiffoleau et Marie-Françoise Samson, INRAE, et leurs partenaires depuis deux décennies. Ce sont, au fil du temps, des projets co-construits sous couvert de production et de partage de connaissances et de savoir-faire qui leur valent aujourd’hui de recevoir le Prix de la recherche participative d’INRAE, mention « Participatif ».

Publié le 26 février 2022

illustration Vingt ans de recherches participatives pour la diversité des céréales et des filières
© INRAE, Bui Van Minh

Au commencement était le blé, celui que l’agriculteur cultive en bio avec passion dans le sud de la France, dont il souhaiterait faire des pâtes qui auraient le bon goût du terroir ou du pain qui nourrit sainement.

De la naissance d’une démarche participative

Nous sommes au début des années 2000, des producteurs d’Occitanie et de Camargue, aux exploitations fragilisées par le déclassement des récoltes de blé dur bio non conformes au cahier des charges de la filière de transformation, sollicitent les équipes INRAE de Montpellier. Définir les critères de sélection, créer des variétés adaptées à l’AB et les proposer à l’inscription au catalogue national pour qu’elles puissent être commercialisées sont une gageure que partage alors producteurs et scientifiques et que ces derniers vont traduire en questions et projets de recherche.

C’est le début d’une belle histoire qu’écriront Dominique Desclaux, agronome, Yuna Chiffoleau, sociologue et Marie-Françoise Samson, biochimiste, côté science, et des agriculteurs, des acteurs des filières jusqu’aux consommateurs, côté société civile.  Une histoire commencée il y a 20 ans et dont les protagonistes rédigent depuis, les chapitres avec passion.

Du sud de la France aux portes de l’Europe

Evaluations agronomiques et technologiques permettront de repérer, entre autres choses, l’intérêt de LA1823, une variété de blé dur co-conçue grâce à un travail collaboratif. Si son inscription au catalogue national n’aboutit pas faute de dispositif d’évaluation ad hoc, elle impulse la création d’une association, Sud Blé dur Bio, et contribue à faire évoluer la réglementation d’inscription.

Dominique Desclaux, Guillaume Chirat.
Dominique Desclaux, Guillaume Chirat.

Alors même que les agriculteurs se posent la question de la valorisation de leur production et aspirent à diversifier leur activité, des vocations vont naître à la faveur d’un voyage en Sardaigne où ils rencontrent leurs homologues italiens, partenaires d’un autre projet scientifique. Ils seront paysans-meuniers, paysans-pastiers ou paysans-boulangers au « service du mieux manger et de la fertilité des sols » comme le martèle Guillaume Chirat, du Moulin de la Moure au cœur de la commune de Lavérune (34). Et d’ajouter : « C’est pour cela que je me lève le matin, je sais qu’il y a des gens qui ont besoin de moi ».

Mouture sur meules, fabrication de pâtes sèches ou encore confection de pains alimentent désormais les questions et les projets, depuis les variétés à utiliser jusqu’aux processus de transformation et de commercialisation en passant par la conduite des cultures. Tout en continuant de s’intéresser à la sélection et à la diversification variétale, l’intérêt pour le développement de filières locales se renforce, filières courtes en vente directe ou filières plus longues soucieuses de promouvoir une origine France en contractualisant avec des producteurs bio. Parallèlement, le projet essaime, mobilisant désormais largement sur l’ensemble de la filière, producteurs, collecteurs et transformateurs tandis qu’il s’étend, du Lauragais au contreforts du Vercors.

Les discussions et les essais vont bon train. De nouvelles interrogations surgissent. Paysans-pastiers ou boulangers rapportent que leurs clients disent pouvoir consommer leurs produits alors même qu’ils présentaient jusque-là des symptômes d’hypersensibilité au gluten. Nous sommes alors en 2012. Trois ans plus tard émerge un projet de recherche co-construit, « Gluten, mythe et réalité ? » qui impliquera les acteurs des filières artisanales et industrielles.
« On a besoin de références pour pouvoir expliquer à nos clients l’intérêt de notre travail et de nos produits » commente G. Chirat qui a très largement contribué aux essais comparatifs conduits dans le cadre de ce projet.

On agrège toujours de nouveaux projets, avec des acteurs de plus en plus diversifiés.

Aujourd’hui, l’aventure continue. Les réflexions ont évolué, intégrant des enjeux de systèmes de cultures, de pratiques d’artisans, de rôles des consommateurs et des citoyens. Ce sont Activa Blé, un projet régional, en passe de se terminer, et portant sur les filières locales de transformation de blés et DivinFood, un projet européen, à même de commencer dont l’objectif est de faciliter l’utilisation et d’accroître la valeur des cultures négligées et sous-utilisées dans les filières alimentaires, pour favoriser des régimes alimentaires plus sains et des systèmes alimentaires plus durables.

Faire ensemble : des stratégies différentes pour un intérêt commun

Quand on lui demande sur quelles variétés ils travailleront dans la cadre de DivinFood, c’est spontanément que D. Desclaux répond : « Je ne sais pas, nous le déciderons après en avoir discuté tous ensemble ». Une réflexion qui traduit bien l’état d’esprit qui anime ces projets.

Ecouter, reconnaitre et accompagner

A la base, ce sont, de la part des non chercheurs, des constats, des questions et des demandes que les scientifiques traduisent en problématiques et questions de recherche.  « C’est ensemble que l’on fait avancer les connaissances et que l’on identifie les nouvelles questions à explorer » commente Marie Françoise Samson.

Marie-Françoise Samson, essai technique.

Au fil du temps, ce sont des échanges de savoir et savoir-faire entre chercheurs et non chercheurs, dans le respect de chacun : à INRAE, les tests de culture et de fabrication, les analyses biochimiques des produits, la compilation des résultats et leur traitement statistique, les entretiens avec les acteurs pour comprendre les façons de faire… ; aux paysans-artisans et industriels, les essais grandeur nature, la culture en plein champ, la fabrication des pâtes ou du pain … à tous, la discussion des résultats, leur analyse et leur valorisation.

Et Yuna Chiffoleau de préciser : « C’est vraiment important de ne pas mettre tout le monde en équivalence, c’est la base de la reconnaissance. Chacun a son rôle et les uns et les autres se complètent. Même si chercheurs et producteurs ont des activités communes, leurs métiers sont distincts et évalués par des communautés différentes ». Aux termes de « chercheurs de plein air », de « non scientifiques » ou de « profanes », Yuna préfère celui de « partenaires », avec l’idée que les uns et les autres produisent ensemble des connaissances et des outils.

Travailler de manière participative demande du temps pour s’accorder sur les questions et les objectifs de recherche. Mais aussi de la disponibilité pour garantir la fiabilité des données dans un contexte où les partenaires sont souvent éloignés géographiquement ou pour essayer, croiser et sélectionner des variétés, cultiver, fabriquer… ; de l’imagination pour mettre au point des protocoles qui n’interfèrent pas trop avec les processus mais soient à même de garantir la fiabilité des données ;  de la souplesse pour composer avec un collectif à géométrie variable, qu’il s’agisse d’accueillir de nouveaux membres ou de considérer de nouveaux enjeux, et enfin beaucoup de respect, respect des personnes et des règles construites collectivement.

Lucas Martin, boulanger.

En témoigne Lucas Martin, jeune boulanger nouvellement installé à Montpellier.Farines bio et locales, levain travaillé avec délicatesse, fermentation longue… Lucas s’intéresse depuis longtemps aux variétés anciennes dont on dit qu’elles seraient plus digestes.Il n’a pas toutefois pas trouvé d’informations susceptibles de corroborer cette hypothèse alors il explore, expérimente en lien avec les scientifiques.

Ou encore Jean-Pierre Passaga, propriétaire du Moulin de Sauret. Créateur de farine, comme il aime à dépeindre son activité, il débute en bio en 2012, intéressé de s’approvisionner en variétés locales. « Aujourd’hui, les blés conventionnels et label rouge proviennent à 70 % de la région Occitanie, les blés biologiques sont issus à 100 % de la région » précise-t-il. S’il trouve sa motivation dans la progression et la réussite de ses clients artisans boulangers – parmi lesquels figure Lucas Martin, il se dit fier de leurs succès. « Mon credo, c’est le local » aime-t-il à dire et les variétés anciennes, « je le fais parce que j’y crois ». Comment s’est-il joint à cette dynamique ? Opportunités de relations, envie de privilégier une filière locale performante, intérêt de partager son enthousiasme…  Un peu de tout cela à la fois.

Recherche et société, une osmose qui le vaut bien

Entre science et société, ce sont 20 ans de recherche participatives au service de collectifs qui valorisent la biodiversité, l’agriculture biologique et les filières locales. Des noces de porcelaine qui témoignent du temps qui passe et de la solidité des liens qui animent ce collectif.

Parfois, nous allons de la semence vers la filière, parfois de la filière vers la semence.

Ce partenariat sans faille a permis aux agriculteurs d’obtenir des variétés mieux adaptées à l’AB – lesquelles ont facilité l’approvisionnement bio local d’artisans et d’industriels tout en favorisant l’émergence de filières collectives ancrées dans les territoires, favorables à la biodiversité et au maintien et développement d’une économie locale. Il inclut désormais des partenaires très divers qui contribuent à sa mise en œuvre (depuis les agriculteurs jusqu’aux associations de consommateurs et de cuisiniers).

Ce long chemin a conforté les différents partenaires dans la sensation d’être écoutés, de voir leurs savoirs et savoir-faire reconnus et de pouvoir agir sur les conditions (sociales, économiques, écologiques…) auxquelles ils sont confrontés. Ce qu’exprime L. Martin, conscient du paradoxe avec lequel il doit composer à savoir « travailler avec des paysans meuniers, tout en proposant un pain accessible à tous et en permettant à chacun d’en vivre décemment ».

Et demain ?

Blé dur ou tendre, petit épeautre ou encore légumineuses, le champ des possibles comme des partenariats ne cesse de s’agrandir dans l’idée de produire des aliments plus sains à base de plantes ayant une identité locale ou régionale, tout en promouvant des services et bénéfices durables pour l’agriculture et la transformation. Le souhait d’impliquer des populations en situation de précarité prend forme dans l’idée de permettre à tous d’accéder à une alimentation de qualité.  Peut-être autour d’un tiers lieu propice aux échanges ?
Cette aventure débordera sous peu des limites de la région et des frontières nationales. Elle inspire désormais d’autres scientifiques et d’autres pays…
Une réussite que Dominique, Yuna et Marie Françoise n’auraient peut-être pas imaginé à leurs débuts !


Le prix de la Recherche participative

Lancé par INRAE en 2021, sous l’égide du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, dans le cadre de la nouvelle loi de programmation de la Recherche, ce prix met en lumière des projets de recherche dans lesquels sont engagés scientifiques et non scientifiques, que ce soit pour collecter des données ou au travers d’une implication plus grande dans le processus même de recherche. En savoir plus

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Dominique Desclaux UE DIASCOPE - Domaine Expérimental de Melgueil

Yuna Chiffoleau UMR Innovation et développement dans l'agriculture et l'alimentation (INRAE, L’Institut Agro Montpellier, Cirad)

Marie-Françoise Samson UMR Ingénierie des agropolymères et technologies émergentes (INRAE, L'Institut Agro Montpellier, Université de Montpellier)

Le centre

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Alimentation, santé globale

Hypersensibilité au gluten : rôle des étapes de fabrication des produits à base de blés

COMMUNIQUE DE PRESSE - Alors que 3% des Français ont supprimé le gluten de leur alimentation* et que le marché des produits sans gluten explose**, une partie de ces pratiques d’éviction serait liée au développement d’une sensibilité au gluten non cœliaque (SGNC). Certains produits artisanaux peuvent-ils tout de même être consommés par les personnes SGNC comme certains le prétendent? C’est à cette question que le projet de recherche « Gluten, mythe ou réalité ? » piloté par INRAE et le Biocivam11, l’association des producteurs bio de l’Aude, a tenté de répondre. Sur la base de questionnements remontés du terrain dès 2012, ce projet a été co-construit avec les agriculteurs, les acteurs des filières céréalières industrielles et artisanales, les techniciens et chercheurs de nombreuses disciplines en impliquant aussi des médecins et des consommateurs hypersensibles au gluten non cœliaques. Les premiers résultats permettent non seulement de confirmer l’existence d’une population de personnes se disant sensibles au gluten mais pouvant consommer sans ressentir de symptômes des produits céréaliers issus de certaines filières artisanales ; mais aussi de disposer désormais de données sur les propriétés des deux principaux produits à base de blé tendre et de blé dur proposés dans les filières industrielles et artisanales, à savoir pain et pâtes. Ce projet met en évidence les variations protéiques de ces produits en explorant l’importance de chaque étape de production sur la quantité et la qualité du gluten des produits finis et leur digestibilité. Des résultats disponibles en open data pourront être utiles à la conception d’un cahier des charges pour la mise sur le marché de produits à base de blés consommables par des personnes hypersensibles au gluten.

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Yuna Chiffoleau, au long des circuits courts

Yuna Chiffoleau est directrice de recherche en sociologie au département Sciences pour l’action et le développement d'INRAE (précédemment Inra), depuis 2001. Spécialisée en sociologie économique et des réseaux, elle s’intéresse plus particulièrement aux circuits courts alimentaires, et s’attache à mesurer leur impact sur les producteurs et les consommateurs.

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Les sciences et recherches participatives à INRAE

Aujourd’hui, toute une diversité d’activités de recherches participatives s’est développée au sein d'INRAE et dans d’autres organismes de recherche. Elles répondent aux préoccupations toujours plus vives des citoyens quant à leur alimentation, leur environnement, leur santé, … et elles favorisent le dialogue entre science et société, tout en contribuant à mieux faire connaître la démarche scientifique.

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